Visite de MbS à la Maison-Blanche : un deal F-35 en question ?
Mohammed ben Salmane n’avait plus foulé le sol des États-Unis depuis que le journaliste dissident Jamal Khashoggi a été tué par des agents saoudiens en Turquie en 2018. La justice saoudienne a finalement annulé les peines de mort des cinq accusés qui avaient été « traduits en justice ».
Mohammed ben Salmane n’avait pas mis les pieds aux États-Unis depuis l’assassinat du journaliste dissident Jamal Khashoggi, survenu en 2018 aux mains d’agents saoudiens en Turquie. À cette époque, Donald Trump était déjà président.
Cet assassinat, particulièrement choquant, avait engendré un tollé international. Jamal Khashoggi a été enlevé, torturé, puis découpé dans les locaux du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.
Dans cette affaire, l’impunité règne. La justice saoudienne a finalement annulé les peines de mort des cinq accusés, qui avaient été « traduits en justice ». Le prince héritier a démenti avoir commandité cette opération tout en affirmant en assumer la responsabilité en tant que dirigeant de facto de l’Arabie saoudite.
D’après un rapport des services de renseignement américains, Mohammed ben Salmane a en réalité approuvé l’enlèvement et l’assassinat du journaliste dissident.
Cependant, les affaires priment avant tout. Le président américain Donald Trump déploie le tapis rouge pour MbS.
« Le seul pays qui est en mesure d’influencer le cours du baril », déclare Hasni Abidi, directeur des centres d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen et chargé de cours à l’Université de Genève. « Les États-Unis ont besoin de l’Arabie saoudite et l’Arabie saoudite a aussi besoin des États-Unis. C’est un leader régional tant sur le plan diplomatique qu’économique. »
L’accueil à Washington est chaleureux. « Les Saoudiens vont dépenser beaucoup d’argent aux États-Unis », se réjouit un représentant de la Maison-Blanche.
Plusieurs accords bilatéraux, notamment dans le domaine de l’armement et des technologies, sont attendus. Ces contrats, d’un montant de plusieurs milliards de dollars, devraient bénéficier aux Américains, y compris à la famille Trump, en renforçant le rôle de l’Arabie saoudite dans la région du Proche-Orient, sur fond de conflit israélo-palestinien.
Ce qui attire l’attention, c’est la vente imminente de 48 avions de chasse F-35 à l’Arabie saoudite, une transaction sans précédent entre Washington et Riyad. « Les F-35 et d’autres armements constituent une ancienne demande saoudienne qui a toujours été bloquée, en raison de son implication dans la guerre au Yémen », explique Hasni Abidi. « C’est une commande record. Si elle est acceptée par les États-Unis, on peut vraiment parler d’un deal historique. »
Cette vente pourrait constituer un tournant politique, modifiant l’équilibre militaire au Proche-Orient alors que les États-Unis défendent depuis longtemps un « avantage militaire qualitatif » d’Israël dans la région. Jusqu’à présent, Israël est le seul pays du Proche-Orient à avoir des avions de chasse F-35.
Hasni Abidi tempère cependant cette acquisition : « Si l’Arabie saoudite se dote des F-35, elle aura un statut de puissance régionale. Mais elle ne pourra pas rivaliser avec Israël, qui est également un pays producteur d’armes sophistiquées. »
Cette vente est également perçue comme un signe que l’Arabie saoudite se taille une place importante dans la redéfinition des relations au sein de la région. Israël s’en méfie, craignant que ces F-35 puissent être utilisés contre elle. Le chef de l’opposition israélienne, Yaïr Lapid, souligne que l’acquisition des avions ne peut être conditionnée qu’à la reconnaissance d’Israël par l’Arabie saoudite. Les Saoudiens, quant à eux, rassurent les Palestiniens en affirmant qu’il n’y aura aucune reconnaissance d’Israël en raison de l’alliance avec le gouvernement d’extrême droite au pouvoir.
Il semble difficile d’imaginer Donald Trump céder : « Donald Trump est un président qui a été élu sur la promesse de l’America First. J’ai du mal à croire qu’il réponde à la demande israélienne de renoncer à la vente des F-35 sans normalisation », anticipe le chercheur.
Ce sont donc les transactions et la réalité politique qui priment.
L’État hébreu continue de bénéficier d’une grande influence et d’un fort soutien à la Maison-Blanche, mais depuis septembre, Benyamin Netanyahou a vu avec consternation que son raid militaire sur le Qatar contre des dirigeants du Hamas avait changé la donne, précipitant la fin de l’offensive à Gaza.
Selon Hasni Abidi, les Saoudiens et les responsables du Golfe échangent que « longtemps on a cru que l’Iran était une menace substantielle, mais depuis les attaques répétées d’Israël contre la Syrie et surtout contre le Qatar, Israël est perçu comme un agent perturbateur dans la région. »
En parallèle des équipements militaires, Mohammed ben Salmane recherche des garanties sécuritaires et un accès à des technologies d’intelligence artificielle, essayant d’avancer vers un accord sur un programme nucléaire civil.
« Donald Trump veut que les Saoudiens soient liés à nous dans ces domaines, et pas à la Chine », analyse Dennis Ross, ancien négociateur américain au Proche-Orient, aujourd’hui membre du think tank Washington Institute for Near East Policy. L’objectif de Trump est de développer une relation multifontionnelle avec l’Arabie saoudite pour éviter son rapprochement avec la Chine.
En contrepartie, Donald Trump espère que les promesses d’investissements évalués à 600 milliards de dollars de Ryad, faites lors de sa visite en mai, se concrétiseront.
Les affaires avec l’Arabie saoudite profitent également à la famille Trump. « La diplomatie américaine sous Donald Trump se base sur une logique transactionnelle, l’usage de la force et s’appuie sur le cercle familial », affirme Hasni Abidi.
Donald Trump a établi des liens personnels et d’affaires avec les monarchies du Golfe. Le New York Times a révélé un projet immobilier de grande envergure de la Trump Organization en Arabie saoudite. « On appelle cela une diplomatie cadastrale », résume le chercheur, « les personnes du cercle familial de Trump viennent tous de milieux immobiliers. »
Le conglomérat familial, dirigé depuis 2016 par ses fils, Donald Junior et Eric Trump, mise sur l’essor du tourisme et de l’immobilier de luxe dans les monarchies pétrolières.
Le conflit d’intérêts est flagrant : Donald Trump demeure actionnaire de la Trump Organization à travers un trust. Son gendre Jared Kushner est aussi impliqué dans les fonds souverains d’Arabie saoudite.
Ainsi, le président américain aborde la diplomatie avec le prince Mohammed ben Salmane, tandis que sa famille négocie des contrats lucratifs, renforçant l’influence de l’Arabie saoudite à Washington.
Cette situation, mêlant affaires et diplomatie, soulève des interrogations sur le poids des contre-pouvoirs américains, constamment mis à l’épreuve par l’administration Trump.

