”Personne en Belgique ne prend des statines par plaisir. Dans certains cas, c’est une nécessité médicale absolue”
En prévention secondaire, après une maladie cardiovasculaire, pour des patients à très haut risque, ces médicaments utilisés pour faire baisser le taux de cholestérol sont incontournables, selon un cardiologue, qui réagit à la mesure envisagée par le ministre Vandenbroucke d’augmenter le ticket modérateur.
- Publié le 17-07-2025 à 06h41

À la chasse aux « gaspillages », le ministre de la Santé Franck Vandenbroucke semble bien décidé à demander un « très grand effort de réforme » sur tous les fronts en matière de santé. Et cela, de tous les acteurs impliqués, qu’il s’agisse des mutualités, des patients, des médecins, des pharmaciens…
Entre autres sujets évoqués dans ce plan destiné à faire des économies considérables, il est question du relèvement de certains tickets modérateurs, c’est-à-dire le montant restant à charge du patient. Dans le viseur, il y a les très répandus médicaments destinés à réduire le cholestérol, de type statines, et les IPP ou inhibiteurs de la pompe à protons, ou médicaments anti-reflux utilisés pour réduire la quantité d’acide produite par l’estomac. Sachant qu’environ la moitié de la population belge recourt à au moins l’un de ces deux types de médicaments, on imagine les retombées. Financières, certes, avec une économie de 87 millions d’euros pour ces deux types de médicaments, mais aussi en termes de santé pour le patient qui verrait le prix de ses traitements largement augmenté.
Alors, bonne ou mauvaise idée, cette mesure, c’est la question que nous avons posée au Dr Antoine Bondue, cardiologue à l’Hôpital Erasme et Président du Comité scientifique de la Ligue cardiologique belge.
« Avant tout, il faut faire la part des choses entre les prescriptions de statines en prévention secondaire, donc après une maladie cardiovasculaire, pour des patients à très haut risque, versus des prescriptions de statines en prévention primaire chez des patients qui n’ont pas de maladie cardiovasculaire. Quoi qu’il en soit, les statines ont un effet bénéfique très important. C’est presque un médicament de première nécessité en prévention secondaire après avoir eu un événement cardiovasculaire, car on sait que cela diminue le risque de récidive de maladie cardiovasculaire, le risque de mortalité, les hospitalisations et les nouvelles procédures. Il y a même une relation quasi linéaire entre le niveau de cholestérol qu’on atteint et la survie des patients, ainsi que les événements cardiovasculaires. Cette nécessité de prescrire des statines après avoir eu un événement cardiovasculaire est également vraie pour des patients à très haut risque de maladie cardiovasculaire« .
Plus discutable en prévention primaire
Et en prévention primaire ? « C’est peut-être plus discutable, admet le Dr Bondue. En prévention primaire, pour des patients de plus faible risque, c’est plus compliqué car effectivement, dans le cadre d’une stratégie à grande échelle de prévention primaire, on devrait traiter beaucoup de personnes et on s’expose à des risques d’effets secondaires par rapport aux bénéfices. Il ne faut pas prescrire des statines à tout le monde les yeux fermés. Cependant, des études ont quand même montré qu’en diminuant même un tout petit peu le niveau de cholestérol d’une population en général, en prescrivant des statines à toute petite dose, on diminue le nombre de maladies cardiovasculaires« .
Si le spécialiste a donc un avis un peu plus nuancé pour des patients avec un risque cardiovasculaire faible, il n’en démord pas, « après un événement cardiovasculaire, prescrire des statines, c’est une nécessité absolue. Il ne faut même pas réfléchir. Et pour ne pas en prescrire, à l’inverse, il faut vraiment avoir de très bonnes raisons, parce que c’est à la limite de la mauvaise pratique médicale. Dans toutes les recommandations, on trouve ces médicaments, avec des doses même relativement importantes. Si en Belgique, le médecin regarde encore les taux de cholestérol, aux États-Unis, par exemple, on les prescrit sans même vérifier le niveau de cholestérol« .
Les statines plutôt sous-prescrites que surprescrites
À la question de savoir si les statines sont surprescrites, le médecin est catégorique : « Non, je ne pense pas qu’il y ait de surprescriptions, même pas en prévention primaire. Au contraire, j’aurais tendance à dire qu’il y a plutôt une sous-prescription de statines aujourd’hui par rapport à la vraie nécessité médicale. Et je pense qu’il y a plutôt des mouvements anti-statines, comme il y a des mouvements anti-vaccins. En fait, je ne vois pas très bien pourquoi on s’attaque aux statines, alors que ce sont des médicaments relativement bon marché, qui sont vraiment une nécessité médicale. En Belgique, les médecins sont plutôt prudents dans leurs prescriptions à ce niveau, et certains patients qui auraient besoin de statines n’en ont pas. Je ne vois pas des médecins généralistes prescrire des statines les yeux fermés, sans réfléchir et sans bonne raison. Il ne faut pas oublier qu’il y a des effets secondaires chez certains patients qui se plaignent par exemple de crampes musculaires. Donc les généralistes ont plutôt tendance à diminuer la prescription en statines, voire les arrêter parfois. Personne ne prend des statines par plaisir dans ce pays« .
Les médicaments anti-reflux moins nécessaires
Par contre, en ce qui concerne les médicaments utilisés pour diminuer l’acidité gastrique, « je ne peux pas en dire autant, relève le cardiologue. Ici, en effet, je pense qu’il y a peut-être des gens qui prennent ces médicaments chroniquement sans même remettre en question l’indication. Pour le reflux gastro-œsophagien, tout le monde a envie de prendre un petit médicament protecteur de son estomac« .
En conclusion, y aurait-il dès lors un danger réel à augmenter le ticket modérateur pour les statines ? « Le vrai danger, c’est que des patients qui auraient besoin de statines n’en prennent pas, répond le Dr Bondue. Pour des patients qui ont des risques cardiovasculaires relativement élevés et qui n’en prendraient pas, on s’expose à un risque d’augmentation du nombre d’événements cardiovasculaires avec un coût indirect sociétal aussi. Je pense qu’on s’attaque à une mauvaise cible. Je pense qu’il y a des médicaments chers ou autres pour lesquels on a moins d’impact thérapeutique et qui sont peut-être effectivement prescrits chroniquement les yeux fermés. En Belgique, on ne peut pas dire que l’on est un pays champion de la prescription des statines ».


