Services de santé « catastrophiques » : colère et répression sociale au Maroc.
Une jeune manifestante a brandi une pancarte, devant le Parlement marocain, à Rabat, ce samedi. Au 8e jour de la mobilisation lancée par le collectif GenZ 212, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes du pays, avec des slogans tels que « le peuple veut la fin de la corruption ».
« Nous ne laisserons pas notre voix être réduite au silence » : une jeune manifestante porte une pancarte devant le Parlement marocain à Rabat, ce samedi. Au huitième jour de la mobilisation initiée par le collectif GenZ 212, le mouvement semble maintenir son élan dans la capitale marocaine et dans plusieurs autres villes du pays.
À Tétouan, un rassemblement a rassemblé des centaines de personnes, scandant « le peuple veut la fin de la corruption » et « liberté, dignité et justice sociale ». À Casablanca, des dizaines de manifestants criaient : « Le peuple veut l’éducation et la santé ».
Ces manifestations sociales, marquées par leur spontanéité, ont débuté le 27 septembre, après le décès de huit femmes enceintes lors de césariennes à l’hôpital public d’Agadir, et les multiples protestations qui ont émergé depuis la mi-septembre dans plusieurs villes marocaines.
**Une génération exaspérée**
À l’origine de la mobilisation, se trouvent des membres d’un collectif formé sur le réseau social Discord. Ce collectif, qui se considère comme un groupe de « jeunes libres » sans affiliation politique, compte près de 180 000 membres, et ses fondateurs, qui ont lancé les manifestations pour revendiquer de meilleurs services publics de santé et d’éducation, restent inconnus ou cherchent à garder l’anonymat.
L’un de leurs slogans, « Les stades sont là, mais où sont les hôpitaux ? », résume une colère face au manque d’investissements dans les services publics, tandis que les autorités se concentrent sur la construction d’infrastructures en vue de la Coupe du monde de football en 2030, coorganisée avec l’Espagne et le Portugal.
Vendredi soir, ces manifestations ont également rassemblé des centaines de personnes dans plusieurs villes, dont Rabat et Agadir, à l’appel de ce collectif.
Cependant, la mobilisation, et la répression policière qui l’a accompagnée, a entraîné des drames. Evoquant d’abord un bilan de deux morts, les autorités locales à Lqliaâ, près d’Agadir, ont finalement annoncé un bilan de trois morts et plusieurs blessés.
Les gendarmes « ont été contraints de faire usage de leurs armes de service, dans le cadre de la légitime défense, pour repousser une attaque et une prise d’assaut menées par des groupes d’individus, » avaient déclaré les autorités dans la nuit de mercredi à jeudi. Plus tard, elles ont précisé que les trois personnes avaient été tuées par des gendarmes « en légitime défense » alors qu’elles tentaient « de prendre d’assaut » une brigade de gendarmerie dans le village pour s’emparer d’armes et de munitions. Le collectif, quant à lui, a réaffirmé son appel à des mobilisations pacifiques.
Près de dix ans après le Hirak, un soulèvement social important parti du Rif marocain, violemment réprimé, la mobilisation des GenZ 212 semble avoir surmonté la peur face aux autorités. « Ils sont descendus tout en sachant les antécédents dans le pays », observe Omar Radi. « Des gens sont encore en prison, condamnés à 20 ans, cela devrait les faire réfléchir. Et on le voit sur les visages des jeunes arrêtés, des jeunes de 16, 17, 18 ans, qui montent dans les fourgons de police avec un grand sourire […]. Je pense que cela traduit le ‘nothing to lose’, celui d’une génération qui n’a rien à perdre et qui mise sur son courage pour améliorer la situation du pays. »
Et malgré la répression, le mouvement semble populaire parmi les habitants. « Tout le monde est d’accord avec les revendications des jeunes, » affirme Hakim Sikouk. « Chaque personne au Maroc sait de quoi on parle quand quelqu’un dit qu’on a besoin de la santé, parce que chaque personne a traversé l’hôpital public ou a un proche qui y est allé. Même les parents des jeunes arrêtés sont fiers de leur fils et de leur fille, parce qu’ils sont descendus dans la rue juste pour des revendications basiques. »
« Je pense qu’ils ont appris à faire de la politique à leur corps défendant. »
« Je crois que le grand mot, c’est le respect, » poursuit Omar Radi. « Cela traduit le manque de respect qu’on leur montre. Les gens se considèrent comme des parias, ostracisés dans leur propre pays, dans leur propre prise de décision, dans les affaires qui les concernent. »
« Les dirigeants ont été surpris que des jeunes éduqués, sans liens avec des forces politiques, se disent ni de gauche ni de droite, sortent comme ça, » ajoute le journaliste. « Dans un premier temps, ils ont dit ‘nous sommes un mouvement apolitique’. Ce qui les a tenus dans la rue, c’est la violence policière. Je pense qu’ils ont appris à faire de la politique à leur corps défendant. »
« Nous, on est avec les revendications des jeunes, on les défend, et on condamne les mesures de violence et de répression contre ces jeunes-là, » conclut, au nom de l’AMDH, Hakim Sikouk.
La motivation reste forte, la colère aussi, et la réponse des autorités paraît insuffisante : « Je pense que le mouvement va se poursuivre, » estime Omar Radi. »

