Belgique

Souveraineté numérique européenne : « Trump soulève une question éternelle »

Le Danemark a récemment annoncé vouloir renoncer progressivement aux solutions de Microsoft pour se tourner vers des logiciels libres. Fabrice Epelboin souligne qu’il n’y aura pas de GAFAM européens et que l’Europe devrait miser sur des solutions basées sur les logiciels libres pour reconquérir sa souveraineté numérique.


Microsoft, comme d’autres grandes entreprises technologiques, suscite à la fois fascination et inquiétude. Récemment, le Danemark a annoncé son intention de renoncer progressivement aux solutions de la société américaine pour adopter des logiciels libres.

Faut-il, pour assurer notre souveraineté numérique, s’inspirer de l’exemple danois ? C’est la question abordée ce vendredi 26 septembre dans Les Couleurs de l’Info, avec Fabrice Epelboin.

Pour cet expert des médias sociaux, il ne s’agit pas seulement de protéger la souveraineté numérique, mais de la reconquérir. « On est un territoire colonisé et l’arrivée de Donald Trump amène une question qu’on aurait dû se poser depuis longtemps, celle de notre souveraineté numérique. »

D’après lui, compte tenu des ressources de pays comme la France ou la Belgique, l’accent doit être mis sur des secteurs stratégiques, car il sera compliqué de tout récupérer.

### À l’instar du Danemark, peut-on vraiment s’émanciper ?

En dressant un bilan de la situation danoise concernant la souveraineté numérique, Fabrice Epelboin rappelle que le Danemark a connu des moments d’angoisse. Le projet d’annexion du Groenland par Donald Trump a probablement donné lieu à des discussions au sein des hautes autorités, y compris l’état-major militaire, « pour envisager que le conflit dégénère ».

« Les militaires ont dû leur expliquer que, de toute façon, un conflit avec la puissance américaine signifierait que les avions seraient cloués au sol, et que toutes les infrastructures informatiques du pays s’arrêteraient instantanément, paralysant ainsi l’ensemble du pays. »

Cette prise de conscience a dû servir d’ »alerte » aux autorités, qui ont réalisé à quel point elles étaient « en situation de totale dépendance ».

Selon Epelboin, cette expérience danoise devrait alerter d’autres États, car ce constat s’applique à bien d’autres pays. « Pour l’instant, le problème est enfin une discussion que l’on peut avoir publiquement. Ce n’était pas du tout le cas avant le début du second mandat de Trump. C’était une question réservée à des cercles d’initiés et rapidement étiquetée comme des idées de fachos, parce que la souveraineté est vue négativement. »

### « Des territoires perdus »

La souveraineté numérique est, selon lui, « vitale pour les militaires ». « Et pour de grandes entreprises publiques, c’est très important », ajoute Fabrice Epelboin. À long terme, il est aussi crucial de continuer ces transformations, tout en tenant compte du fait que « des territoires sont perdus » et qu’on ne pourra jamais les reconquérir.

### Il n’y aura pas de GAFAM européens

Reconquérir une partie ou la totalité des services numériques au niveau européen nécessiterait des investissements colossaux. Or, l’Europe n’est pas la Silicon Valley et les géants technologiques tardent à émerger. Pour Fabrice Epelboin, le constat est pessimiste : « Il n’y a pas et il n’y aura pas de GAFAM européens. Ce n’est pas sur ce modèle-là que l’on peut espérer reconquérir une souveraineté numérique. »

### Les logiciels libres

Malgré l’absence de modèles similaires aux GAFAM, il existe des solutions fondées sur les logiciels libres, rappelle Epelboin. « Il existe une quantité ahurissante de solutions informatiques, de la suite bureautique à des systèmes très complexes, qui sont basées sur du logiciel libre. » Selon lui, l’Europe devrait donc miser sur ces alternatives pour restaurer, lorsque cela est indispensable, sa souveraineté numérique.

Cependant, ces solutions « coûteront extrêmement cher », sans oublier les « investissements colossaux en matière d’éducation ». Ce changement, s’il devait se produire, nécessiterait un « effort considérable » qui « se déroule sur un long terme » et qui « dépasse hélas le temps d’un mandat politique. Donc, cela demande des hommes d’État, plus que des hommes politiques. »

Donald Trump représente, pour Fabrice Epelboin, une opportunité de mettre sur la table toutes ces questions. Il propose de commencer par réaliser un véritable audit au niveau européen afin d’évaluer notre degré de dépendance.

### S’assurer qu’en cas de conflit armé notre armée ne reste pas paralysée au sol

Même si les services publics, les administrations et la Défense choisissent des logiciels libres, notre vulnérabilité demeurera, puisque la plupart des citoyens utilisent quotidiennement les solutions des géants technologiques. Epelboin précise : « Ce serait vraiment s’assurer qu’en cas de conflit armé notre armée ne reste pas paralysée au sol. Cela ne signifie pas pour autant que nous serons souverains. »

Il souligne aussi que lorsque les citoyens utilisent les réseaux sociaux, « les citoyens européens sont sur un sol américain ou chinois ». Il n’y a donc « aucun espace dans lequel se forge l’opinion publique de l’Europe ». Il note que les médias traditionnels ont évolué, passant d’un simple théâtre d’opinion au XXe siècle à un acteur parmi d’autres au sein des réseaux sociaux.

Cette problématique des réseaux sociaux ne pourra pas être résolue par l’Europe, selon lui. « Les Américains ont une vision de la liberté d’expression très différente de celle que l’on a en Europe. Pour l’utilisateur moyen européen, il faut se mettre à sa place, il préfère la version américaine, qui est beaucoup plus souple et lui offre plus de droits que la version européenne. »

**L’intégralité de l’entretien avec Fabrice Epelboin, enseignant à Sciences Po et spécialiste des médias sociaux, peut être écoutée dans la séquence Auvio en tête d’article.**