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Zelensky envisage-t-il une présidentielle en Ukraine ? Défis et sécurité en jeu.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a demandé aux États-Unis de l’aider à garantir la sécurité pour la tenue d’élections en Ukraine, où la loi martiale, instaurée en février 2022, interdit actuellement toute élection. Selon Anna Colin Lebedev, spécialiste de la Russie contemporaine et de l’Ukraine, « les élections ne peuvent pas se tenir en raison de deux contraintes », la législation et les raisons de sécurité.


Ce mardi, le président ukrainien a également sollicité ses alliés pour assurer la sécurité du processus électoral. « Je demande maintenant, je le déclare ouvertement, aux Etats-Unis de m’aider, éventuellement avec les collègues européens, à garantir la sécurité pour la tenue d’élections. » En effet, le pays subit quasiment chaque jour des attaques de missiles russes. La loi martiale, instaurée en février 2022 lors du déclenchement de l’offensive de Moscou, interdit toute élection. Des centaines de milliers d’Ukrainiens sont engagés sur le front, les infrastructures sont sous pression et de nombreuses villes restent constamment menacées par les frappes.

Pour Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférences à l’Université Paris-Nanterre et spécialiste de la Russie contemporaine et de l’Ukraine, la déclaration du président n’est pas nouvelle : « Il l’a répété à plusieurs reprises. Mais les élections ne peuvent pas se tenir en raison de deux contraintes. La première est une contrainte législative, car la législation ne le permet pas. Et la deuxième, ce sont les raisons de sécurité qui ne sont pas garanties dans le pays. Donc au final, il n’a fait que répéter ce qu’il avait déjà dit auparavant. »

Tetyana Ogarkova, responsable du département international à l’Ukraine Crisis Media Center, ajoute : « Pour l’instant, toutes ces réunions n’ont pas pu être réunies. Cette demande de Volodymyr Zelensky doit être perçue comme un appel politique. Car comment organiser une élection alors que des sirènes retentissent toutes les heures, partout dans le pays ? »

Elle souligne aussi qu’il faudrait effectivement modifier la loi, mais que le véritable enjeu est ailleurs : « Comment faire campagne, débattre, voter, dans un pays où la guerre s’installe dans la durée ? » Elle précise : « La loi martiale interdit, selon la constitution, la tenue d’élections. Mais après bientôt quatre années de guerre, tout le monde est conscient – et même le Président – qu’il faut continuer à faire vivre la démocratie. Et envisager ou organiser une forme de processus électoral. Durant les deux premières années de la guerre, il y avait un consensus pour ne pas demander d’élections. Cependant, maintenant, il s’agit d’une situation prolongée. Il n’y a plus eu d’élections depuis 2019. Donc, il faut trouver un moyen de faire vivre le débat. Et cela n’est pas facile en ce moment. »

L’un des principaux obstacles réside dans les territoires occupés par la Russie, qui représentent environ 20 % de la superficie du pays selon des estimations occidentales. Ces régions, annexées illégalement selon le droit international, sont considérées par Moscou comme « pleinement partie » de la Fédération de Russie. « Comment faire participer l’ensemble des Ukrainiens à une élection présidentielle et potentiellement législative alors qu’ils se trouvent soit sur la ligne de front, soit sous occupation russe ? C’est impossible. D’autant plus que la Russie considère ces territoires comme intégrés à la Fédération de Russie. C’est pour moi le plus compliqué, » souligne la spécialiste.

Elle ajoute que la peur des frappes sur les bureaux de vote complique également les choses : « Un vote supposerait l’ouverture de bureaux de vote dans tout le pays. Cependant, beaucoup d’Ukrainiens craignent que ces bureaux ne soient la cible de frappes russes. Enfin, il ne faut pas oublier que plusieurs millions d’Ukrainiens ont fui le pays et vivent désormais à l’étranger. Il faudrait aussi les inclure dans le processus. Cela fait donc beaucoup d’éléments à prendre en compte. »

« Le problème n’est pas de savoir si l’Ukraine est encore une démocratie alors que des élections n’ont pas eu lieu depuis 2019. Non. Le problème, c’est que la Russie continue la guerre. Et que les partenaires de l’Ukraine, comme les Européens et les Américains, n’ont pas su ou n’ont pas pu exercer une pression suffisante pour qu’elle arrête ne serait-ce qu’une seconde la guerre, » explique Tetyana Ogarkova, qui est aussi professeure de littérature.

Dans les territoires contrôlés par Kiev, Anna Colin Lebedev reste prudente également : « Je vois mal les Russes accepter d’organiser une élection dans les territoires occupés alors qu’ils considèrent ces territoires comme faisant partie de la Fédération de Russie. En Ukraine, il y a, oui, un risque de manipulation ou de désinformation. »

Concernant la popularité du président ukrainien, élu en 2019 sur la promesse de lutter contre la corruption, elle bénéficie encore du soutien de la moitié de la population selon les derniers sondages. « Cependant, dans le détail, on observe deux choses. D’abord qu’il a un large soutien en tant que représentant de son État sur la scène internationale. En revanche, en matière de politique intérieure, les Ukrainiens lui reprochent de nombreuses choses concernant sa gestion et ses décisions. Il n’est pas en danger, mais ne bénéficie pas d’un culte de personnalité non plus dans le pays. »

Il n’y a pas de contestation massive, mais le soutien s’effrite alors que la guerre dure et que les perspectives de victoire ne semblent plus immédiates. Pour Tetyana Ogarkova, « la carrière politique de Volodymyr Zelensky s’arrêtera avec la fin de la guerre. Il est un Président en guerre et cela, personne ne le conteste. Mais il devra laisser la place aux autres. De plus, les différents scandales de corruption ne l’aident pas. »

En attendant de potentielles nouvelles élections, les premières depuis 2019, Volodymyr Zelensky a également confirmé que le plan américain pour sortir du conflit avait été divisé en trois documents : un accord-cadre de 20 points, des garanties de sécurité et un volet consacré à la reconstruction. « Nous en discutons avec les Américains et avons déjà commencé les discussions avec les Européens, » a-t-il affirmé, espérant transmettre une version actualisée à Washington très prochainement. Concernant l’adhésion à l’OTAN, il admet une réalité politique : « Nous sommes réalistes, nous voulons vraiment être dans l’OTAN. D’après moi, ce serait juste. Mais nous savons avec certitude que ni les États-Unis, ni quelques autres pays, pour être honnête, ne voient l’Ukraine dans l’OTAN à l’heure actuelle. »

L’Ukraine souhaite démontrer qu’elle reste une démocratie vivante, même en temps d’agression. Cependant, le pays doit surmonter des obstacles en matière de droit, de logistique, de sécurité et même de géopolitique pour pouvoir organiser des élections. Ainsi, l’Ukraine cherche à trouver un chemin où la protection de sa souveraineté ne compromet pas la voix de ses citoyens.