Plongée dans les coulisses du « putaclic » alimenté par l’IA sur MSN
Le mail de Jean-Pierre reçu le 16 septembre à la rédaction évoque la politique invasive de Microsoft et la présence d’articles écrits par Maxime Marquette, qui relaterait les succès de l’armée ukrainienne. L’article titré « L’Ukraine pulvérise un navire russe à 60 millions : la flotte de Poutine agonise en mer Noire » contient des éléments d’emphase et est basé sur une information donnée par la Défense ukrainienne, sans vérification par des journalistes ou organismes officiels.
Nos investigations ont été déclenchées par un courriel d’un de nos lecteurs, Jean-Pierre, reçu le 16 septembre à la rédaction. « Avec la politique invasive de Microsoft, nous finissons par avoir des fils d’informations lorsque nous utilisons le navigateur Edge sur le lieu de travail, nous écrit-il. Dans celui-ci, j’ai observé de manière répétée des articles rédigés par un journaliste nommé Maxime Marquette. Il relate essentiellement les succès de l’armée ukrainienne. Son style est rempli d’emphase. Question aux journalistes sérieux : cette personne existe-t-elle vraiment ? Est-ce une information vérifiée ? Est-ce un agrégateur d’information utilisant les outils d’IA ? »
Notre lecteur pointe un article publié sur la plateforme MSN, intitulé « L’Ukraine pulvérise un navire russe à 60 millions : la flotte de Poutine agonise en mer Noire ». Le titre attire l’attention du lecteur, il est plein de promesses, aguicheur, voire… survendu ? Dans le milieu journalistique, on parle de « putaclic ».
Le reste de l’article adopte le même ton. Extraits : « À l’aube d’une journée qui restera gravée dans l’histoire navale contemporaine » ; « cette machine volante, fruit du génie militaire ukrainien » ; « cette attaque […] révèle l’ampleur de la révolution tactique qui bouleverse aujourd’hui les codes de la guerre navale ».
Nous avons vérifié les informations dans un fact-checking (à découvrir ci-dessous) et concluons que l’article répercute une information fournie par le ministère de la Défense ukrainienne, sans qu’aucun journaliste ni ukrainien, ni d’autres médias ou organismes officiels internationaux n’aient pu la confirmer.
L’information est déformée. Alors que la Défense ukrainienne mentionne la mise hors d’état de fonctionnement de systèmes de surveillance électrique du navire nécessitant des réparations importantes, l’article de « Votre dose quotidienne » annonce dans son titre que le navire a été « pulvérisé ».
Sur LinkedIn, Maxime Marquette se présente comme créateur de contenu web et non comme journaliste. Il s’est réjoui au mois d’août dernier d’avoir atteint « 50 millions de pages vues et interactions sur MSN avec Votre Dose Quotidienne » en seulement trois mois. Un chiffre significatif pour une plateforme francophone récente, mais dont nous n’avons pas les moyens de confirmer la véracité.
L’objectif semble donc de publier en grande quantité, de façon « optimisée » pour être sélectionné par l’algorithme de MSN afin que ses contenus soient proposés aux lecteurs qui naviguent sur le portail. Le site « Votre Dose Quotidienne » intégrant des espaces publicitaires, c’est une manière pour Maxime Marquette de générer des revenus.
Pour maximiser ses chances d’être sélectionné par MSN et obtenir le clic des lecteurs, Maxime Marquette utilise les techniques connues de la stratégie dite de « clickbait », parfois appelée « putaclic » en français. Cela consiste à traiter des sujets clivants, controversés ou inédits de l’actualité, et de les présenter sous des titres ou des images sensationnalistes, exagérés voire trompeurs pour capturer l’attention et inciter au clic.
En sélectionnant trois titres au hasard, nous relevons ces mots choquants (en gras) que des journalistes établis s’abstiendraient d’utiliser :
– « L’enfer de Volograd : 115 explosions pulvérisent la machine de guerre pétrolière russe »
– « La rage de Vance explose : Obama accusé d’exploiter la mort de Charlie Kirk pour diviser l’Amérique »
– « L’Ukraine frappe au cœur des géants pétroliers russes : une stratégie explosive qui bouleverse l’économie de guerre ».
Ces titres liés à l’actualité internationale illustrent le type de production du site. Selon nos recherches, la plupart des titres examinés mentionnent Donald Trump (17,92 % des titres), l’Ukraine (11,18 %), la Russie (6,96 %) ou Poutine (6,09 %). Des sujets généralement lucratifs en termes d’audience sur le web.
