Belgique

Tensions entre les Pays-Bas et la Chine : nouvelle pénurie de puces ?

En 2018, Wingtech a racheté Nexperia pour plus de trois milliards et demi de dollars, renforçant sa position dans le domaine stratégique de la microélectronique avec l’expérience de 12.500 travailleurs. En 2024, le gouvernement britannique a contraint Wingtech à vendre ses parts d’une société galloise de puces électroniques, tandis que les États-Unis l’ont placée sur la liste d’entités agissant contre leur sécurité nationale.

Un scénario jamais vu

En 2018, le chinois Wingtech a acquis Nexperia pour plus de trois milliards et demi de dollars, s’assurant ainsi le savoir-faire et l’expérience de 12 500 travailleurs à travers le monde. Cette acquisition a renforcé sa position dans le secteur stratégique de la microélectronique.

Les semi-conducteurs produits par Nexperia, bien que relativement simples tels que les diodes et transistors, constituent la base d’autres composants qui équipent divers appareils, des réfrigérateurs aux automobiles de toutes marques.

Depuis cette acquisition, Wingtech suscite des inquiétudes parmi les Occidentaux. En 2024, la société a été contrainte par le gouvernement britannique de céder ses parts dans une entreprise galloise de puces électroniques. Parallèlement, les États-Unis ont inscrit Wingtech sur la liste des entités considérées comme menaces pour leur sécurité nationale.

Dans un communiqué, le gouvernement néerlandais a évoqué des « signaux récents et critiques de graves manquements et agissements administratifs chez Nexperia. » Il a également décidé d’activer pour la première fois depuis 1952 la « loi sur la disponibilité des biens », qui permet de bloquer des décisions jugées préjudiciables, sans nationaliser ou prendre le contrôle d’une société privée.

Officiellement, les Pays-Bas ont déclaré avoir « récemment reçu des signaux graves et urgents indiquant que l’entreprise présente des lacunes majeures susceptibles de compromettre la sécurité d’approvisionnement, » selon Vincent Karremans, ministre de l’Économie. Toutefois, des sources non officielles semblent indiquer que le directeur de Nexperia est directement visé.

Des répercussions en cascade

Zhang Xuezheng, directeur général de Nexperia et de sa société mère Wingtech, a fait acheter pour 200 millions d’euros de composants à une autre entreprise qu’il dirige, alors que Nexperia avait des besoins presque trois fois moins importants, suscitant ainsi des soupçons.

Suite à la décision politique néerlandaise, la justice a également réagi. La Chambre des sociétés de la Cour d’appel d’Amsterdam a ordonné la suspension de Zhang Xuezheng, remplacé par un administrateur local. Cette décision a provoqué la colère de l’intéressé, et en réponse, les autorités chinoises ont bloqué les exportations des usines Nexperia situées en Chine, où le site de Dongguan peut produire jusqu’à 50 milliards de puces électroniques par an.

Moins de puces pour les voitures, moins de puces pour les robots qui les fabriquent, et la menace d’une pénurie semblable à celle de l’après-Covid refait surface.

Nouvelle crise des semi-conducteurs ?

À la fin de l’épidémie sanitaire en 2021, les fabricants de puces électroniques peinaient déjà à satisfaire une demande en forte hausse, exacerbée par les arrêts dus aux confinements, des catastrophes climatiques frappant des usines importantes, l’augmentation des ventes d’ordinateurs et de consoles de jeux, ainsi que le développement des voitures électriques.

Tout cela a eu des conséquences significatives sur les livraisons de véhicules. Il n’était pas rare d’attendre au moins un an avant de recevoir une voiture payée à prix fort, en raison d’un déséquilibre entre l’offre et la demande.

La dispute sino-néerlandaise pourrait plonger le secteur dans une nouvelle crise similaire. L’association des constructeurs européens tire la sonnette d’alarme.

Dans un communiqué, Sigrid de Vries, directrice générale de l’ACEA, a déclaré : « Les constructeurs automobiles ont pris des mesures ces dernières années pour diversifier leurs chaînes d’approvisionnement, mais le risque ne peut être réduit à zéro. Il s’agit d’un problème intersectoriel qui touche un grand nombre de fournisseurs et la quasi-totalité de nos membres. Nous nous trouvons soudainement dans une situation alarmante.« 

Contactée par nos soins, l’association a assuré « rester en contact étroit avec toutes les parties, » mais se montre incapable d’agir, car seule une issue diplomatique serait envisageable.

Des constructeurs qui rassurent… momentanément !

Les fabricants d’automobiles et leurs sous-traitants affichent une modérée tranquillité. À Genk, Volvo assure avoir un stock suffisant pour les semaines à venir, mais ne garantit rien pour le reste de l’année.

Ce vendredi matin, D’Ieteren, l’importateur belge du groupe Volkswagen, a confirmé n’avoir reçu aucune note d’Allemagne concernant d’éventuelles implications. Cependant, dans l’après-midi, les responsables allemands ont adopté un ton moins rassurant : « La production pour la semaine à venir est sécurisée dans l’état actuel des choses sur tous les sites de production allemands du groupe Volkswagen. » Une seule semaine de garantie, alors que le constructeur est en train de négocier avec d’autres fabricants de puces.

L’inquiétude s’étend aussi à d’autres secteurs industriels. Les groupes électrogènes, machines-outils, et machines agricoles ou de construction utilisent tous des semi-conducteurs.

Comparaison n’est pas raison

Contrairement à la crise précédente, celle-ci ne concerne qu’un producteur de puces électroniques et non l’ensemble du secteur. Les industriels ont tiré des leçons des années passées et ont diversifié leurs sources d’approvisionnement. Toutefois, avec parfois plus de 3 000 puces dans une voiture, un unique manquement peut perturber l’ensemble du système et arrêter la chaîne de production.

En outre, cette crise ne résulte pas d’un problème structurel, mais d’une tension diplomatique bilatérale. Faute de transparence sur les discussions potentielles entre les gouvernements concernés, il est impossible de prévoir un dénouement rapide. Si vous envisagez de commander une voiture lors du prochain salon de l’automobile, gardez à l’esprit cette crise qui pourrait avoir des implications plus larges que prévu. L’effet papillon, théorie selon laquelle le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas, pourrait bien s’appliquer ici.