Belgique

Portrait de Charles-Ferdinand Nothomb, l’homme qui aimait les arbres et la Belgique

Je marche au moins une heure par jour, pendant ce temps-là, la réflexion, l’imagination me ressourcent. Lorsque j’en suis empêché, je me sens mal physiquement et moralement. Je vis dans un environnement rural. Ici se trouve mon unité.”

Je l’ai interviewé à de très nombreuses reprises. Souvent, avant d’entamer la conversation, il lançait : “Allons marcher voulez-vous ?” Et nous faisions quelques tours du Parc royal, à Bruxelles. L’hiver, il ne supportait pas la chaleur que dégageaient les radiateurs surchauffés de son bureau ministériel. J’ai parfois grelotté, après une heure d’interview, parce qu’il avait éteint le chauffage et ouvert les fenêtres. Il aimait les planchers et ne supportait pas la moquette.

La politique coulait dans ses veines

Né le 3 mai 1936, c’est dans cette nature magnifique de la forêt d’Anlier, au Pont d’Oye, qu’il grandit dans une famille de 13 enfants. Sa mère avait repris les 7 enfants du premier mariage du père de Charles-Ferdinand qui arrivera le dernier dans cette famille : son père était alors âgé de 50 ans. Le patriarche, sénateur, partage sa vie entre Bruxelles et Habay-la-Neuve. Le jeune Charles-Ferdinand grandit donc dans l’ombre de ses frères (l’ambiance rocambolesque a magnifiquement été décrite par Amélie Nothomb dans le livre “Premier sang”, Ed. Albin Michel, prix Renaudot 2021). Charles-Ferdinand Nothomb est très attaché à Patrick Nothomb, le fils de son frère aîné et père d’Amélie Nothomb. À table, les discussions politiques sont animées et c’est très naturellement que Charles-Ferdinand, et Patrick, son quasi-jumeau, entreprennent des études de droit qu’ils terminent ensemble à 21 ans, un défi qu’ils s’étaient posé parce que leur ancêtre, Jean-Baptiste Nothomb, qui fut Premier ministre de 1841 et 1845 avait été docteur en droit à 21 ans. Il entre ensuite au cabinet de Raymond Scheyven, ministre des Affaires économiques africaines : à ce poste, il suivra, aux premières loges, toute la préparation de l’indépendance du Congo.

Etterbeek : Charles-Ferdinand Nothomb , ministre d' Etat , ancien président du PSC et ancien ministre de l' Intérieur (Haulot Alexis)
Charles-Ferdinand Nothomb, ministre d’ Etat, ancien président du PSC et ancien ministre de l’Intérieur ©Alexis Haulot

La politique coule dans ses veines. Président des jeunes PSC, qui deviendra le CDH puis Les Engagés, Charles-Ferdinand Nothomb se porte candidat à la présidence de son parti et l’emporte haut la main. Lui, le Belgicain, fait campagne pour que les francophones cessent d’être les “valets” des Flamands : il veut créer une conscience francophone face à Wilfried Martens, qui accède au même moment à la présidence du CVP. Ils avaient tous les deux 35 ans. Les deux hommes se retrouvent, intellectuellement et amicalement, car ils entendent à la fois fortifier l’autonomie des Communautés et l’union du pays. À tel point que La Libre Belgique, plus belgicaine encore à l’époque, écrit qu’il faut se méfier des “foucades fédéralistes” de ce jeune homme. Il participera aux négociations du Pacte d’Egmont aux côtés d’André Cools, d’Antoinette Spaak, Hugo Schiltz, Karel Van Miert, Lucien Outers, etc. Malheureusement sous la pression des nationalistes flamands, ce Pacte sera mort né, enterré par Léo Tindemans. Si ce Pacte avait été conclu et respecté, la Belgique serait sans doute plus solide, sur le plan institutionnel aujourd’hui. Les forces centrifuges auraient peut-être pu être mieux maîtrisées. Mais on ne refait pas l’histoire.

Drame du Heysel : il refuse de démissionner

Charles-Ferdinand sera ensuite, dans les gouvernements Martens-Gol, vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur. Le drame du Heysel (29 mai 1985) ternira cette législature. À l’occasion de la finale de Coupe d’Europe des clubs champions entre Liverpool et la Juventus, des grilles de séparation et un muret s’effondrent sous la pression et le poids de supporters. Bilan dramatique : 39 morts et plus de 400 blessés. Jugeant que sa responsabilité personnelle et celle de son ministère n’étaient pas engagées, Charles-Ferdinand Nothomb refusera de démissionner. La commission d’enquête démontrera, plus tard la responsabilité des hooligans et des organisateurs. Son attitude poussera le ministre de la Justice, le libéral Jean Gol, à présenter sa démission.

Une autre difficulté surviendra lors de la législature suivante : la nomination de José Happart en tant que bourgmestre des Fourons, brutalement rejetée par les partis flamands. Cette affaire le poussera cette fois à la démission. Le 30 septembre 1986, la quatrième Chambre unilingue flamande du Conseil d’État rend son avis à propos du recours introduit en 1983 : la nomination de José Happart est annulée. Dès l’annonce de la nouvelle, Nothomb croit tenir une solution en nommant d’autorité un bourgmestre hors Conseil communal. Roger Wynants est pressenti. Dans un premier temps, ce dernier se dit prêt à accepter la proposition du ministre qui fait alors signer la nomination du candidat-bourgmestre par le Roi. Mais Roger Wynants revient sur son engagement, refuse de prêter serment et place ainsi le ministre de l’Intérieur dans une position politiquement intenable, dans la mesure où la signature royale est désavouée. Accusé d’avoir découvert la Couronne, il est contraint à la démission.

