« Parlons solutions » : peut-on réinsérer les plus éloignés de l’emploi ?
Au centre IFI, 50 stagiaires sont présents et l’organisation fait 120 parcours sur une année. Quatre-vingt pourcent des stagiaires qui entrent à l’IFI n’ont aucun diplôme et vingt pourcent en moyenne décrochent un contrat au terme de leur formation.
Au centre IFI, les parcours des stagiaires révèlent une volonté commune de « se remettre en route » après de longues périodes de ruptures scolaires, professionnelles ou personnelles. Nombreux sont ceux qui y arrivent après avoir connu des formations inachevées ou des phases de chômage prolongées. Magali, 42 ans, évoque comment son retour à la formation a été déterminant : « Dans cette formation, c’est comme une grande famille. Ils sont très humains, très à l’écoute, très ouverts et nous suivent selon notre évolution. C’est grâce à IFI que j’ai pu obtenir un stage qui va bientôt déboucher sur un article 60 début d’année 2026. »
« C’était un peu la descente aux enfers. »
Mike, 33 ans, ancien ouvrier du bâtiment devenu agent d’accueil après un an et demi de remise à niveau témoigne d’une expérience similaire : « Depuis 2018, c’était un peu la descente en enfer. Je ne pouvais plus travailler. J’ai dû déménager et retourner chez ma mère. Ça m’a permis de me recentrer sur moi-même, de découvrir des choses que je ne pensais pas savoir faire. L’IFI m’a redonné les bases et surtout de la confiance. On ne se lève plus à 11 heures. On se lève même à 6 heures pour faire sa journée de formation à partir de 8 heures. »
François, 36 ans, suit une formation en maçonnerie. Après une scolarité chaotique, il a vécu dans la rue. « J’ai eu un passé très très compliqué. L’école, je n’y allais pas souvent. Puis on se faisait renvoyer, on trouvait une autre école, c’était rebelote. » Avant d’être au CPAS, il a connu la rue. « La charité, je n’aime pas ça. C’est vraiment horrible. De penser à ce qu’on va faire le lendemain, où s’abriter, que manger, est-ce qu’on doit voler, ce n’est pas évident du tout. »
Tous les stagiaires partagent une même dynamique : reprendre un rythme, renouer des liens et retrouver une utilité sociale. Pour Ibrahima, 32 ans, stagiaire en nettoyage, l’apprentissage va au-delà du geste professionnel : « C’est important de voir tout le monde, toutes les couleurs. Pour moi, c’est intéressant de suivre une formation parce que j’ai l’espoir de trouver un travail. J’ai fait le stage, j’ai eu beaucoup d’expériences et si je réussis ma validation, c’est important. »
Au-delà des cours, l’organisation mise sur un suivi quotidien visant à stabiliser les stagiaires. L’assistante sociale, Mathilde, occupe une fonction clé : présente dès 7h30, elle effectue un tour des locaux, écoute et repère les fragilités. Le directeur précise : « C’est vraiment créer un lien, voir s’il y a quelqu’un qui a des coups, s’il y a quelqu’un qui sent l’alcool, s’il y a quelqu’un qui est arrivé en retard. »
La coordinatrice pédagogique, Ornella Libretta, illustre également cet accompagnement comme un investissement de fond : « On a toute une phase de clarification de projet. Nous soutenons des personnes éloignées de l’emploi, peu ou pas qualifiées, avec un parcours chaotique. Se lever le matin et tisser des liens les aide à s’insérer socialement et, à terme, professionnellement. »
L’asbl IFI propose des remises à niveau en orthographe et mathématiques, tout en offrant des séances de développement personnel. Ces initiatives visent à aider les stagiaires à sortir de leur bulle, à oser s’exprimer et à s’ouvrir aux autres. Des bases en informatique leur permettent aussi de construire un CV et de rechercher des offres d’emploi. Selon Ornella Libretta, ce coaching est essentiel pour des personnes souvent marquées par les échecs : « On travaille l’estime de soi à travers diverses activités : improvisation, théâtre, expression écrite. On pousse les personnes à sortir de leur zone de confort, ce qui entraîne des répercussions très positives. »
Au sein des différentes filières, chacun avance à son rythme grâce à des programmes individualisés. Ce cadre, qu’il s’agisse d’orthographe, de bureautique, de nettoyage sur machines industrielles ou de cuisine, est perçu par les encadrants comme la clé du succès.
Cependant, malgré le courant positif, l’équipe redoute un avenir incertain. Le directeur, Eric Bodart, décrit une situation « incompréhensible » si l’on considère les résultats : « On a des gens qui travaillent, qui décrochent des emplois, mais je vais devoir licencier. Notre subside de fonctionnement a été réduit et nous avons d’énormes craintes pour 2026. Faire mieux avec moins, ce n’est pas possible. »
Pour lui, la réduction du personnel impactera directement les parcours : « Chez nous, c’est le lien social qui importe. Si j’ai moins de personnes disponibles pour écouter quand ça va mal, ça sera moins efficace. Il y aura plus d’arrêts, plus d’abandons, donc moins de mises à l’emploi. » Eric Bodart insiste également sur l’importance sociale du travail entrepris depuis trente ans : « Quelqu’un qui apprend à se lever tous les jours, qui prépare sa mallette, dont les enfants voient un parent se lever pour agir, c’est inestimable. »
Il rappelle l’ampleur des besoins : « Aujourd’hui, 50 stagiaires sont présents, et nous incluons 120 parcours par an. Nous aurons toujours autant de stagiaires, mais nous devrons effectuer ce travail avec moins de personnes, ce qui nuira à la qualité. »
L’équipe de l’asbl IFI s’inquiète des décisions d’avenir, comme la fermeture des sections sans mise à l’emploi dans l’année précédente. « Nous sommes un centre d’insertion socio-professionnelle. Le ‘professionnel’ est la cerise sur le gâteau, lorsque quelqu’un trouve un emploi. Mais l’insertion sociale est également essentielle. À la suite, ce n’est pas toujours un emploi. Toutefois, nous remettons toujours debout des personnes, à qui nous redonnons confiance, leur permettant de se projeter dans l’avenir plutôt que de rester sur un fauteuil ou traîner dans la rue. »
Quatre-vingts pourcents des stagiaires entrant à l’IFI n’ont aucun diplôme, et en moyenne, seulement vingt pourcents réussissent à obtenir un contrat à l’issue de leur formation.

