Santé, migration, famille royale, armée… Voici le plan de bataille budgétaire de l’Arizona (si elle voit le jour)
Chamailleries, fuites de document… Les négociateurs doivent s’entendre pour le 31 janvier. Au-delà de cette date, Bart De Wever renoncera à sa mission de formateur. La Belgique s’enfoncera alors dans la crise politique. En attendant, les présidents de parti continuent le travail et de nouveaux tableaux budgétaires sont sortis. Que peut-on y trouver ? La Libre a pu les consulter.
- Publié le 23-01-2025 à 18h16
Le moment fatidique approche dangereusement. Si, pour le 31 janvier, les négociateurs de la future (?) majorité fédérale (N-VA, MR, Engagés, CD&V, Vooruit) ne réussissent pas à s’entendre, la Belgique entrera probablement dans de fortes turbulences. Il sera permis de parler de « crise politique »… Les fuites qui se multiplient de documents de travail censés être confidentiels ne sont pas de bon augure. Elles indiquent, à tout le moins, que certains partenaires espèrent compromettre des propositions jugées dérangeantes.
Sans accord pour la fin de ce mois, le formateur Bart De Wever (N-VA) arrêtera les frais et le Palais devra lui trouver un successeur. Mais pour quelle majorité ?
Depuis plusieurs mois, une équation reste insoluble : combiner le point de vue libéral du MR et le point de vue socialiste de Vooruit dans les dossiers socio-économiques semble illusoire. Et si un accord était malgré tout arraché, la vie de ce gouvernement pourrait se révéler extrêmement difficile. Les mêmes clivages ne manqueront pas de pourrir les relations de conseil des ministres en conseils des ministres…
Vooruit finira-t-il par être dégagé des négociations ? La piste d’une coalition « Lagon » (N-VA, MR, CD&V, Engagés, Open VLD) a été testée mais ne réunissait pas les conditions minimales : une majorité d’un seul siège à la Chambre serait une épée de Damoclès bien trop menaçante pour l’exécutif. Mais, de toute façon, le CD&V avait fait savoir qu’il refusait la formule. Dans le scénario Lagon, les chrétiens-démocrates flamands incarneraient l’aile gauche du gouvernement (plutôt que le centre dans l’hypothèse « Arizona »), ce que veut éviter pour des raisons tactiques leur président Sammy Mahdi.
Malgré l’incertitude et les conflits qui nimbent l’Arizona depuis cet été, les négociateurs travaillent énormément et enchaînent des réunions marathon. Malgré les chamailleries, des documents ressortent des travaux des « arizoniens ». En particulier, les tableaux budgétaires, qui tracent les perspectives financières de la coalition jusqu’à la fin de la législature, ont été actualisés. La Libre les a consultés et a mis en évidence quelques dossiers clé sous le prisme de leur impact sur les finances publiques.
1. Migration : une période d’attente de 5 ans pour l’accès à l’aide sociale
Les migrants devront contribuer au système social belge avant d’en bénéficier. C’est l’un des principes du chapitre consacré à l’immigration. Entre autres mesures, les tableaux budgétaires prévoient des économies de 643 millions d’euros sur la législature grâce à l’introduction d’une période d’attente de 5 ans pour l’aide sociale. Selon la note « Migration » que nous avons pu nous procurer, les négociateurs de l’Arizona introduisent une exception « pour les personnes qui, pour des raisons médicales, sont absolument incapables de travailler ».
Dans le même esprit, la future coalition fédérale espère économiser 322 millions d’ici 2029 par le remplacement d’une partie du revenu d’intégration par un revenu d’intégration conditionné à une maîtrise linguistique et une intégration suffisantes. « Les réfugiés qui bénéficient du revenu d’intégration sociale devront suivre un parcours d’intégration qui sera renforcé en collaboration avec les entités fédérées. À défaut, leur aide sera réduite », précise le document de travail « Migration ».
La limitation des places d’accueil selon les normes européennes devrait par ailleurs réduire les dépenses de 469 millions d’euros sur la législature. Une politique de retour plus efficiente et le contrôle du flux migratoire entrant représentent une économie de 150 millions. Au total, le tour de vis dans la politique migratoire devrait réduire les dépenses fédérales de 1,584 milliard d’euros.
Plus philosophiquement, les pages du possible futur accord de gouvernement consacrées à l’Asile et à la Migration fixe une ligne générale. On y lit notamment que « la migration illégale non-contrôlée ne peut plus être tolérée et doit cesser ». De même, toujours selon la note en notre possession, les « arizoniens » se proposent de davantage miser sur l’immigration « choisie » : « Il est nécessaire de trouver un équilibre entre les ressortissants de pays tiers qui viennent ici pour obtenir de l’aide et ceux qui apportent une valeur ajoutée directe ; par exemple, les personnes ayant une qualification spécifique. L’accent doit être davantage mis sur la migration liée au travail et aux études. »
Enfin, l’Arizona met noir sur blanc l’interdiction de régularisation collective durant la législature. Pour les régularisations individuelles, il ne pourra s’agir que d’exceptions. « Les personnes qui séjournent illégalement sur notre territoire doivent être découragées d’y rester », peut-on lire dans la note de travail des négociateurs fédéraux.