Wilfried Martens et Charles-Ferdinand Nothomb
Wilfried Martens et Charles-Ferdinand Nothomb

Renforcer les parlements, réduire la puissance des partis

Son obsession a toujours été de renforcer les parlements et réduire l’influence des partis. Il fut d’ailleurs président de la Chambre à deux reprises (1979-1980 et 1988-1995), une fonction qu’il a particulièrement appréciée, avant de devenir sénateur (1995-1999). Charles-Ferdinand Nothomb reviendra sur le devant de la scène en 1996. Un combat fratricide a lieu pour la présidence du PSC. Gérard Deprez a adoubé une jeune femme : Joëlle Milquet. Nothomb se lance alors dans la bagarre et l’emporte, d’une poignée de voix (23). Mais la fracture est consommée et Charles-Ferdinand Nothomb ne parviendra pas à refaire l’unité du parti. Il finira par jeter l’éponge après deux ans, laissant la présidence à Philippe Maystadt puis à Joëlle Milquet. Cet épisode laissera des traces indélébiles entre les différents camps. Les cicatrices ne se sont jamais refermées.

Il avait un vrai flair politique mais il lui arrivait de se tromper : lors d’une interview à La Libre, il avait prédit que le parti Ecolo ne passerait pas l’an 2000… Car sa conviction était que son parti, le PSC d’alors, pouvait reprendre les thèmes environnementaux. Parce qu’il était, à sa manière, un écologiste, amoureux de la nature. Le dernier livre qui l’avait vraiment enchanté était “La vie secrète des arbres”. Certains ont pu le juger hautain, distant. Il ne manquait pas d’ennemis… surtout dans son parti. Mais l’homme pouvait aussi se montrer humain, chaleureux, attentif aux aspirations d’une jeunesse dont il appréciait l’engagement.

L’heure de la retraite arrive. Mais curieux de tout, animé d’une soif de connaissance, Charles-Ferdinand Nothomb décidera, à l’âge de 76 ans, de reprendre des études universitaires. Inscrit à la faculté de philosophie à l’UCLouvain, il présentera des examens, un mémoire et décrochera son diplôme en 2013. Il avait même loué un kot en compagnie de sa femme Michèle, sa compagne de toujours, son socle, sa lumière. Ces dernières années, il continuait immuablement à se lever tôt, à lire la presse, à répondre à son abondant courrier. Lors de la réception du Nouvel an au Palais royal, le 31 janvier dernier, il avait croisé Mark Eyskens, toujours vaillant. À deux, ils refaisaient la Belgique comme ils auraient voulu qu’elle soit : unie et forte de ses différences. La devise de Charles-Ferdinand Nothomb est restée, jusqu’au bout : l’Union fait la force. Il était persuadé que la Belgique ne pouvait survivre que grâce à des pactes comme le furent le pacte sur la Question royale ou le pacte scolaire. Pour lui, un nouveau pacte devait être scellé, prévoyant une large autonomie des entités, un équilibre financier supportable pour chacune et une forte cohésion sociale…

Charles-Ferdinand Nothomb
Charles-Ferdinand Nothomb ©ÉdA Mathieu Golinvaux

Pas si mal, Charles-Ferdinand…

Deux souvenirs me reviennent en mémoire. En 1984, il me propose de l’accompagner à Rome pour assister à une réunion des ministres de l’Intérieur, fonction qu’il occupait à l’époque. Son agenda étant surchargé, c’était le seul moment que son secrétariat avait trouvé pour que je puisse réaliser une interview sur un sujet belge qui lui tenait à cœur. Pardon, mais j’en ai oublié le thème. En revanche, ce qui m’est resté en mémoire, c’est l’orage qui s’est déchaîné à l’aéroport de Fiumicino lors de notre décollage. Nous étions à bord du petit Falcon du gouvernement dans lequel cinq à six personnes pouvaient prendre place. Les éclairs étaient terrifiants, la foudre semblait viser la carlingue de notre appareil. Assis, ceinture bouclée, il avait entamé sa démonstration et restait comme étranger aux éléments qui se déchaînaient autour de nous. L’avion était secoué de toutes parts. Moi j’avais des haut-le-cœur permanents et je ne parvenais pas à me concentrer sur son propos. Je n’avais qu’une obsession : éviter que le contenu de mon estomac ne finisse sur sa cravate… Lorsque le calme revint, il me dit, sans doute inquiet par mon ton verdâtre : “Quelque chose ne va pas ?”.

Une autre fois, il s’était en quelque sorte imposé à la rédaction de La Libre. Le chef du service politique de l’époque, Guy Daloze, m’avait prié de l’accompagner dans le bureau où Charles-Ferdinand Nothomb “avait des choses importantes” à dire. La clarté, il était le premier à le reconnaître, n’était pas sa première qualité. Pendant une heure, il nous avait présenté sa dernière idée qui prévoyait une réorganisation de la tutelle des communes – nous étions en pleine affaire des Fourons. À l’issue de l’entretien, un rien ennuyé, il avait dit à Guy Daloze : “Désolé, je crois que je vous ai fait perdre votre temps…” Lucide et humble…

En 2020, interrogé dans la série États d’âme, à la question “Qu’y a-t-il après la mort”, il avait répondu” : “La vie éternelle”. Et à la suivante : “Qu’espérez-vous que Dieu vous dise ?” Il avait rétorqué : “Pas si mal, Charles-Ferdinand”.