« Un petit groupe de gens qui terrorisent » : Elie Barnavi réagit à l’annulation d’un débat à Liège suite à des menaces
Évoquant l’annulation du débat « Géopolitique de la démocratie » pour La Libre, l’ancien ambassadeur d’Israël en France parle d’une « forme de fascisme » et d' »un petit groupe de gens qui terrorisent et rendent impossible tout débat public ». Il revient aussi sur son passage mouvementé à l’ULB en juin dernier et réitère ses propos qui avaient fait grand bruit dans les médias français.
- Publié le 27-11-2024 à 18h44
- Mis à jour le 27-11-2024 à 21h37
Initialement prévu ce jeudi 28 novembre, le débat « Géopolitique de la démocratie », qui s’inscrivait dans le cadre des Rencontres internationales du film politique PolitiK, à la Cité Miroir de Liège, a été annulé suite à des menaces.
« Un climat délétère où le courage de l’analyse et de la nuance sont exclus »
« Face à la pression croissante de ces menaces, aux appels à la manifestation et à la dégradation du bâtiment de la Cité Miroir« , les organisateurs de l’évènement et les autorités locales ont décidé, ce mercredi, d’annuler le débat qui devait s’y dérouler, indique PolitiK, par voie de communiqué. « Pour les organisateurs de PolitiK, il est inconcevable d’envisager cette rencontre dans un climat délétère où le courage de l’analyse et de la nuance sont exclus. Le débat démocratique se construit sur l’écoute, le respect et l’échange. Il se doit d’être ouvert et sans tabou avec pour seul guide le ‘vivre ensemble’. […] PolitiK espère que cette annulation ouvrira à la réflexion de celles et ceux qui considèrent que la censure et le rejet prévalent. Les organisateurs regrettent profondément cet état de faits et s’engagent d’ores et déjà à poursuivre le combat pour la défense de la démocratie et des droits fondamentaux.«
L’invitation de l’ancien ambassadeur d’Israël en France au cœur des critiques
Le débat était censé aborder divers évènements récents ayant fragilisé le modèle démocratique tels que la montée de l’extrême droite dans divers pays européens, la réélection de Donald Trump à la présidentielle américaine, ou encore les nombreuses guerres se déroulant actuellement, dont celle en Ukraine, mais aussi entre Gaza, Israël et le Liban. Pour évoquer ces sujets, quatre intervenants devaient prendre la parole, dont l’historien, essayiste, et ancien ambassadeur d’Israël en France, Elie Barnavi. Cette participation avait suscité de vives réactions du côté d’organisations militantistes. Lundi, le mouvement « Liège Occupation Free », associé à d’autres collectifs, avait même appelé Elie Barnavi lui-même à annuler sa venue, tout en préparant l’organisation d’une « mobilisation massive » devant la Cité Miroir durant la conférence. « Cette invitation soulève une vive indignation, ses positions étant incompatibles avec les valeurs de solidarité et de résistance portées par cet espace« , indiquait le collectif sur Instagram.
« On est dans une espèce de racisme à l’envers, il suffit de venir de quelque part et on est annulé »
« On est en train de verrouiller le débat public », réagit Elie Barnavi
Contacté par La Libre, Elie Barnavi a d’abord évoqué la façon dont il avait appris l’annulation de l’évènement. « On m’a appelé pour me dire que, n’écoutant que leur courage, ils ont décidé d’annuler la conférence« , indique-t-il. « J’ai déjà eu une énorme affaire avec l’ULB« , a-t-il ensuite rappelé, en référence à sa venue sur le campus bruxellois en juin dernier dans le cadre d’une conférence-débat intitulée « Israël/Palestine : où va-t-on ? », qui avait été encadrée par des mesures de sécurité. « Il y a une espèce de peur bleue des manifestations« , lance-t-il. « C’est ce que les Anglais appellent un pattern, un modèle de comportement, si vous voulez. Il y a un petit groupe de gens qui terrorisent et qui rendent impossible tout débat public. […] On est en train de verrouiller le débat public« , s’inquiète-t-il par la suite.
