Belgique

“Sans préservatif, c’est mort !”: un viol “ordinaire” jugé en fonction du nouveau Code pénal sexuel

Le nouveau Code pénal sexuel définit la notion de consentement

Cette notion est précisément au cœur de ce dossier charnière qui se distingue des récits qu’on lit habituellement dans la rubrique des faits divers. Il n’y a pas eu de ruse, de coups, d’enlèvement, de menaces, de contrainte physique, d’usage de drogue ou de séquestration. C’est l’histoire d’un viol “ordinaire”, qui se passe tous les jours, partout, dans toutes les couches de la société – même si l’auteur, ici, a un lourd passif. À un moment donné, au cours de la relation entre adultes consentants, la jeune femme s’est rétractée et l’homme a passé outre.

Une technique de drague

Les faits se déroulent en juillet 2022. Lucie*, une journaliste de 26 ans, se balade avec une amie dans le parc Royal, à Bruxelles. Il fait beau. Elle rencontre un gars dans la trentaine. Elle est célibataire et libre. Il est sympa et charmeur. La conversation s’engage. Il se présente comme Ricardo*. Une technique de drague. Comme pour trouver un appart ou entrer dans une boîte de nuit, c’est plus facile de porter un nom latino que de s’appeler Youssef*. Avec sa tignasse de cheveux bouclés et ses airs enjôleurs, il essaie de se faire passer pour un footballeur brésilien. Ils s’échangent leurs numéros sur WhatsApp.

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Ricardo se garde bien de préciser qu’il est sous surveillance électronique depuis avril 2022. Il a de lourds antécédents. Condamné en 2015 à quatre ans de prison avec sursis pour viol sur majeure, il écope de quatre ans supplémentaires en 2016 pour les mêmes faits. Il doit en principe être libéré définitivement en mai 2024, à fond de peine.

“On se plaisait tous les deux”

Deux jours plus tard, le 20 juillet 2022, ils se donnent rendez-vous à Flagey. Il a bu quelques bières ; elle aussi. Ils flirtent, dévient vers les étangs d’Ixelles. Mais les gestes d’intimité en public, cela gène Lucie. Elle propose à Ricardo d’aller plutôt dans son appartement. Ils s’y rendent à pied. Ils se retrouvent assez vite en sous-vêtements sur le lit de Lucie. Il y a des embrassades, des préliminaires, une fellation, consentie, de la part de la jeune femme. “Tout s’est bien passé au début. On se plaisait tous les deux”, dira le prévenu à l’audience. Mais ni l’une ni l’autre n’ont des moyens de protection. Pour Lucie, pas question d’avoir un rapport sexuel non protégé. Elle le dit clairement : “Sans préservatif, c’est mort !”. Ils s’arrêtent puis reprennent leurs ébats. “Dans ma tête, c’était non, mais mon corps disait oui”, a expliqué la jeune femme à l’audience. Ils ont alors une première relation, avec pénétration vaginale. À une question du président, la jeune femme confirme qu’au moment de ce premier acte, elle était assise sur lui. “C’est elle qui menait la danse”, avait déclaré Ricardo.

À partir de là, les versions divergent

Jusque-là, le prévenu et la victime donnent la même version de la soirée. Ensuite, les récits divergent. Après cinq à dix minutes, Ricardo a voulu recommencer, explique Lucie. “J’étais mal à l’aise. Je ne voulais pas. Et là, son comportement a commencé à changer. Il m’a dit : ‘Maintenant, ferme ta gueule deux secondes !’ Il était sur moi. Je me souviens avoir dit ‘non !’. Mon corps s’est arrêté de bouger. J’ai fait l’étoile de mer. Il est de nouveau entré en moi.”

”Je n’ai aucun souvenir de lui avoir mal parlé”, se défend Ricardo à l’audience. “J’étais allongé. J’essayais de me refroidir. Il y a eu des nouveaux bisous, des prélis. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas envie d’aller plus loin, elle a dit non, c’est vrai et j’ai continué. Elle a arrêté de bouger et je me suis retiré. Mais c’était trop tard.” Devant le tribunal, Ricardo reconnaît donc que, “oui, malheureusement”, il s’agissait d’un viol.

Le lendemain, Lucie s’est rendue au Centre de prise en charge des violences sexuelles lié au CHU Saint-Pierre, à Bruxelles. Le 18 octobre 2022, près de trois mois après les faits, Ricardo a été placé en détention préventive.

« Il ne faut pas être un monstre pour commettre ce type de fait »

Une obsession

Pour le ministère public, dans le cas du prévenu, déjà condamné à deux reprises pour viol, c’est “une histoire sans fin”.

“Il a beaucoup de mal à l’assumer, mais chaque fois qu’une femme lui oppose un refus, il passe du charmeur au prédateur. Quand monsieur est en mode : ‘Je veux avoir un rapport sexuel’, il ne peut pas s’arrêter, attaque le procureur du Roi. Dans son audition, il dit qu’il ne se voit pas comme un homme dangereux ou un violeur. C’est terrible !” Ce qui est extrêmement inquiétant, c’est qu’il ne se tient pas du tout à carreau, malgré ses antécédents: “Il n’a qu’une obsession dans la vie : avoir accès à du sexe féminin”.

Cet homme est aussi incapable de reconnaître les signes de l’absence de consentement, poursuit le procureur. “La victime avait exprimé verbalement et corporellement, par un ‘freezing’ (un état de sidération, qui peut survenir en cas d’agression sexuelle et qui empêche de réagir, NdlR) qu’elle ne voulait pas. Mais il ne percute pas et ne percutera jamais”, scande-t-il.

Les perspectives sont d’autant plus sombres que le prévenu a déjà été congédié d’une formation en groupe pour les auteurs de violences sexuelles pour manque de participation sincère, ajoute le parquet. “Monsieur met gravement en péril les femmes auxquelles il s’intéresse. Il est en récidive légale. Je ne vois pas de chemin possible.”

Le parquet a requis 9 ans de prison ainsi qu’une mise à disposition de 5 ans du tribunal de l’application des peines.

* Prénom d’emprunt.