2. Sénat, Cinquantenaire, partis politiques, famille royale… Ils y passent tous
Le Sénat vit sans doute ses derniers jours. L’Arizona envisage de le supprimer, ce qui représenterait une économie de 8 millions d’euros d’ici 2029. Ce montant paraît bien plus réaliste que les 45 millions qui apparaissaient en août 2024 dans les premiers tableaux budgétaires de la putative coalition fédérale.
Des « projets de prestige » (selon l’expression utilisée par l’Arizona) seront revus pour en diminuer le coût de 30 millions d’euros sur la législature. Parmi ces projets : la rénovation du parc du Cinquantenaire à Bruxelles, dont le coût fut initialement estimé à 160 millions d’euros.
Toujours selon les tableaux, la Politique scientifique fédérale devra réaliser une économie de 93 millions d’euros sur la législature via la réduction de la contribution à l’Esa (Agence spatiale européenne) et des subventions facultatives.
Parmi d’autres encore, des économies de 50 millions seront réalisées sur Beliris (ce fonds fédéral finançant des projets à Bruxelles), de 21 millions sur les cabinets ministériels, de 5 millions via le gel des dotations des partis politiques, et de 2 millions sur les dotations royales.
3. La Coopération au développement mise à la diète, la Défense au gavage
Si les militaires s’inquiètent de l’avenir de leur régime de pension, qui leur permet de partir à la retraite à 56 ans, l’armée devrait voir ses budgets substantiellement augmenter.
Selon leurs tableaux budgétaires, les partenaires de la coalition Arizona ont deux scénarios sur la table, comme La Libre l’avait déjà écrit : soit atteindre dès 2029 la norme Otan, laquelle prévoit que chaque État membre de l’Alliance atlantique consacre l’équivalent de 2 % de son PIB à ses dépenses de défense ; soit atteindre 2,5 % à l’horizon 2034. Pour l’heure, il est prévu que la Belgique grimpe à 1,55 % en 2030 et à 2 % en 2035.
Si la Défense rit, la Coopération au développement pleure. Le département devra réaliser quelque 318 millions d’économies d’ici 2027 (son budget sera ensuite stabilisé). À titre de comparaison, le budget de la « direction générale de la Coopération au développement et de l’aide humanitaire » était de 1,256 milliard d’euros en 2024. On parle donc de 25 % d’économies qui seront réalisées en « réduction des cotisations facultatives et réduction des subventions », selon ce qui apparaît dans les tableaux de l’Arizona.
4. La croissance du budget des soins de santé fera du yoyo pendant cinq ans
Selon les tableaux budgétaires sur lesquels travaillent les partenaires de l’Arizona, la norme de croissance du budget des soins de santé est confirmée à 2,5 % en 2025. Elle sera réduite à 2 % en 2026 et 2027, pour remonter ensuite à 2,5 % en 2028 et même 3 % en 2029, en fin de législature. Ces augmentations viennent en surplus de l’indexation de ce même budget.
Selon le Bureau fédéral du plan, cependant, la croissance réelle des prestations de soins de santé sera en moyenne de 3,1 % entre 2025 et 2029. Cela signifie que l’augmentation du budget des soins de santé sera inférieure à l’augmentation naturelle des besoins. L’Arizona a dès lors inscrit dans ses tableaux budgétaires une économie (en réalité : une moindre augmentation des dépenses) de 216 millions d’euros à l’horizon 2029. Ce sera la part du secteur de la santé à l’effort d’assainissement des finances publiques. Le MR et la N-VA auraient voulu réaliser un effort plus important, mais Vooruit, Les Engagés et le CD&V s’y opposent.
Fin 2024, le secteur de la santé (mutuelles, représentants des médecins, Inami…) avait proposé un budget des soins de santé pour l’année 2025 s’appuyant sur une norme de croissance de 2,5 %, en plus d’une indexation de 3,34 %. Cette proposition de budget prévoyait aussi des économies de 217 millions d’euros (sur un budget de… 39,8 milliards d’euros), dont 113 millions dans le secteur des médicaments et 73 millions sur les honoraires des médecins.
Le gouvernement De Croo, toujours en affaires courantes, n’avait toutefois pas validé ce budget en raison du refus de l’Open VLD et du MR. L’Open VLD, parti du Premier ministre, estimait que cette mission revenait au gouvernement suivant. Tandis que le MR (avec l’appui de l’Open VLD) espérait secrètement obtenir davantage d’économies et/ou réduire la norme de croissance.
Faute d’accord au sein du gouvernement, les soins de santé fonctionnent pour le moment en douzièmes provisoires. Ceux-ci incluent la norme de croissance et l’indexation, mais… pas les économies. Comprenez l’ironie de la situation : les libéraux voulaient davantage d’économies ; en bloquant le budget, ils ont les augmentations mais pas les économies. Le comble, c’est que la norme de croissance de 2,5 % en 2025 semble devoir être confirmée par l’Arizona. On imagine que la proposition de budget des soins de santé sera dès lors validée par le gouvernement lorsqu’il verra le jour.