« On est clairement dans cette stratégie-là, celle du sensationnalisme au niveau des titres », confirme Morgan Fauvel, responsable SEO à la RTBF, qui analyse la viralité de certains sujets et leur circulation sur le web. « MSN met en valeur ce type de sujets, plus que Google par exemple. Et ça semble fonctionner pour lui, car 50 millions de pages vues en trois mois, ce sont des scores équivalents à ceux de la RTBF », qui emploie de nombreux journalistes et rédacteurs pour produire des contenus.
Maxime Marquette n’a pas souhaité répondre à nos questions concernant son style ou sa stratégie pour attirer les clics.
Votre Dose Quotidienne, l’un des sites d’une galaxie de clickbait
En analysant le nom de domaine de « Votre Dose Quotidienne », nous découvrons de nombreux autres sites utilisant la même approche, les mêmes structures et designs (souvent, seule la couleur change). Au total, nous recensons 18 sites « frères », tous francophones, traitant du sport, de la parentalité, de la mode féminine, de l’actualité du stand-up, des médias québécois, de la vie nocturne, de la nature, etc.
Parmi ces 18 sites, certains ne sont plus alimentés aujourd’hui. Certains d’entre eux sont aussi présentés sur MSN. À part « Dose Quotidienne », aucun autre n’aborde l’information politique ou internationale, ces autres sites proposant des contenus légers comme il en existe ailleurs sur le Web.
D’après notre enquête, Maxime Marquette ne publie pas sur ces autres sites, sauf « trucs de filles », inactif depuis avril dernier, moment où il a intensifié sa production sur « Votre Dose Quotidienne ». Les autres sites sont gérés par des rédacteurs que nous avons pu identifier. Certains articles, bien qu’en très petite quantité face au volume total, signalent avoir « été créés à l’aide de l’IA ».
La majorité de ces sites sont gérés par la société OBOX, qui se présente ainsi sur LinkedIn : « Oboxmedia est un réseau d’éditeurs web qui se distingue par la qualité de ses contenus originaux, de son auditoire très engagé, et de son offre publicitaire ‘premium’. Nos marques sont bien connues et appréciées des Québécois : NIGHTLIFE.CA, TonPetitLook, TPL Moms, Ton Barbier, HollywoodPQ et Dans les coulisses. »
Sur son site, Obox divulgue davantage sa stratégie en sept étapes, permettant, selon elle, de « créer des audiences de qualité » :
1. Le backlinking : une technique de référencement où plusieurs sites renvoient des liens entre eux, augmentant ainsi leur visibilité sur les moteurs de recherche.
2. Cette méthode est approuvée par le réseau de sites « couvrant une multitude de thématiques ».
3. Ces sites sont alimentés par des contenus « pertinents, engageants et optimisés »…
4. … Mais aussi par l’intelligence artificielle, permettant la « création automatisée de contenus texte, vidéo et photo ».
5. La « syndication » correspond à la diffusion de ces contenus « via des plateformes comme MSN, Apple News ou Google Discover ».
6. Obox propose enfin une stratégie marketing sur mesure pour chaque canal.
7. Et une présence active sur les réseaux sociaux.
Ce schéma, exposé sur le site d’Obox, confirme des éléments de notre enquête : la multitude de sites frères, la création parfois automatisée de contenus engageants à l’aide de l’IA, et l’importance de plateformes telles que MSN pour générer de l’audience.
Contacté par mail, téléphone et réseaux sociaux, Obox n’a pas donné suite à nos demandes.
Le passé de faux plombier de Maxime Marquette
Nos collègues de Radio Canada connaissent déjà Maxime Marquette, comme l’indique une enquête réalisée en 2023. Cette enquête dévoile comment de faux plombiers spécialisés dans des dépannages d’urgence au Québec ont arnaqué des clients en ligne paniqués par des dégâts des eaux.
« Ces individus investissent dans l’achat de mots-clés pour faire monter leurs sites en tête des résultats de recherche Google », expliquaient nos confrères, ce qui rappelle les techniques de référencement en question. « Ces liens sponsorisés coûtent cher, et c’est en réalité une opération à très court terme qu’ils réalisent », analysera Myriam Ertz, professeure de marketing à l’Université du Québec à Chicoutimi. « Mais leur but est de rafler le maximum de clients, de récupérer autant d’argent que possible à travers des services mal rendus pour ensuite financer leurs dépenses ».
Maxime ouvrait les compagnies à son nom, comme pour les réserver le temps de faire le site web, déclarait Stéphanie Provost, compagne de Maxime Marquette, à nos confrères de Radio Canada. « Une fois tout en place, le client est censé reprendre la compagnie et la remettre à son nom. »
Selon le centre de transparence publicitaire de Google, Maxime Marquette sponsorisait encore des publicités sur Google pour « Urgence Plomberie 24h » en février dernier, soit deux ans après l’enquête de nos collègues canadiens.
