Réforme des pensions, primes de nuits, salaires : analyse de la manifestation nationale
Les syndicats organisent ce mardi 14 octobre une journée de mobilisation, « en solidarité avec toutes les personnes concernées par la réforme des pensions portée par le gouvernement Arizona ». Selon les organisations syndicales, en moyenne, « 318 euros de pension en moins » seraient subis par 3 travailleurs sur 10 en raison des mesures du ministre des pensions, Jan Jambon.
Les syndicats organisent ce mardi 14 octobre une journée de mobilisation, « en solidarité avec toutes les personnes concernées par la réforme des pensions portée par le gouvernement Arizona ». Les secteurs des arts, du commerce et d’autres sont appelés à manifester par les syndicats, qui espèrent rassembler environ 100 000 personnes dans les rues de Bruxelles.
Pour mobiliser, les syndicats, associations et partis de gauche développent ces derniers jours plusieurs arguments et critiques contre le gouvernement Arizona et ses réformes, notamment celles sur les pensions et le travail de nuit, qui, selon eux, influenceront à la baisse le pouvoir d’achat des ménages. De son côté, le MR les accuse de mensonges.
### La réforme des primes du travail de nuit coûtera-t-elle 300€ nets par mois ?
C’est l’une des « cinq raisons de manifester » mises en avant par la FGTB, dans un visuel publié sur Facebook ce dimanche soir. Le syndicat socialiste affirme qu’à cause du gouvernement fédéral, « les travailleurs qui commencent le travail de nuit dans le secteur de la distribution perdront 300€ par mois », sans préciser s’il s’agit de montants bruts ou nets. « Faux », répond le MR dans une publication Facebook qualifiée de fact-checking, qui assure que « 100% des travailleurs qui bossent la nuit garderont 100% de leur prime de nuit dans les mêmes conditions ». Ce fact-checking du MR a été contesté par un autre fact-checking, réalisé par Raoul Hedebouw.
#### Qu’a décidé le gouvernement ?
Le gouvernement Arizona a décidé de réformer la réglementation du travail de nuit à partir du 1er janvier 2026. Actuellement, celui-ci est « en principe » interdit en Belgique, comme l’indique le site du SPF Emploi. Les heures de travail de nuit correspondent aux heures effectuées entre 20h et 6h, mais « il existe une série de dérogations à ce principe » qui sont décidées pour certains secteurs d’activité et qui donnent généralement droit à des primes selon les commissions paritaires.
Dans son « accord d’été », le gouvernement a d’abord décidé que l’interdiction du travail de nuit serait supprimée et que les primes ne seront en vigueur qu’entre minuit et 5h du matin. Il visait, selon ses déclarations, uniquement le secteur de l’e-commerce pour cette réforme. Selon Le Soir, cette réforme ne concernera que les CP 201 (commerce de détail indépendant), CP 202 (employés du commerce de détail alimentaire), CP 226 (employés du commerce international, du transport et de la logistique), CP 311 (commerce de détail à grande échelle) et CP 312 (grands magasins).
Il ne concernera pas d’autres secteurs, comme celui des soins de santé. De plus, les travailleurs actuels ne seront pas affectés par cette réforme, mais selon Le Soir, le monde patronal souhaiterait l’étendre à d’autres commissions paritaires.
#### Qui dit vrai ?
Tant la FGTB que le MR expriment des vérités dans leur communication, car ils évoquent des réalités différentes.
– Le syndicat socialiste a raison de dire que « les travailleurs qui commencent le travail de nuit dans le secteur de la distribution » seront concernés par cette réforme. Cela concerne effectivement les nouveaux entrants dans ce secteur, et la distribution s’aligne avec les commissions paritaires mentionnées dans Le Soir. Cependant, le montant de 300€ provient d’un calcul interne au SETCa (la branche de la FGTB spécialisée pour les employés) qui ne peut pas être vérifié et dépend du salaire brut de l’employé, de son secteur, et du nombre d’heures de nuit effectuées.
– Le MR a également raison dans sa formulation puisqu’il mentionne « 100% des travailleurs qui bossent la nuit », c’est-à-dire les travailleurs actuels qui ne sont pas concernés par la réforme. Ceux-ci conserveront réellement « 100% de leur prime de nuit dans les mêmes conditions ». Cependant, l’arrivée de nouveaux travailleurs avec des conditions de primes de nuit moins avantageuses pourrait entraîner une concurrence à la baisse pour tous les travailleurs, y compris les actuels. Par exemple, un employeur pourrait préférer programmer les travailleurs sans prime de nuit.
