Belgique

Peut-on tout dire sur les réseaux sociaux ?

Il est primordial dans un état démocratique que tout citoyen puisse manifester ses opinions en toute matière. Nous avons le droit d’avoir un avis, de critiquer, de débattre voire de contester les décisions du pouvoir en place ou de tout autre organe. Il nous est même permis, dans certaines circonstances, d’être outranciers, de tenir des propos qui “heurtent, choquent ou inquiètent”, comme l’ont souvent rappelé nos juridictions nationales et supranationales. Cela participe à la respiration de la démocratie.

Partant de ce principe, on pourrait être tenté de penser qu’il est permis de tout dire sur les réseaux sociaux… Ce serait toutefois faire un raccourci hasardeux.

En effet, si ce droit de s’exprimer est considéré comme fondamental, il n’est pas absolu.

Liberté fondamentale, mais

L’article 10.2 de la Convention européenne des droits de l’Homme liste toute une série de circonstances dans lesquelles les États peuvent fixer des conditions, des restrictions ou des sanctions qui limitent la liberté d’expression. Il s’agit des cas où cette liberté entrera en conflit avec des notions telles que la sécurité nationale, la sécurité publique, l’impartialité du système judiciaire ou encore la protection de la réputation et des droits d’autrui.

Ces restrictions découlent de ce, qu’au même rang que la liberté d’expression, sont consacrées d’autres libertés fondamentales dont notamment le droit à la sûreté, le droit à un procès équitable ou le droit à la vie privée. Aucune de ces libertés ne prime sur les autres, elles ont toutes une valeur équivalente et doivent être respectées.

Ce principe posé, on voit bien que la réponse à la question “Peut-on tout dire sur les réseaux sociaux ? “ne pourra qu’être nuancée.

Liberté d’expression versus atteinte à la réputation

Prenons un exemple. Monsieur A poste une publication sur Facebook qui met en cause Monsieur B. Monsieur B estime que cette publication porte atteinte à sa réputation, et donc à son droit à la vie privée. Monsieur A refuse de retirer sa publication ou de poster un démenti au motif qu’il ne ferait qu’exercer son droit à la liberté d’expression. Monsieur B porte l’affaire en justice.

Si le juge estime que la publication est bien susceptible de porter atteinte à la réputation de Monsieur B, il devra faire la balance entre les deux libertés en présence pour déterminer si la publication est fautive ou non. Il sera guidé dans sa décision par les balises dégagées par les jurisprudences nationale et supranationale qui l’amèneront à se poser diverses questions.

La première est de savoir si la publication entre dans un débat “d’intérêt général”, critère fondamental aux yeux de la Cour européenne des droits de l’Homme. La liberté d’expression est bien davantage protégée lorsque le sujet abordé est d’un certain intérêt sociétal que si la publication ne porte que sur des conflits interpersonnels sans lien aucun avec le “bien commun”.

Il examinera aussi le contexte dans lequel elle intervient. Cette publication s’inscrit-elle dans un débat déjà en cours ? Répond-elle aux propos tenus par la personne mise en cause ou s’agit-il au contraire d’une attaque purement gratuite ? Si c’est le ton employé qui est reproché, pour son caractère injurieux ou excessif par exemple, est-il en résonance avec celui utilisé par celui auquel il s’adresse ?

Le caractère public ou non de la personne visée entrera également en ligne de compte. Il est plus facilement accepté, sous certaines réserves, que l’on commente ou critique une personnalité publique qu’un simple quidam qui n’a jamais cherché à prendre part aux débats d’opinion publique.

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L’exactitude des propos tenus entrera encore en ligne de compte, tout comme l’intention qui les précède. Si des allégations sont portées à l’encontre d’une personne, il faudra qu’elles reposent sur une base factuelle suffisante et non consister en des déclarations à l’emporte-pièce. La bonne foi ou au contraire l’intention méchante qui pourrait animer l’auteur entreront également en ligne de compte. Les cours et tribunaux, nationaux et supranationaux, ont maintes fois jugé que la liberté d’expression n’allait pas jusqu’à protéger les attaques ou insultes purement gratuites, privées de tout fondement.

Le racisme n’est pas une opinion

Enfin, rappelons que certains propos sont par essence illégaux, tels que les propos racistes ou inspirés par la xénophobie.

C’est l’examen de l’ensemble de ces critères qui permettra au juge de décider si ce qui a été publié sur le réseau social pouvait l’être ou non.

On l’aura compris, il n’existe pas de formule magique qui permette de déterminer ce qu’il est permis de dire ou pas sur les réseaux sociaux. La règle générale est que nous jouissons tous de la liberté d’expression mais cette liberté n’a pas vocation à supplanter les autres droits fondamentaux dont chacun jouit également. L’appréciation se fera au cas par cas et l’utilisateur d’un réseau social devra se livrer au même examen que le juge susvisé pour décider de publier ou non ce qu’il pense devoir dire.

Qui est Benjamine Bovy, l’auteure de ce texte ?

Me Benjamine Bovy (cabinet Struyven), est avocate au barreau de Bruxelles depuis 2006, elle pratique essentiellement le droit pénal et est également assistante en droit pénal et procédure pénale à l’UCLouvain.

Benjamine Bovy, avocate au barreau de Bruxelles
Benjamine Bovy, avocate au barreau de Bruxelles ©DR

Droit de savoir

Cette série est un partenariat entre La Libre et l’Ordre français du barreau de Bruxelles.

Le logo de l'Ordre français du barreau de Bruxelles
Le logo de l’Ordre français du barreau de Bruxelles ©DR