Recul de la protection des réfugiés ukrainiens en Belgique : « Changement substantiel constaté »
Nadiaa, 72 ans, a quitté Kiev à la fin du mois d’octobre et a introduit une demande de protection temporaire, mais ses documents ont été jugés insuffisants. Depuis le début de l’année, l’Office des étrangers a refusé 2380 demandes de protection temporaire, représentant 31% des dossiers en 2025.
À 72 ans, Nadiaa vient de quitter Kiev, où elle a toujours vécu. Éprouvée tant physiquement que psychologiquement par des années de guerre, elle a choisi de fuir son pays. « C’était très difficile, » explique la vieille dame qui se déplace avec une canne. « Cela ne pouvait pas être pire. Alors j’ai acheté le ticket de bus le moins cher, pour aller le plus loin possible. Et c’est pour cela que je me trouve à Bruxelles. »
Elle est arrivée à la fin du mois d’octobre et a directement introduit une demande de protection temporaire, le statut accordé par l’Union européenne aux Ukrainiens cherchant à fuir les combats. « Ils ont dit que mes documents étaient insuffisants. Je devais prouver qu’en 2021 et 2022 je n’avais pas quitté le territoire ukrainien. Ils m’ont donc signifié un refus. »
Aujourd’hui, Nadiaa s’efforce de rassembler tous les documents nécessaires via le service des frontières de son pays. Elle espère réintroduire une seconde demande à la mi-décembre. En attendant, elle s’organise comme elle peut.
« Je suis seule en Belgique. Je suis prise en charge par le Samusocial, qui me fournit un hébergement et de la nourriture. Chaque jour, je dois quitter le centre et ils cherchent pour moi un lieu où dormir la nuit suivante. Le matin, je reviens au centre social, et ainsi de suite tous les jours. Et aujourd’hui encore, j’attends qu’on me dise dans quel hôtel je pourrai passer la nuit. »
**Une demande sur trois est refusée**
Nadiaa n’est pas un cas isolé. Depuis le début de cette année, l’Office des étrangers a refusé 23 780 demandes de protection temporaire. Cela représente 31% des dossiers rejetés en 2025, alors qu’en 2022, les refus (1 578) ne constituaient que 2,5% des demandes (63 350).
« On voit un changement substantiel, » déplore Peter Van Roeyen, juriste chez Caritas International. « Ce sont des refus plutôt pour des motifs administratifs parce que les gens qui arrivent en Belgique ont les mêmes profils qu’auparavant. Ce sont des gens qui fuient la guerre et qui ont besoin de protection. Mais l’Office des étrangers va de plus en plus examiner leurs documents. »
Le travailleur humanitaire identifie deux types de problèmes. Premièrement, les personnes comme Nadiaa qui ont du mal à rassembler les documents nécessaires. « Pour obtenir cette protection, on doit prouver qu’on était en Ukraine en 2022 (ndlr : au début de la guerre). Ceux qui viennent de partir n’ont pas toujours ces documents qui datent de ce temps-là. Sans eux, ça devient très difficile à prouver. »
L’autre catégorie de refus provient d’une modification de la Directive européenne régissant la protection temporaire accordée aux Ukrainiens. Désormais, les États membres peuvent rejeter une demande si la personne bénéficie déjà d’une protection dans un autre pays européen. « Le problème, c’est que ce n’est pas toujours très clair pour les gens comment cela fonctionne, » ajoute Peter Van Roeyen.
** »Plus de flexibilité est possible »**
Plusieurs ONG, dont Caritas International, exhortent le monde politique à trouver une solution. « Ce sont des situations qui ne sont pas acceptables, » poursuit Peter Van Roeyen. « On voit par exemple des familles où la plupart des membres obtiennent la protection. Mais un petit bébé est refusé parce qu’il ne peut pas prouver qu’il était en Ukraine en 2022. Ce sont des choses qu’on peut éviter. La flexibilité est possible. Il y a quelques mois, on a accepté ces demandes-là. On peut aussi modifier cette politique-là pour éviter des situations qui ne sont pas proportionnelles, qui ne sont pas justes. »
Par communiqué ce mardi, les organisations Caritas International, Orbit, Ukrainian Voices et Vluchtelingenwerk Vlaanderen ont réclamé une procédure d’enregistrement fluide pour ceux qui demandent une protection en Belgique, suffisamment de places d’urgence et une transition rapide vers un hébergement plus durable. Concrètement, cela implique également de renforcer les CPAS et de faciliter l’accès au marché du travail. Les associations plaidons aussi pour un renforcement de l’inspection sociale afin de lutter contre les abus envers les réfugiés sur leur lieu de travail.
**La ministre entend lutter contre les abus**
De son côté, la ministre de l’Asile et de la Migration justifie ces refus de plus en plus nombreux. Pour Anneleen Van Bossuyt, il s’agit de personnes qui, au moment de l’invasion russe, résidaient déjà dans un autre État membre de l’Union européenne (et n’ont donc pas été déplacées) ou de personnes bénéficiant déjà d’un statut de protection dans un autre État membre.
« La Belgique reste solidaire de l’Ukraine. Cela ne signifie toutefois pas que nous tolérons les abus de la procédure de protection temporaire », poursuit la ministre N-VA. « Ces personnes ont été refusées parce qu’elles avaient par exemple déjà obtenu une protection dans un autre pays membre de l’UE et ont néanmoins poursuivi leur route vers la Belgique, souvent en raison des avantages plus favorables. »
Au total, près de 100 000 Ukrainiens ont déjà obtenu une protection temporaire en Belgique. Au niveau européen, le statut de protection temporaire a été prolongé jusqu’au 4 mars 2027. Que se passera-t-il ensuite demeure incertain.