Survol de drones d’une usine pas si secrète en Belgique et témoignages fictifs
Un article récemment publié sur le site de « Votre Dose Quotidienne » a suscité un peu plus de bruit que les autres en Belgique. Publié le 8 octobre à 11h56, il est titré : « L’alerte rouge chez Thales Belgique : quand des drones encerclent l’usine secrète ». Cet article long semble reprendre une information diffusée quelques heures plus tôt par le média américain Politico, décrivant comment « le premier fabricant d’armes de l’UE met en garde contre la menace que représentent les drones pour les chaînes de production ».
Politico affirme que « ses usines top secrètes sont survolées par un nombre croissant de drones ». Le média américain se fonde sur le témoignage d’Alain Quevrin, directeur de Thalès Belgique. « Nous voyons qu’il y a plus de drones qu’il y a quelques mois », dit-il. Ces observations auraient été faites au-dessus du Fort d’Evegnée (Soumagne), où Thalès stocke des explosifs pour ses roquettes de 70 mm. Pourtant, l’endroit n’est pas si secret puisqu’il est identifiable sur Google Maps.
L’article ne fournit pas d’autres détails sur ces survols de drones. Il est ensuite cité comme source dans un article de Newsweek (en anglais), puis dans un autre du Kiev Independent (en anglais) et par « Votre Dose Quotidienne », qui est le premier média à en parler en français, sans citer Politico, contrairement aux préconisations de déontologie journalistique.
Pire, l’auteur de l’article (ou l’IA générative qui a rédigé le texte ?) semble halluciner. Dans le deuxième paragraphe, il est écrit : « Aux abords du site, les radars détectent des silhouettes blanches fendant l’air à basse altitude. Sans émettre de bruit, sans avertir, ces drones s’approchent au plus près des hangars où sont entreposées des munitions stratégiques. ‘Je n’avais jamais vu ça’, confie un technicien de Thales, effaré par cette intrusion systématique. Depuis le 3 octobre, les vols suspects se répètent, jusqu’à quinze par nuit. »
On ignore si effectivement les radars ont détecté « ces silhouettes blanches fendant l’air à basse altitude » qui « s’approchent des hangars ». En revanche, le technicien anonyme de Thales n’a pas été interrogé par Politico, à l’origine de l’information. Est-il une invention de Maxime Marquette et/ou son intelligence artificielle ? « On sait les localiser, mais pas toujours les neutraliser », attribue-t-on aussi à « un cadre de Thalès », lui aussi anonyme et non cité dans l’article d’origine de Politico. A-t-on fait appel à une intelligence artificielle pour concevoir ces témoignages ? Nous n’en avons pas la certitude. Ces témoignages anonymes sont des exemples de falsifications régulières des intelligences artificielles génératives.
Pour finir, l’information selon laquelle les vols se répètent « depuis le 3 octobre », « jusqu’à quinze par nuit », est entièrement inventée par l’auteur (ou l’IA ?) qui confond cette donnée avec celle d’un survol par quinze drones, le 3 octobre, d’un camp militaire d’Elsenborn, à 45 kilomètres de là, dont les médias traditionnels belges ont effectivement parlé.
Une mécanique de production bien huilée et probablement boostée avec de l’IA
À ce stade de notre enquête, plusieurs éléments suggèrent que les contenus de « Votre Dose Quotidienne » sont produits à l’aide d’intelligence artificielle générative. La quantité d’articles publiés quotidiennement, leur longueur, leur structure très régulière, ou leur style particulier, programmables via des « prompts », sont autant d’indices qui suscitent des interrogations.
Selon notre analyse, « Votre Dose Quotidienne » pourrait reposer sur une mécanique presque complètement automatisée. Celle-ci serait centralisée sur une indexation d’informations fournies par la presse internationale (via des flux RSS, par exemple et des robots), suivie d’une curation de ces articles avec un accent sur le potentiel viral le plus élevé, grâce à une analyse réalisée possiblement via l’IA. Une fois les contenus identifiés, ils seraient traduits en français et réécrits pour rendre le style attractif grâce à une IA générative, via un prompt défini.
Tous les articles que nous avons examinés sont par ailleurs illustrés à l’aide d’Adobe Stock (souvent avec des drapeaux des pays mentionnés dans l’article), une librairie d’images libres de droits, qui permet de faire des requêtes à distance via une API.
Comme précisé dans le point 4 de la stratégie d’Obox (voir ci-dessus), la société n’hésite pas à recourir à l’IA pour la « création automatisée de contenus texte, vidéo et photo ».
