Shabnam Salahshoor : « A travers le foot, j’ai obtenu ma liberté »
Le 31 août dernier, un séisme a frappé l’est de l’Afghanistan, faisant plus de 2200 morts, dont des femmes et filles restées coincées dans les décombres. Dans un rapport publié cet été, les Nations Unies pointent plus de 70 décrets des talibans qui « poursuivent méthodiquement leur entreprise d’effacement des femmes de la vie publique ».
Le sort des femmes en Afghanistan est tragique. Cela a été particulièrement visible à la suite du séisme dévastateur survenu à l’est du pays le 31 août dernier, qui a causé plus de 2 200 morts. Parmi les victimes, de nombreuses femmes et filles ont été piégées sous les décombres. Le New York Times a rapporté qu’elles n’ont pas reçu de secours en raison du strict respect de la charia imposé par les talibans, interdisant tout contact physique entre des hommes et des femmes qui ne sont pas de la même famille.
« Cela vient juste de leur façon de penser patriarcale et misogyne », déclare Shabnam Salahshoor. « Ils sont toujours restés entre eux dans les montagnes, vivant exclusivement entre hommes. Les femmes ne sont pas importantes pour les talibans sauf quand ils veulent se marier avec trois ou quatre femmes, avoir des relations sexuelles ou les utiliser pour faire la cuisine », s’exclame cette jeune femme de 24 ans, aux cheveux foncés et à la peau mate, ayant nourri son féminisme sur les terrains de football.
**Footballeuse en Afghanistan, un premier défi**
« J’ai cru que mon idole était Cristiano Ronaldo parce qu’on ne voyait pas d’athlètes féminines dans nos médias en Afghanistan. Mais après un moment, quand j’ai découvert Nadia Nadim, qui est une fille afghane ayant joué pour l’équipe nationale du Danemark, c’est elle qui est devenue mon idole », raconte Shabnam Salahshoor, qui a commencé à jouer au football vers l’âge de 13 ans.
Au début, sa famille « très, très traditionnelle » s’y opposait. « Mais comme je souffrais d’un problème mental, mon psychologue a dit à mes parents qu’il fallait que je fasse du sport ». Ses parents ont finalement accepté. Avec sa sœur, elle a intégré l’équipe de football de Hérat, dans l’ouest de l’Afghanistan. « Nous étions parmi les premières joueuses de l’équipe de foot de notre ville en 2014. »
À l’époque, même si l’Afghanistan n’était pas sous le contrôle des talibans, les femmes subissaient cette pression d’une société très conservatrice.
« A travers le foot, j’ai obtenu ma liberté. Je me suis battue contre ma famille traditionnelle. »
« Un jour, ma sœur et moi, en allant au stade pour l’entraînement, un homme a frappé ma sœur très fort. Nous avons fui car il savait que nous étions des joueuses de football. Une autre fois, un extrémiste a même dit à mon père que si ses filles jouaient au football, il leur trancherait la tête parce que la place des filles n’est pas dans le sport. »
Le père de Shabnam a alors enfermé ses filles pendant plusieurs semaines, sans même leur permettre d’aller à l’école. Elles ont dû attendre un an avant de pouvoir rejouer au football, grâce à la solidarité de leur coach et de leurs coéquipières.
Cette expérience a renforcé l’engagement de cette jeune fille au sourire rayonnant et au regard déterminé. « Pour moi, le sport, ce n’est pas qu’un loisir, une compétition ou un match. A travers le foot, j’ai obtenu ma liberté. Je me suis battue contre ma famille traditionnelle. C’est grâce au football que je suis entrée dans les mouvements politiques de notre ville, que j’ai pu travailler dans les médias, même s’il y avait un regard négatif sur le travail des femmes dans ce domaine. Le foot m’a donné la force de trouver ma place, de dire : Même si vous m’ignorez parce que je suis une fille, j’existe, je suis là, j’ai ma place. »
Étudiante en sciences politiques, elle devient une figure emblématique de la lutte pour les droits des femmes en Afghanistan.
