Belgique

Procès des attentats de Bruxelles: « Je n’aime plus le monde dans lequel je survis »

Il envoie un message par radio : “Train X16, station Maelbeek. Ça a pété. Envoyez un maximum d’ambulances”. Le dispatching, suivant la procédure, répète le message. Plus aucune communication n’est alors possible. Christian Delhasse ne se démonte pas. Il porte secours à ses passagers. Ce fut une plongée en enfer.

Il a d’abord cru pouvoir surmonter l’épreuve, retournant même à son travail le lendemain. Mais il a craqué deux ans plus tard. Il est aujourd’hui retraité. Il a perdu jusqu’à l’envie de vivre, tant il est rongé par la culpabilité de ne pas avoir pu en faire plus.

Au moment de l’explosion, la première voiture du métro est déjà engagée dans le tunnel. Christian Delhasse quitte son poste de conduite et entre dans la première voiture. “J’ai demandé s’il y avait des blessés. Il n’y a pas eu beaucoup de réponses.” Il aide les passagers à sortir par la dernière fenêtre qui donne sur le quai, pour les diriger vers l’escalator.

Deux personnes l’aident. Il se consacre aux autres voitures. La deuxième est “anéantie”. Il ouvre les portes de la troisième avec les boutons de secours extérieurs. Il invite à évacuer la station par l’arrière du quai pour ne pas voir le carnage.

Partout, des fragments de corps

Il retourne vers la deuxième voiture où se trouvent les morts et les blessés. La visibilité est limitée en raison de la fumée et de la poussière. “C’était un cauchemar. Je ne savais pas par où commencer”. À la première porte, il voit un homme allongé à terre avec un trou dans le front. À la deuxième porte, il y a la jambe et le bassin coupé d’une femme. “Je n’ai jamais pu voir le reste”, a témoigné M. Delhasse. Il voit un corps en feu. Il l’éteint avec un extincteur.

”L’odeur était indescriptible.” Il sort deux personnes. Un homme lui demande d’aider sa femme. Il le fait avant de tenter de dégager un homme dont la tête est coincée par une barre. “J’ai attrapé quelque chose qui coinçait. C’était une jambe. Une fois que vous l’avez en mains, que vous vous rendez compte de ce que c’est, vous en faites quoi. Vous cherchez autour de vous. Vous n’avez pas le choix, vous la déposez”, a-t-il relaté à l’audience.

Procès des attentats à Bruxelles: « Les victimes n’étaient pas au mauvais endroit au mauvais moment, les terroristes oui »

Une femme, impossible à déplacer, demande son bébé. Sur l’autre quai, un policier crie qu’il y a peut-être une deuxième bombe. Cela n’ébranle pas Christian Delhasse, qui cherche le bébé et signale qu’il y a encore des blessés. Le policier repère le bébé qui est secouru par les pompiers à leur arrivée. Le conducteur de métro, avant d’être évacué, vérifie encore que personne n’est dans la première voiture.

À ce stade de son récit, qu’il a couché sur papier et préféré lire, cet homme à l’apparence d’un dur à cuire, est terriblement ému : “Seize voyageurs y sont restés. Chaque conducteur est responsable des personnes qu’il transporte. Je suis désolé pour les familles des victimes”.

Il rentre chez lui. “J’ai dit à mes filles et mon épouse : moi, je vais bien. Je ne veux plus jamais en parler. Jamais. Elles ont toujours respecté ma demande”. Il reprend le travail le lendemain. “Si je n’avais pas repris ce jour-là, je n’aurais jamais repris. Mon épouse était gravement malade. Il fallait continuer à tout payer.”

Il a travaillé jusqu’à la retraite, fin 2021, même si en 2018, il est rattrapé par ses démons : il ne parvient pas à oublier les images. “Chaque jour que je roulais, j’avais l’impression d’emmener les gens à l’abattoir.”

Une terrible culpabilité

”Je pensais pouvoir oublier mais rien n’y fait. Je n’aime plus le monde dans lequel je survis”, a-t-il avoué ce mercredi. Christian Delhasse n’a plus de projet, déteste la foule, est toujours en alerte, sur le qui-vive. Il n’y a plus qu’avec les animaux qu’il est en confiance. Il ne peut plus prendre les transports en commun, en est malade quand ces enfants les prennent : “Je vis en confinement depuis 2016 […] La vie n’a plus d’intérêt”.

La présidente de la cour s’est montrée compatissante, disant comprendre qu’il s’en veut. Le conducteur l’a confirmé : “Ces personnes étaient entrées dans ma rame en toute confiance”. “Mais vous en avez sauvé”, lui a rétorqué la présidente. “Oui, mais certaines ne s’en sont pas sorties”, lui a-t-il répondu. “Mais ceux que vous avez pu sauver, vous les avez sauvés”, a insisté la présidente. “Pas assez. C’est comme cela”, a soupiré Christian Delhasse.