Belgique

Schaerbeek est le réceptacle de toutes les crises à Bruxelles: “En 25 ans, je n’ai jamais senti une polarisation aussi forte”

Ce morceau du territoire bruxellois présente toutes les spécificités urbaines de sa région : un taux de chômage élevé (16,3 %), une population jeune (35,93 d’âge moyen) et aux origines très diverses (37,4 % de la population y est de nationalité étrangère), un habitat ancien qui date des années 20-30, mais aussi, dans plusieurs quartiers, une amélioration de l’attractivité avec l’arrivée de jeunes ménages ainsi qu’un fort dynamisme.

Aucune – ou presque – des difficultés qui ont secoué la capitale ces derniers mois n’ont toutefois épargné Schaerbeek. Ces difficultés semblent même sévir avec plus d’ampleur sur dans cette commune urbaine très étendue, devenue le réceptacle de toutes les crises bruxelloises.

En 25 ans au sein de la commune, je n’ai jamais senti une polarisation aussi forte, constate Marc Weber, chef de cabinet de Cécile Jodogne (Défi), bourgmestre faisant fonction de Schaerbeek. Schaerbeek abrite beaucoup de communautés. C’est incroyablement riche, mais ce sont aussi des défis permanents, car dans tous les secteurs, cela mène à des approches différentes. Ces tensions rendent compliquées la gestion de notre commune qui, comme les autres après le Covid et la crise du pouvoir d’achat, est confrontée à de graves difficultés financières.

La commune, malgré la gentrification en cours à proximité du canal mais aussi autour du parc Josaphat, reste la sixième plus pauvre de Belgique, avec un revenu moyen par habitant de 12 790 euros.

Le taux de pauvreté augmente de 3 % par an. Vingt mille personnes sont aidées par le CPAS, sur 130 000 habitants. On s’attendait à un tassement depuis le Covid, mais il n’a pas eu lieu. Schaerbeek est le reflet de ce qui se passe à la Région, avec beaucoup de tensions”, ajoute Sophie Querton, présidente du CPAS.

C’est dans ce contexte socio-économique que s’inscrit la liste – particulièrement longue – des évènements qui secouent la cité des ânes.

Il y a eu, dès mai 2022, l’affaire De Herde, après que Sihame Haddioui (Ecolo) ait porté plainte contre son collègue échevin, pour attentat à la pudeur et sexisme.

L’affaire a été très mal gérée. Cela a créé de longs mois de tensions politiques terribles dans le Collège et aussi dans l’administration”, note une source régionale.

À Schaerbeek, la majorité se délite: “Les choses ont commencé à être plus difficiles quand Bernard Clerfayt a décidé de devenir ministre”

Une défiance vis-à-vis de la représentation politique

Les tensions qui déchirent le gouvernement bruxellois sur le projet immobilier prévu sur la friche Josaphat, un terrain à haute biodiversité, n’épargnent pas non plus la commune. Ni, par ailleurs, les nuisances liées aux travaux du métro 3 qui doit traverser Schaerbeek, notamment autour de la rue d’Aerschot.

Mais c’est surtout à l’automne 2022 que la situation s’enflamme. La contestation du plan Good Move, qui vise à mettre en place un nouveau plan de circulation dans le quartier Pavillon et Cage aux Ours, prend une ampleur rarement égalée à Bruxelles – à part peut-être à Cureghem. S’en suivront des manifestations enflammées, des dégradations de l’espace public, et des pressions politiques qui contraindront finalement la majorité à reculer.

La mise en œuvre dans le quartier Stephenson a été un échec monumental, pointe Bernard Clerfayt (Défi). Mais là où dans d’autres communes, ils ont tout stoppé, là où le plan créait les problèmes mais aussi là où il n’en posait pas, à Schaerbeek, on a arrêté juste là où ça posait problème et poursuivi ailleurs.” Les vives tensions qui en ont résulté n’ont toutefois plus cessé de perturber la gestion des affaires communales. Sans oublier l’épineux dossier du règlement parking.

À plusieurs reprises, le conseil communal a dû être reporté, faute de pouvoir atteindre le quorum de présence. Les séances ont tourné à la foire d’empoigne.

De manière générale, il y a une exaspération et une défiance vis-à-vis de la représentation politique, pointe l’échevine écologiste Sihame Haddioui (30 ans). Les crises économiques exacerbent ce sentiment. Et puis, on ne peut pas attendre de gens qui sont venus à bout de Roger Nols (ancien bourgmestre, NdlR) en s’associant pour lutter ensemble de tout accepter sans réactions ! Schaerbeek est aussi un lieu d’avant-garde de plusieurs politiques.”

Ce 27 avril encore, l’opposition a à nouveau quitté la salle lors d’un conseil communal mouvementé. L’échevine Groen Adelheid Byttebier a fait référence au nazisme pour qualifier l’attitude de ses opposants socialistes, en déclarant : “C’est Berlin en 1934”.

La crise politique s’enlise à Schaerbeek : le conseil communal écourté après une comparaison polémique faite par une échevine Groen

Une zone de transit pour migrants

La crise ne s’arrête pas au mur de l’hôtel communal. De par sa situation centrale et la présence de la gare du Nord, elle fait office de zone de transit pour les migrants. Ce qui ne va pas toujours sans mal. Schaerbeek a fait face cet hiver à une situation humanitaire désastreuse au Palais des Droits, occupé alors par des centaines de demandeurs d’asile.

Alentour, le quartier précarisé qui abrite notamment la place Liets et la rue d’Aarschot, est confronté à une criminalité endémique et gangrené par le trafic de drogue.

Il y a un pic d’insécurité” autour de la gare du Nord. Mais dans l’ensemble du quartier Nord et de la commune, l’insécurité a fortement diminué ces dernières années”, nuance Bernard Clerfayt.

Reste que pour gérer l’ensemble de ces situations, la commune de Schaerbeek se sent bien seule. Marc Weber, implorant, réclame “là où il le peut” l’intervention du fédéral. “Notre commune n’a pas les moyens pour le faire”.