MSN interdit l’utilisation de l’IA pour publier de “grands volumes d’informations superficielles et non originales”
Ces pratiques déloyales, s’éloignant de la déontologie journalistique, interrogent sur la visibilité que le portail MSN confère au site « Votre Dose Quotidienne » et à ses informations géopolitiques.
Le règlement pour l’utilisation de l’intelligence artificielle sur la plateforme MSN est pourtant strict. Il stipule que « notre public et notre communauté d’utilisateurs nous font confiance pour distinguer clairement le contenu généré par l’IA du contenu créé par des humains. Afin de préserver cette confiance, le contenu généré par l’IA sur MSN doit rester du contenu assisté par l’IA (AIAC) et le contenu généré par l’IA non révisé (Unreviewed AIGC) sera interdit, à quelques exceptions près. »
Pour qu’un média puisse être intégré et rester sur la plateforme, MSN impose « le respect des normes professionnelles fondamentales en matière de publication et de journalisme ». Ces normes « s’appliquent à tous les contenus, qu’ils soient le fruit d’une création purement humaine ou de l’IA ».
Ainsi, l’IA peut être utilisée sous trois conditions :
– La supervision humaine : « tous les partenaires doivent s’engager contractuellement à ne pas intégrer de contenu AIGC non révisé. Les outils d’IA peuvent être utilisés comme outils de rédaction/création, mais une intervention humaine significative, telle que la supervision et l’édition, doit faire partie du processus et tout contenu final doit être préparé avec le même soin et la même attention que ceux utilisés aujourd’hui pour la publication de contenu. »
– L’originalité du contenu pour éviter le plagiat, qu’il soit généré par l’IA ou par l’humain. Il est donc interdit « d’utiliser l’IA pour reformuler/remodeler du contenu déjà publié et le republier sous un autre nom et/ou une autre marque », ou « d’utiliser l’IA pour créer une réécriture unique ou en grand volume de contenu. Cette mesure vise spécifiquement à interdire aux sites d’information d’utiliser l’IA pour réécrire ou reformuler du contenu d’actualité authentique et republier de grands volumes d’informations superficielles et non originales. Cela est fait pour modifier l’angle de l’article original, en se concentrant sur un angle politique partisan, un parti pris racial ou tout autre sujet controversé, pour manipuler l’opinion en saturant le fil d’actualité. » Ce point semble correspondre à la stratégie de production de « Votre Dose Quotidienne ».
– La transparence : bien que cela ne soit pas obligatoire, « MSN recommande vivement, à titre de bonne pratique, que tout contenu généré par l’IA (au-delà du simple contenu généré par l’IA mentionné dans la section ‘Contrôle humain’) publié sur MSN puisse être divulgué à MSN, soit signalé aux utilisateurs, et indiqué à côté de la signature du responsable du contenu. » Aucune de ces trois recommandations n’est mise en œuvre par « Votre Dose Quotidienne ».
Contacté par la RTBF, un porte-parole de MSN rappelle que tout utilisateur peut « signaler un problème » en utilisant les trois points situés en haut à gauche d’un article qui poserait question. « Votre signalement sera directement transmis à l’équipe MSN pour examen. […] Lorsque qu’une violation de ces politiques est identifiée, nous agissons rapidement pour retirer le contenu concerné et ouvrons une enquête auprès de l’éditeur. »
Les dérives d’internet à la désinformation
Le phénomène du « clickbait » n’a pas été inventé en 2025. Il est apparu avec internet et a été amplifié par la domination des réseaux sociaux et des moteurs de recherche, où chaque contenu créé doit rivaliser avec un autre pour capter l’attention de l’internaute. C’est une dérive de ce que permet le fonctionnement d’internet, avec ses logiques de référencement.
Dans la plupart des cas, le contenu « survendu » dans le titre porte sur des sujets futiles qui n’ont pas d’impact négatif sur la vie des gens ou sur leur compréhension du monde.
Dans le cadre de « Votre Dose Quotidienne », c’est l’information utilisée sans scrupules pour générer de l’audience et du profit, sans aucune considération pour la véracité de celle-ci ou pour les lecteurs qui la consulteront. Le code de déontologie journalistique, qui consacre « la recherche de la vérité » comme objectif premier du journaliste, n’a pas été respecté dans les articles que nous avons examinés.
Cette désinformation « industrialisée » grâce à l’intelligence artificielle générative peut avoir de graves conséquences pour le public. Les questions de géopolitique, liées aux conflits ou à l’état du monde, peuvent susciter des émotions fortes telles que le sentiment d’insécurité ou d’angoisse chez les lecteurs, en fonction de la façon dont l’article est présenté. Ces informations traitées de manière sensationnaliste et non journalistique peuvent également induire en erreur ou manipuler les électeurs à l’approche d’un scrutin.