**L’exil après le retour des talibans**
Mais en août 2015, Kaboul tombe sous le contrôle des talibans. Au départ, Shabnam Salahshoor pense rester dans son pays pour continuer son combat pour les droits des femmes. Toutefois, elle réalise rapidement qu’il lui serait impossible d’exercer ses droits, de faire du sport ou d’étudier sous le régime autoritaire des islamistes fondamentalistes. « Je suis partie en me disant que je pourrais peut-être être une voix plus forte pour les femmes en Afghanistan, en dehors de l’Afghanistan. Je suis partie pour trouver ma liberté d’expression et aussi ma liberté simplement comme une femme. »
Elle arrive à Paris en octobre 2021. Les débuts s’avèrent difficiles. Deux mois après son arrivée, elle apprend le décès de son père. Elle n’a pas eu l’occasion de lui dire au revoir avant de quitter l’Afghanistan, ce qui l’a plongée dans la dépression.
Cependant, elle parvient à se relever. Elle apprend le français et reprend son combat. « Un jour, il y a eu une discussion entre les talibans et les dirigeants russes, explique la jeune femme aujourd’hui âgée de 24 ans. Il y avait des rumeurs selon lesquelles la communauté internationale allait peut-être reconnaître le régime des talibans. Nous avons organisé une manifestation, une petite performance devant l’UNESCO et la tour Eiffel. Je portais la burqa et une autre personne portait des vêtements comme ceux des talibans. Après cela, j’ai reçu de nombreuses menaces de la part de soutiens des talibans en France et aussi de ma famille en Afghanistan. »
Elle cherche alors un autre moyen d’agir et retourne sur les terrains de sport. Elle obtient un diplôme d’éducatrice sportive professionnelle.
**La militance par le sport**
Fin de l’année dernière, Shabnam Salahshoor dirige un programme intitulé Pink Claw, qui vise à autonomiser les femmes à travers une série d’activités sportives, telles que le fitness ou des cours de self-défense.
Aujourd’hui, elle s’entraîne au football deux fois par semaine dans un club à Paris. « Là, j’ai rencontré de nombreuses femmes ayant le même parcours que moi, qui sont en situation d’exil, qui ont vécu la persécution ou la violence sexiste. »
Elle les encourage à profiter pleinement de leurs droits. « Mon but, c’est simplement de faire sortir ces femmes de chez elles. Même ici en France, certaines familles, malheureusement, enferment leurs femmes. Je veux les renforcer, les inspirer et les encourager à trouver leur place dans la société, car nous ne sommes pas dans un pays comme l’Afghanistan et nous ne laissons pas les hommes décider à notre place. »
La jeune réfugiée afghane n’oublie cependant pas ses « sœurs afghanes ». Comme lors de l’université d’été d’Amnesty International à Louvain-la-Neuve, elle milite pour la reconnaissance internationale du concept juridique d’apartheid de genre.
« Quand on parle de l’apartheid, les gens pensent directement à l’Afrique du Sud, à l’apartheid racial, alors qu’aujourd’hui, les femmes en Afghanistan sont exclues de la vie sociale, elles n’ont pas le droit d’aller à l’école, au parc, ni de travailler », s’indigne Shabnam Salahshoor. « Quelle est la différence entre une femme privée de ses droits fondamentaux à cause de sa couleur de peau et une femme privée de droits en Afghanistan en raison de son genre ? C’est une politique consciente d’exclusion. Ce n’est pas de la discrimination faite aux femmes, mais un apartheid de genre, un système qui veut effacer les femmes de la vie publique ou sociale. »
Des experts indépendants de l’ONU partagent cette préoccupation. Dans un rapport publié cet été, les Nations Unies soulignent plus de 70 décrets par lesquels les talibans « poursuivent méthodiquement leur entreprise d’effacement des femmes de la vie publique » et regrettent que « la plus grave crise des droits des femmes au monde soit en train de se banaliser. »
Shabnam Salahshoor exprime sa déception face à l’inaction des pays occidentaux. « Après la guerre en Ukraine, après le conflit en Palestine, le monde a oublié les femmes en Afghanistan. »
Elle nous avertit également que le radicalisme religieux, qui a frappé l’Afghanistan, pourrait également atteindre l’Europe.