### 0% d’augmentation de salaire et toujours pas les 500€ en plus ?
Les organisations syndicales et les partis de gauche critiquent également les questions de pouvoir d’achat et de salaires, ciblant parfois plusieurs mesures simultanément. Toujours dans ses « 5 raisons de manifester », la FGTB dénonce « + 0€ d’augmentation brute », affirmant que « le gouvernement empêche toute négociation sur de vraies augmentations (de salaire) brutes ».
La CSC, pour sa part, attaque la proposition de Bart De Wever qui envisageait un saut d’index, soit la non-indexation de 2% des salaires lors du prochain dépassement de l’indice-pivot.
« Faux », répond à nouveau le MR, en assurant que « non seulement l’index ne sera pas bloqué, mais la baisse d’impôts permettra une hausse du salaire net, jusqu’à 500 € pour certains ménages ».
#### Que dit la loi ? Que prévoit le gouvernement ?
En Belgique, l’augmentation des salaires est régulée par la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l’emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité, modifiée pour la dernière fois en 2017 sous le gouvernement Michel. Cette loi est également appelée « Loi sur la norme salariale », et c’est à cette législation que les syndicats font référence lorsqu’ils évoquent « la loi de 1996 ».
Cette loi, explique le SPF Emploi, concerne les employeurs et les travailleurs du secteur privé. Elle vise à réguler les augmentations de salaire. « Si les coûts salariaux belges augmentent plus rapidement que ceux de nos voisins, la compétitivité de notre économie diminue, ce qui a un impact négatif sur l’emploi », écrit le SPF Emploi.
Concrètement, tous les deux ans, le Conseil Central de l’Économie (CCE) calcule, sur la base de l’évolution des salaires des pays voisins, la norme salariale qui fixe l’augmentation maximale que les salaires pourront connaître dans les deux années suivantes. Les interlocuteurs sociaux (patrons et syndicats) négocient ensuite une norme salariale qui ne pourra pas dépasser l’augmentation maximale.
Cependant, depuis 2023, la marge maximale est de 0%, ce qui sera également le cas pour 2025 et 2026. Cette norme de 0% n’empêche pas les indexations automatiques des salaires, les augmentations barémiques (liées à l’ancienneté ou aux promotions), ou les négociations individuelles entre un salarié et son employeur. Dans son accord de coalition, le gouvernement a décidé de maintenir le principe de la loi sur la norme salariale.
Cette loi n’empêche en aucun cas l’indexation automatique des salaires, que ce soit lorsque le coût de la vie augmente de 2% (pour les travailleurs du secteur public, les pensions ou les allocations sociales) ou tous les 6 ou 12 mois pour la plupart des travailleurs du secteur privé, en fonction de l’augmentation du coût de la vie (« l’indice santé »).
Cette indexation automatique des salaires est une spécificité belge et est parfois remise en question par les partis de droite, comme cela a été le cas récemment par Bart De Wever. Le Premier ministre a proposé un « saut d’index », signifiant qu’une indexation de 2% serait annulée, équivalant à une perte de pouvoir d’achat pour les travailleurs, pensionnés et bénéficiaires d’allocations. Cette suggestion a été rejetée par tous les autres partis du gouvernement fédéral, y compris Vooruit, CD&V, Engagés et le MR. L’accord de gouvernement Arizona prévoit de « maintenir le principe d’indexation automatique des salaires », mais a demandé aux partenaires sociaux un avis sur une éventuelle réforme de son calcul.
S’il n’y a pas d’augmentation de salaires prévue au niveau national d’ici 2027, le gouvernement a prévu une réforme fiscale pour augmenter les salaires nets. Les Engagés, lors de leur campagne, avaient promis 450€ nets de plus par mois pour les bas salaires, alors que le MR prévoyait « 500€ nets de plus pour une personne qui travaille par rapport à une personne qui ne travaille pas ». Ce qui existe déjà pour la plupart des travailleurs, mais devrait augmenter grâce à plusieurs mécanismes fiscaux et sociaux (augmentation de la quotité exemptée d’impôts, réduction de la cotisation spéciale de sécurité sociale, augmentation du bonus à l’emploi, plafonnement des aides et prestations sociales).
