Thierry Levêque : le procès Sarkozy, entre image et enquête médiatique.
Thierry Levêque déclare que « D’abord, une partie de la presse française est sous influence, notamment les médias du groupe de Vincent Bolloré, proche de Nicolas Sarkozy. » Il ajoute que « Ce 21 octobre restera une page historique : celle de l’incarcération d’un ancien chef d’État français. »

Pourquoi affirmez-vous que la couverture médiatique de l’incarcération de Nicolas Sarkozy ne fait pas honneur au journalisme ?
Pour Thierry Levêque, il est manifeste qu’ »on a assisté à un véritable spectacle. Une multitude de caméras et de photographes a suivi son véhicule depuis le 16ᵉ arrondissement jusqu’à la prison de la Santé, en direct sur les chaînes d’information. On a vu l’image d’un homme conduit au supplice, au lieu d’adopter une approche analytique et pédagogique sur les raisons de cette incarcération et sur le verdict« .
Cette faible qualité d’analyse est-elle liée à l’absence de journalistes lors du procès ?
« Précisément. Très peu de médias généralistes ont couvert les audiences. Le procès Sarkozy représentait une affaire politique et financière d’envergure, mais la plupart des grands médias – notamment audiovisuels – étaient absents. Hormis Le Monde, Mediapart, Marianne ou les Jours, où je travaille, il y avait peu de reporters présents quotidiennement au tribunal« , précise le journaliste.
Quelles sont, selon vous, les principales causes de ce phénomène ?
Thierry Levêque souligne que « Tout d’abord, une partie de la presse française est sous influence, notamment les médias appartenant au groupe de Vincent Bolloré, proche de Nicolas Sarkozy. Il y a eu un black-out sur le procès, suivi d’une campagne de dénigrement de la décision judiciaire. Les rares articles parus avaient souvent pour objectif de minimiser les faits ou de critiquer le jugement. Même le service public n’a pas été à la hauteur : dans l’ensemble, le suivi judiciaire était insuffisant« .
Ce déséquilibre dans la couverture médiatique a-t-il impacté la perception du public ?
« Un grand nombre de commentateurs ont réagi sans maîtriser les fondamentaux du dossier. Ils débattaient sur la normalité qu’un ancien président aille en prison, sans exposer les éléments concrets de l’affaire : promesses diplomatiques contre argent libyen, ventes d’Airbus, intermédiaires liés à Kadhafi… Si tout cela avait été clairement expliqué, le public aurait mieux compris les raisons de cette lourde condamnation« , analyse le spécialiste des affaires judiciaires.
Le débat autour de « l’exécution provisoire » a également surpris. Pouvez-vous expliquer ce principe juridique ?
« En France, c’est une pratique courante : lorsqu’un condamné reçoit une peine de prison ferme en première instance, il est immédiatement incarcéré, même s’il fait appel. Cela concerne aussi bien un mari violent qu’un conducteur ivre ou un petit dealer. Cette pratique existait bien avant Sarkozy. Ce qui est troublant, c’est qu’elle ne suscite des controverses que lorsqu’elle concerne un ancien président« , explique Thierry Levêque.
Que révèle cet épisode sur la situation du journalisme judiciaire aujourd’hui ?
Pour le journaliste Thierry Levêque, la presse en France est en péril. Selon lui, « Elle reflète une dérive inquiétante. De nombreux éditorialistes commentent sans avoir assisté aux audiences. Informer suppose d’avoir entendu les débats, compris les pièces, confronté les arguments. Sans cela, on produit du commentaire sans connaissance. C’est une défaite pour notre profession, d’autant plus grave lorsqu’il s’agit d’un protagoniste aussi central que Nicolas Sarkozy dans la vie politique française« .
En résumé ?
Pour Thierry Levêque, « Ce 21 octobre demeurera une date historique : celle de l’incarcération d’un ancien chef d’État français. Mais cela représente aussi le symbole d’un journalisme superficiel, plus enclin à retransmettre des images qu’à décrire le fonctionnement de la justice« .

