Scandale sanitaire : près de 200 enfants nés d’un sperme porteur d’une maladie génétique mortelle.
Céline est venue en 2011 en Belgique pour une insémination dans une clinique de fertilité d’un hôpital flamand, où elle a reçu le sperme du donneur 7069. Au cours de 2023, des cas de cancer sont observés chez des enfants issus du donneur 7069, entraînant une alerte européenne et le blocage définitif de ce sperme par une alerte RATC.
Nous l’appellerons Céline. Pour protéger sa fille de 14 ans, elle préfère rester anonyme. En 2011, cette mère est venue en Belgique pour une insémination à l’aide d’un donneur dans une clinique de fertilité d’un hôpital flamand. Elle y a eu recours au sperme du donneur 7069. À l’époque, ce type d’opération était interdit en France pour les mères célibataires comme elle. Céline est la première de toutes les familles concernées par ce donneur à accepter de témoigner devant une équipe de télévision, malgré la complexité du sujet. Avant notre rencontre, elle a fait passer un test génétique à sa fille pour savoir si elle avait hérité d’une mutation du gène TP53 transmise par ce donneur. Les statistiques concernant cette mutation, qui peut causer le syndrome de Li-Fraumeni, sont alarmantes. En effet, 90 % des femmes et 70 % des hommes porteurs de cette mutation développent un cancer, souvent dans leurs quarante premières années. La probabilité que la fille de Céline ait hérité de cette mutation était de 50 %.
Elle exprime sa culpabilité : « J’ai une culpabilité énorme. »
Les résultats de l’analyse génétique ne laissent aucun doute : « Les résultats montrent qu’elle est porteuse. Je suis très en colère en l’apprenant. J’ai l’impression qu’on me vole ma parentalité. Je suis allée en Belgique pour deux raisons : c’était illégal en France, et là-bas c’était légal, en plus d’être dans un hôpital garantissant la propreté de l’opération. J’avais aussi la garantie de l’anonymat du donneur. Tout cela s’effondre en une seconde. Le sperme n’était pas aussi sain que je le pensais. En plus, je ressens l’angoisse d’une mère qui apprend que sa fille, par ma faute, pourrait souffrir de problèmes de santé graves. »
Au cours de l’année 2023, des cas de cancer chez des enfants issus du donneur 7069 commencent à être signalés. À la suite de cela, les paillettes de sperme encore en circulation sont définitivement bloquées par une alerte européenne (RATC pour Rapid Alert system for human Tissues and Cells). Les cliniques de fertilité utilisant ce sperme doivent contacter toutes les familles concernées pour les alerter sur les risques génétiques. La Belgique est particulièrement touchée, avec 11 de ses 33 centres de fertilité concernés. Au total, 53 enfants ont été conçus avec ce sperme dans 38 familles. Céline n’a été informée du risque génétique que le 6 juin 2025, soit plus d’un an et demi après l’alerte qui a bloqué ce donneur le 8 novembre 2023.
Elle souligne l’inefficacité du système : « Non seulement je tombe sur la paillette qu’il ne fallait pas, mais en plus, je tombe sur l’hôpital qui ne sait pas gérer ses données. »
Cette annonce tardive est un véritable problème. Le suivi de sa fille aurait pu commencer plus tôt. Céline raconte : « Je leur ai dit : comment se fait-il que vous me prévenez maintenant ? Ils m’ont répondu qu’ils avaient eu une migration informatique il y a deux ans, qu’ils avaient perdu mon dossier et que désormais, ils venaient de le retrouver. Je me suis dit : ‘Vraiment, j’ai une chance incroyable.’ Ce n’est pas acceptable. » L’hôpital concerné n’a pas répondu à notre demande d’interview. Parmi les 38 familles touchées par ce donneur, trois n’avaient toujours pas été contactées. Au niveau international, un groupe d’environ trente journalistes de l’UER (Union Européenne de Radio-Télévision), auquel collabore le magazine #Investigation de la RTBF, a travaillé pendant des mois pour recenser les pays, cliniques, familles et enfants concernés. Au 3 décembre 2025, un premier décompte indique que 14 pays, 67 cliniques sont concernés, et au moins 197 enfants ont été conçus avec le sperme du donneur 7069.