En avril 2025, Georges-Louis Bouchez a déclaré à la RTBF que « les travailleurs recevront en moyenne 120 euros nets de plus par mois, et bien plus pour les bas salaires ».
#### Qui dit vrai ?
La FGTB, la CSC et le MR évoquent des éléments différents, leur permettant d’avoir partiellement raison tous les trois.
– Lorsque la FGTB annonce + 0% d’augmentation de salaires bruts, elle fait référence à la norme salariale fixée à 0% pour 2025 et 2026 (hors indexation, évolution barémique et négociations individuelles). En revanche, est-ce que le gouvernement « empêche toute négociation » ? C’est ambigu. Il refuse effectivement de modifier la loi de 1996 fixant la procédure, mais au sein de cette procédure, c’est le Conseil Central de l’Économie qui détermine la marge disponible à 0%, et non pas le gouvernement.
– Lorsque la CSC dénonce l’idée d’un saut d’index de Bart De Wever, elle a raison de dire que le Premier ministre a bien soulevé cette possibilité, mais celle-ci est visiblement déjà rejetée par les autres partenaires au sein du gouvernement.
– De plus, le MR affirme que l’index « ne sera pas bloqué », et cela engage sa responsabilité au sein du gouvernement. Le Mouvement réformateur promet « une hausse du salaire net, jusqu’à 500 euros pour certains ménages », ce qui dépasse les « 120 euros nets de plus par mois et plus encore » évoqués en avril. Les mesures mentionnées demeurent floues et ne permettent pas de vérifier les calculs, car il s’agit de promesses et d’estimations.
### De 318 à 500 euros de moins, une baisse de 25% sur la pension ?
Dans une série de portraits « fictifs basés sur des carrières existantes », le PTB dénonce une perte de pension pour plusieurs métiers et situations : une enseignante qui perdrait 450 euros nets par mois en tant que fonctionnaire ou une travailleuse dans une usine textile qui perdrait 205 euros. Selon Raoul Hedebouw dans l’Avenir, « si vous partez à 62 ans au lieu de 67, vous perdez 25% de votre pension ». Cela justifie, selon le Parti du Travail de Belgique, la mobilisation ce mardi.
Le mouvement syndical s’unit également sur la question des pensions. La CSC, la FGTB et la CGSLB ont publié un communiqué conjoint évoquant un « coup de massue pour 3 travailleurs sur 10 : en moyenne 318 euros de pension en moins ». Les trois organisations se réfèrent à un rapport du Service fédéral des pensions (SFP) qui a calculé « l’impact cumulatif des mesures de pensions » du ministre des Pensions, Jan Jambon (N-VA). Il est question ici du bonus-malus, du changement de prise en compte des périodes assimilées, et de l’accès à la pension minimum conditionné à 5000 jours de travail.
Ce rapport, selon les organisations syndicales, a été transmis au cabinet du ministre, mais a semblé filtrer. Il conclude qu’à court terme, « environ 30% des travailleurs subissent un impact négatif. Ils perdent en moyenne 318 euros par mois, soit un quart de leur pension ». Cette communication a été relayée par le PS sur Facebook et à la Chambre par Ludivine Dedonder (PS), qui a interrogé le ministre des Pensions sur la véracité de ce rapport et de ses conclusions.
En réponse (page 62 du compte rendu intégral), le ministre Jambon a dénoncé que « les organisations syndicales ont rendu publiques des informations qui avaient été partagées à titre confidentiel ». Toutefois, il n’a pas contesté l’authenticité du document, mais a remis en question ses conclusions. « Le Service fédéral des pensions est très clair : une large majorité, 66% des personnes ayant pris une retraite anticipée et 74% des personnes ayant pris leur retraite à l’âge légal de 65 ans ne subiront aucun impact négatif sur le montant de leur pension si les nouvelles règles de 2033 avaient déjà été applicables en 2023. Ainsi, 70% des personnes concernées ne ressentiront aucun impact. Ceux qui travaillent et cotisent suffisamment ne subiront absolument aucune perte. » Concernant les 30% restants, il a déclaré qu’il s’agit « d’une estimation largement surévaluée » qui ne prenait pas en compte les changements de comportement des individus. Il a ensuite noté que le chiffre de 318 euros est une moyenne, tirée vers le bas par certains cas extrêmes, comme des pensions de 1 ou 2 euros.
