Belgique

Simon Gronowski, rescapé de la Shoah à 11 ans, « ne cesse pas de lutter pour la paix »

Le 19 avril 1943, Simon Gronowski et sa mère, Chana Kaplan, font partie des 1600 Juifs dans le vingtième convoi à destination d’Auschwitz. Aujourd’hui âgé de 94 ans, Simon Gronowski affirme toujours lutter contre l’antisémitisme et l’extrême droite.


19 avril 1943, Simon Gronowski et sa mère, Chana Kaplan, font partie des 1600 Juifs entassés dans le vingtième convoi à destination d’Auschwitz. À quelques kilomètres d’eux, trois hommes, Youra Livchitz, Robert Maistriau et Jean Franklemon, s’apprêtent à réaliser un acte de résistance pour libérer le plus de déportés possible. Lorsque le train ralentit, Shana ordonne à son fils de 11 ans de sauter du wagon. Simon obéit et court vers les bosquets… Mais il ne voit pas sa mère le suivre. Elle sera gazée à son arrivée au camp d’Auschwitz. Peu après, la sœur de Simon, Ita, subira le même sort. Le père de famille, Léon, mourra de chagrin en 1945.

Simon est libre, mais il se sent « vraiment seul ». C’est ce qu’il écrira des décennies plus tard dans son dernier livre, « Plaidoyer pour la paix ». Le piano deviendra finalement son moyen de surmonter cette solitude. « Après la guerre, je suis resté très malheureux, j’étais seul au monde. J’ai beaucoup pleuré mais j’adorais ma sœur, grande pianiste classique, assassinée par les nazis à la veille de ses 19 ans. En pensant à elle, je me suis mis à jouer du piano. La musique pour moi, surtout le jazz, a été après la guerre un facteur d’équilibre et d’intégration », confie-t-il à François De Brigode.

Il décroche ensuite son diplôme d’avocat, exerce au barreau de Bruxelles et obtient un doctorat en droit. Parallèlement, il rencontre l’amour et devient père de deux enfants. Cependant, pendant 60 ans, Simon ne parle pas de son histoire, à l’exception de quelques mots à sa famille proche. « J’ai gardé le silence pendant 60 ans », avoue-t-il. « Mes proches savaient, mais je voulais vivre. Je ne pouvais pas constamment remuer cette tragédie. » Plus tard, Simon Gronowski prendra conscience qu’il est essentiel de « vivre pour le présent, pour l’avenir… mais ne jamais oublier le passé. »

« La victime peut pardonner le criminel à trois conditions. (…) Quand ces trois conditions sont réunies, la victime non seulement peut, mais doit pardonner. »

Il commence alors à raconter son histoire à ceux qui le lui demandent, en particulier aux jeunes, avec le même message : la nécessité de croire en la bonté humaine et d’accorder son pardon. « La victime peut pardonner le criminel à trois conditions : d’abord, il faut que le coupable fasse la démarche de demander pardon. Deuxièmement, il faut qu’il regrette ce qu’il a fait, qu’il ait du repentir. Et troisièmement, il doit être sincère », explique-t-il. « Quand ces trois conditions sont réunies, la victime non seulement peut mais doit pardonner. Si j’avais refusé ce pardon qui m’était imploré, j’aurais maintenu l’amertume et la haine des deux côtés. Il y a des gens qui voudraient que des enfants et descendants des nazis et des enfants et descendants des victimes soient séparés à jamais. Et cela, c’est la porte ouverte à de nouvelles guerres. »

« Koenraad n’est pas responsable des idées de son père. »

Ce pardon, il l’accorde également à Koenraad Tenel, qui a eu l’honneur d’illustrer son livre paru en novembre dernier. « C’est un grand artiste flamand, un sculpteur, dessinateur, peintre… mais c’est aussi le fils d’un nazi. Un flamingant de Gand qui adorait Hitler et qui a envoyé ses deux fils aînés dans les Waffen-SS », raconte Simon Gronowski. « Koenraad n’avait que 6 ans quand les nazis ont attaqué la Belgique le 10 mai 1940. Il n’est pas responsable des idées de son père. Et son père est mort dans les années 60 sans avoir jamais changé ses idées, ni regretté ses crimes, en léguant sa culpabilité sur le dos de Koenraad. » Rencontré par hasard, Koenraad lui confie avoir pleuré en lisant son histoire. « Lui, le fils d’un nazi, d’un antisémite féroce », souligne Simon Gronowski. « Et moi, j’ai répondu : ‘les enfants des nazis ne sont pas coupables.’ Cette phrase toute simple, spontanée, évidente, lui a fait de l’effet car elle lui venait d’une victime des nazis. »

Aujourd’hui âgé de 94 ans, Simon Gronowski affirme toujours avec conviction lutter contre l’antisémitisme et l’extrême droite. « L’extrême droite, c’est le berceau du fascisme, du nazisme, du racisme et de l’antisémitisme dont j’ai été victime. Comment le combattre ? Il y a deux moyens pacifiques : d’abord, par le devoir de mémoire que j’accomplis notamment aujourd’hui et partout où je vais. Pour les jeunes, c’est capital. Ils doivent connaître la barbarie d’hier pour défendre la démocratie d’aujourd’hui. Je ne leur apporte pas un message de chagrin, mais d’espoir et de bonheur. »

« Je crois en la bonté humaine. »

Un espoir auquel il s’accroche. « J’ai confiance dans l’avenir car je crois en la bonté humaine. Je dis que l’Homme est bon. Il y a des exceptions, mais en général, l’Homme, les jeunes et les moins jeunes, ont la bonté en eux. Ils ne supportent pas la cruauté, l’injustice et le mensonge », assure-t-il à François De Brigode après avoir joué l’air d' »Imagine » de John Lennon, « un chant d’espoir, de paix, de liberté et de démocratie ». « Et je lutte moi pour la paix, pour la démocratie et pour l’amitié entre les hommes. »

« Plaidoyer pour la paix » figure parmi les recommandations de François De Brigode cette semaine. L’émission « Culture en prime » reviendra quant à elle vendredi prochain, à 20 heures sur La Une et en streaming sur Auvio.