« Moi, je suis un modéré, un militant de la paix depuis toujours. Mais peu importe ce que je dis, ce que je suis, ce que je fais… ce qui importe c’est ce que je suis« , explique Elie Barnavi. « On est dans une espèce de racisme à l’envers, il suffit de venir de quelque part et on est annulé. On vit vraiment une époque sinistre. […] Ceux qui me suppriment estiment que Juifs, Israéliens, tout ça… c’est la même chose. Il y a un noyau dur qui ne fait aucune différence.«
« Je n’ai jamais connu ça. Il y a quelque chose de fou »
L’ancien ambassadeur d’Israël en France d’ensuite s’inquiéter : « Je ne suis pas Belge ni Européen, je viens d’Israël, mais je connais ce pays. Je suis un vieux routier du terrain intellectuel francophone en Belgique, en France. Et je dois dire que je n’ai jamais connu ça. Il y a quelque chose de fou. Est-ce que c’est un mauvais moment à passer ? Ou est-ce qu’on va supporter cette indignité pendant longtemps encore ?« , s’interroge-t-il. « Je n’en sais rien, mais je sais que si on ne réagit pas, je ne donne pas cher de la démocratie et du débat démocratique dans ce pays, c’est lamentable.«
« Il suffit que je dise que les hivers sont plus froids que les étés pour que ce soit considéré comme une parole fasciste »
Une « forme de fascisme »
Interrogé sur l’origine des pressions ayant mené à l’annulation du débat auquel il devait participer, Elie Barnavi indique : « Ce que je sais, c’est qu’un groupe de gens, pas forcément très nombreux, est capable de terroriser une ville, d’empêcher un débat, c’est-à-dire des sujets brûlants d’actualité qui devraient intéresser tout le monde. » Débat qui, justement, portait sur la mise en péril des démocraties. « Franchement, ils s’en foutent. Il suffit que je dise que les hivers sont plus froids que les étés pour que ce soit considéré comme une parole fasciste. On est dans le discours disqualifiant de tous ceux qui ne sont pas comme eux. Vivre dans ce type de société ne m’intéresse pas. Je trouve ça effrayant, c’est une forme de fascisme, et il faut réagir avec la vigueur nécessaire pour rétablir une espèce de vie démocratique, de capacité de conduire un débat civilisé. Et là, on est mal parti. » L’historien nuance ensuite en reconnaissant qu' »il y a des gens qui tiennent des discours inaudibles« , tout en se défendant : « ce n’est toutefois pas mon cas« . « Il y a des discours de haine qui, effectivement, ne rentrent pas dans le cadre du discours civilisé, mais tout autre discours doit pouvoir être entendu et débattu, non ? »
Des propos qui avaient fait grand bruit
Dans sa publication Instagram appelant au boycott de l’évènement, le collectif Liège Occupation Free décrit Elie Barnavi comme « un normalisateur qui dissimule l’oppression coloniale envers les Palestiniens sous des propositions diplomatiques« . « Ce que ces gens-là disent de moi m’indiffère complètement« , répond l’ex-ambassadeur. « Si je les avais en face de moi, je leur dirais qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent, qu’ils ne s’informent pas. C’est une énormité, comme tout ce qu’ils disent. » « Être traité d’idiot par un imbécile est un plaisir raffiné« , glisse ironiquement Elie Barnavi, citant l’écrivain français Georges Courteline (la citation exacte est « Passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est une volupté de fin gourmet.« , NdlR).
« La guerre juste qui était au début est devenue une guerre injuste et injustifiée »
En outre, le collectif Liège Occupation Free s’indigne des propos tenus par l’ancien ambassadeur d’Israël sur la chaîne française BFM TV le 21 mai dernier. Il avait alors qualifié la « riposte » israélienne de « justifiée » et « nécessaire ». Le 15 octobre, il avait déclaré à FranceInfo que « La chose la plus simple, c’est de soumettre Gaza à un tapis de bombes sans se poser de questions ». Aujourd’hui, l’historien maintient ces propos, tout en insistant sur une nécessaire contextualisation. « Ce qui s’est passé le 7 octobre était tellement affreux, tellement hors normes, que la riposte militaire était inévitable. Mais je ne cesse de dire que la guerre juste qui était au début est devenue une guerre injuste et injustifiée. Maintenant, c’est devenu une guerre politique pour la sauvegarde de la coalition de M. Netanyahou et pour l’extension de l’économie. […] Pou un terroriste armé, on va démolir un bâtiment. C’est devenu une opération monstrueuse, sans objet, sans justification« , déplore-t-il. « Ce que l’on me reproche d’avoir dit, c’est ce que tout le monde avait dit à l’époque : lorsque l’on vous attaque de cette manière, la moindre des choses c’est de riposter.«
Un « délabrement de la démocratie libérale »
Même s’il regrette l’annulation du débat, Elie Barnavi ne la prend pas de façon personnelle. « Je sais que les gens qui m’ont invité sont mes amis. Ils étaient bien attentionnés. De la même manière que je n’ai pas pris personnellement l’espèce de folie qui a entouré mon apparition à l’ULB. » « Je le perçois comme une manifestation du délabrement du débat intellectuel en Europe et aux États-Unis, et le délabrement, donc, de la démocratie libérale. C’est extraordinairement inquiétant« , finit-il par confier.
-> Notons qu’Elie Barnavi était sur le plateau de LN24 ce mercredi soir pour évoquer le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah au Liban :