Le MR, pour sa part, conteste les prévisions de pertes de pension de 25% à cause du malus, en indiquant que « les travailleurs pourront partir à la pension dès 63 ans sans malus, à condition d’avoir au moins 35 années de travail à mi-temps et 7020 jours de travail ».
#### Que prévoit le gouvernement ?
La réforme des pensions portée par le ministre Jan Jambon a été validée en première lecture par le gouvernement dans son accord d’été, en juillet dernier. Il doit encore être approuvé définitivement au conseil des ministres et voté au Parlement fédéral pour entrer en vigueur. Parmi les mesures les plus significatives, on trouve :
– L’introduction d’un bonus-malus. Concrètement, toute personne prenant sa retraite après l’âge légal de la pension bénéficiera d’un bonus. Ce bonus s’élèvera initialement à 2% par année supplémentaire travaillée, puis à 4% à partir de 2030 et à 5% à partir de 2035. Inversement, le malus s’appliquera selon les mêmes taux. Le malus ne s’appliquera pas aux personnes ayant travaillé au moins à mi-temps (156 jours au lieu de 104 jours chaque année) durant 35 années et ayant cumulativement 7020 jours de commerce (environ 200 jours par an en moyenne).
– La limitation de l’assimilation des périodes non travaillées. Ainsi, bien que les congés de soins, le congé de maternité, le service militaire et le chômage temporaire soient maintenus comme jours de travail pour la double condition du malus, le chômage et la maladie ne le seront pas, même si des dispositions sont encore en discussion concernant les périodes de maladie.
Cette comptabilisation des périodes non travaillées entre en compte pour évaluer le nombre d’années « validées » pour prendre une pension anticipée, sans que le nombre d’années lui-même ne change.
Pour rappel, voici les âges et le nombre d’années de carrière nécessaires pour prendre une pension anticipée :
– 60 ans et 44 années de carrière
– 61 ans et 43 années de carrière
– 62 ans et 43 années de carrière
– 63 ans et 42 années de carrière
– 64 ans et 42 années de carrière
– 65 ans et 42 années de carrière
L’ensemble des mesures de la réforme des pensions est disponible sur le site du Service Fédéral Pensions.
#### Qui dit vrai ?
– Les portraits fictifs du PTB sont des scénarios précis qui combinent parfois plusieurs modalités de la réforme, et il est impossible de vérifier leur exactitude. Cela ne signifie pas qu’ils soient faux ou que personne ne subira de pertes de pension ; s’ils sont réels, ils ne sont cependant pas généralisables.
– L’authenticité du rapport du Service Fédéral Pensions révélé par les syndicats n’est pas contestée par le ministre des Pensions, Jan Jambon. Celui-ci ne remet pas non plus en cause la conclusion (30% des travailleurs perdront en moyenne 318 euros par mois), mais il use de critiques sur la méthodologie employée.
– Enfin, le MR a raison d’affirmer que « les travailleurs pourront partir à la pension dès 63 ans sans malus, sous réserve de réunir au moins 35 années de travail à mi-temps et 7020 jours de travail ». Cela décrit effectivement les nouvelles conditions qui permettront la retraite anticipée. Toutefois, c’est l’un des scénarios les plus favorables de la retraite anticipée, et cela n’évacue pas les préoccupations concernant les profils pouvant subir des pertes de plusieurs centaines d’euros dues à des carrières incomplètes.
### Un fact-checking proposé par un parti politique ? Prudence
Ces trois exemples et leur vérification illustrent que les acteurs politiques et syndicaux n’ont pas totalement tort dans leurs affirmations. Ils utilisent une partie de la vérité qui soutient leur propos et qui est correcte, mais qui néglige soit une partie du contexte, soit une information qui ne va pas dans leur sens.
Le terrain factuel devient compliqué à démêler lorsque qu’un camp politique (ici, le MR ou le PTB) propose lui-même un fact-checking des allégations de l’autre camp. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ces fact-checkings peuvent également contenir des oublis ou des omissions.