Une mère danoise d’un enfant conçu avec ce sperme est surprise par le nombre d’enfants : « Ça fait beaucoup d’enfants issus d’un même donneur, bien plus que ce qu’on avait imaginé. Quand tu es un enfant issu d’un don et que tu découvres que tu as autant de demi-frères et de demi-sœurs, c’est trop ! » Cette mère, Dorte Kellermann, a été informée par une autre famille. Elle souligne un problème majeur : « C’est inacceptable qu’il se développe un tel cas sans que vous soyez informé par la clinique, la banque de sperme, ni par les autorités. Ils ne savaient même pas. »
Le nombre d’enfants testés pour savoir s’ils portent la mutation TP53 est un enjeu important. Au 1er décembre 2025, le réseau européen ERN GENTURIS dénombre 77 enfants issus de ce donneur ayant déjà subi un dépistage génétique. Si au moins 197 enfants sont recensés, qu’en est-il des 120 autres ? Pourquoi n’ont-ils pas encore été testés ? Ce problématique met en lumière le manque de suivi des dons de sperme en Europe. Aucun organisme ni administration ne suit les données des dons, ni n’informe des familles en cas de problèmes génétiques majeurs, qui peuvent se révéler 10 à 20 ans après la naissance des enfants. Les données des patientes se perdent ou les cliniques ferment.
En Belgique, la procréation médicalement assistée est régie par la loi du 6 juillet 2007, qui stipule que le sperme d’un même donneur ne peut mener à la naissance d’enfants que dans six familles. Cependant, jusqu’en 2024, les cliniques ne partageaient pas leurs données. Le Dr Laurie Henry, cheffe de la clinique de fertilité de la Citadelle à Liège, déclare : « On pouvait se douter que le donneur était utilisé dans d’autres centres, mais on n’avait aucune information. » Le Dr Catherine Houba, cheffe de la clinique de fertilité de l’hôpital Erasme à Bruxelles, confirme que « nous n’avions pas de système de contrôle. »
Avant 2024, la limite a été dépassée avec des dizaines de donneurs, dont celui portant le numéro 7069. Celui-ci a permis la naissance d’enfants dans 38 familles, soit plus de six fois la limite autorisée. Céline, surprise, se demande : « C’est incroyable. On est en 2025, on parle de technologies avancées, mais pour ce qui est des dons de sperme, on ne sait même pas à qui on a donné, comment, combien de fois. Ce n’est pas possible qu’il y ait autant d’amateurisme dans un domaine aussi sérieux que la procréation. » Avec un registre centralisé comme Fertidata, le donneur 7069 aurait été bloqué après six familles.
Le registre n’a été mis en place qu’en 2024, 17 ans après la loi de 2007. Franck Vandenbroucke, ministre de la Santé, explique : « Il y a eu 14 ans de négligence politique de la part de gouvernements successifs.” Il ajoute que les familles concernées méritent des excuses.
À propos de la banque de sperme ESB (European Sperm Bank), qui a distribuée le sperme du donneur 7069, elle a souhaité répondre aux journalistes sur les accusations de mauvaise coordination. Cependant, elle refuse de dévoiler combien d’enfants ont été conçus avec le sperme du donneur, considérant ces informations comme des données personnelles protégées.
Faisant face à des conséquences graves, les familles touchées par ce scandale ne comptent pas rester silencieuses. Céline, qui a porté plainte pour mise en danger de la vie d’autrui, rappelle : « Tant que le cancer n’est pas arrivé, je suis dans le présent. Quand il arrivera, je me battrai. Et si plusieurs d’entre eux arrivent, je me battrai plusieurs fois. » Ce scandale n’est pas clos. Les enquêtes continuent, et les familles touchées sont déterminées à chercher la justice.
L’enquête complète « Don de sperme, des vies à la dérive » est à suivre le mercredi 10 décembre à 20h15 sur la Une (RTBF) et en streaming sur Auvio. Ce travail a été réalisé par un consortium international de journalistes de 14 médias publics européens, avec la coordination de Belén López Garrido (EBU).

