Belgique

« Quand l’alcool détruit les proches : ma mère à la rue »

Shady, âgé de 29 ans, affirme qu’il s’occupe quotidiennement de sa maman, qui est alcoolique, dépressive et dépendante aux médicaments, et qui a récemment brûlé son appartement. En Belgique, 16% de la population a une consommation excessive d’alcool et un Belge sur quatre consomme des psychotropes au moins une fois par an, soit environ trois millions de personnes selon des sources officielles.


S’il accepte de s’exprimer au micro de Vews, ce n’est pas pour nuire à la réputation de sa mère, mais parce qu’il pense que son histoire est celle de trop nombreuses personnes. C’est également un appel à l’aide, car Shady n’en peut plus.

Sa mère se retrouve à la rue, à moins d’être à l’hôpital. Depuis qu’elle a mis le feu à son appartement, le jeune homme est en contact quotidien avec les services de secours, mais aucune solution ne se profile. La mère de Shady, dont l’identité reste confidentielle, souffre d’alcoolisme, de dépression et de dépendance aux médicaments. En quinze ans, la situation a tellement évolué que Shady est désormais le seul à prendre soin d’elle.

En Belgique, on estime que 16 % de la population a une consommation excessive d’alcool (source : Sciensano). De plus, un Belge sur quatre consomme des psychotropes au moins une fois par an, ce qui représente environ trois millions de personnes (source : SPF Santé, chiffres de 2022). La dépression, l’alcoolisme et l’addiction aux médicaments touchent de nombreux foyers. Lorsque quelqu’un tombe dans l’addiction, ses proches en subissent aussi les conséquences.

### La dégringolade

Incendies, accidents de voiture, bagarres et même deux passages en prison : Shady a tout vu avec sa mère. « On m’appelle parfois en pleine nuit pour me prévenir que ma mère est inconsciente dans la rue. Même la police en a marre », raconte-t-il.

Enfant, il observait sa mère « boire une bouteille de vin après une longue journée de travail ». Elle consommait également des somnifères, à cause de son travail de nuit, qui avait perturbé son rythme biologique. Les choses ont commencé à se dégrader avec de mauvaises rencontres, notamment amoureuses. « La première fois où j’ai réalisé que quelque chose clochait, j’avais quatorze ans. Elle s’était disputée avec un de ses copains et je l’ai retrouvée à terre dans la cuisine, avec des débris de verre partout. J’ai dû la tirer jusqu’au canapé. »

C’est à partir de ce moment-là que la situation commence à se détériorer. Shady doit s’occuper quotidiennement de sa mère. Ils finissent par déménager à la campagne, chez un autre homme. Mais celui-ci est violent et ils doivent à nouveau partir. Shady abandonne l’école, étant considéré comme « en panne sèche » par les psychologues et les éducateurs.

À 17 ans, la mère de Shady tente de se suicider une première fois en mettant le feu à son appartement. « Elle m’a demandé de partir de chez nous et m’a dit d’être courageux. Par la suite, elle a dit que c’était un problème de friteuse… En tout cas, elle a passé plusieurs mois à l’hôpital des grands brûlés à Bruxelles. Elle était ‘momifiée’… C’était dur à voir. Mais ça ne l’a pas arrêtée. »

### Un vide juridique

Après le décès de sa grand-mère, il y a un an, Shady se retrouve seul. La santé de sa mère se dégrade rapidement. Récemment, elle a de nouveau incendié son appartement et se retrouve à la rue. Shady doit gérer les problèmes judiciaires de sa mère suite à cet incendie, tout en continuant à prendre soin d’elle au quotidien. « Il y a un vide juridique. Même les policiers me le disent. » Actuellement, il y a peu ou pas de structures capables d’accueillir des personnes dépendantes à l’alcool, sauf si elles y vont volontairement. L’internement forcé n’est possible que dans des cas exceptionnels, lorsque la personne représente un danger pour elle-même ou pour autrui. Cela nécessite aussi une intervention judiciaire. Et lorsque cela se produit, c’est souvent temporaire. « Elle y passe un mois ou deux mais finit par ressortir. Là, elle vient de se faire virer de l’hôpital… parce qu’elle a volé un coca. »

Psychologiquement, la situation est difficile à gérer pour Shady, 29 ans. Au chômage depuis janvier, il se sent empêché de retrouver du travail. Les médecins lui conseillent de se préparer au pire et même de prendre de la distance pour son propre bien-être. Mais pour Shady, cela est impossible. « Je sais que si j’arrête d’être là pour elle, elle ne tiendra pas le coup. Évidemment, je souhaite m’épanouir, mais je ne peux pas lui en vouloir. Elle est malade. »

Shady appelle à une prise de conscience collective sur le manque de soutien pour les personnes alcooliques. Lui qui a beaucoup compté sur l’aide des services d’urgence, notamment des ambulances et de la police, ressent que ces derniers lui tournent le dos. « Ils en ont marre de ma mère. Je peux comprendre, je sais qu’il n’y a pas assez de moyens et qu’ils ont beaucoup de travail, mais parfois je dois les appeler des dizaines de fois avant qu’ils acceptent de s’occuper d’elle. »

Malgré tout, Shady garde espoir. « J’espère toujours qu’un jour je pourrai m’occuper de moi, de mes trucs, et qu’elle puisse s’occuper d’elle-même. Que l’on puisse avancer. »

Contactée par téléphone pour apporter des précisions sur sa situation, la mère de Shady n’a pas donné suite à nos appels. La zone de police concernée, contactée par mail, n’a pas répondu non plus.