Belgique

Paparazzi animalier, Vincent parcourt l’Europe pour son album Panini.

Vincent a aujourd’hui 48 ans et développe sa passion pour les oiseaux depuis son enfance, encouragé par son père qui lui a offert un guide des espèces et des jumelles. Il a déjà effectué trois voyages au Koweit cette année, cherchant à photographier des espèces rares, dont une rousserolle à gros bec et un puffin à bec grêle.

À l’âge où les enfants jouent au football, il se passionne pour les oiseaux

Vincent a aujourd’hui 48 ans, mais sa passion pour les oiseaux a commencé lorsqu’il était enfant. « C’est arrivé pendant mes études, j’étais plus intéressé par les oiseaux que par les cours. Mon père, qui est instituteur, a compris et encouragé cet attrait pour la nature en m’offrant un guide des espèces et des jumelles. »

A l’âge où les enfants passent leur temps libre à jouer au football, Vincent se met à traquer les animaux, en particulier les oiseaux. « En Belgique, on a vite fait le tour des espèces locales, je me suis alors penché sur les spécimens de passage, rares ou égarés. Et là, j’ai un jour découvert une espèce qui n’était vraiment pas fréquente à l’époque, un groupe de bernache cravant du Groenland. Je les ai signalées sur un site spécialisé et un ornithologue averti, Jan Van Wijnsberge, m’a repéré et m’a proposé de rejoindre une sorte de club fermé de passionnés d’oiseaux qui se partagent des informations : dès qu’il y a un spécimen rare quelque part en Belgique, on s’avertit par bipeur et on s’organise pour aller le voir sur place et le photographier. »

Au début, il sillonne essentiellement la Belgique. « Ce qui me faisait vibrer, c’était un morse ou des dauphins aperçus à la mer du Nord, des vautours dans le Hainaut ou des loups dans le Limbourg. Ça me passionnait plus que d’attendre des oiseaux nicheurs qu’on peut voir régulièrement. » Mais avec le temps, il élargit son terrain de jeu. Aujourd’hui, il couvre une zone qui inclut l’Europe, l’Afrique du Nord, la partie européenne de l’Asie et le Proche-Orient, autrement dit une biozone que les spécialistes appellent le Paléarctique occidental.

Loup gris à Peer en Belgique en septembre 2023 © VINCENT LEGRAND

Il réalise 3 voyages au Koweït en moins de 5 mois et dort dans sa voiture pour réduire les coûts

Vincent a également été séduit par la photographie et il ramène des clichés impressionnants qu’il commence à collectionner. « Je suis ce qu’on appelle un ‘cocheur’ ou un ‘listeur’. J’aime ajouter des espèces à ma liste, surtout celles qui n’ont jamais été vues ou très rarement. Et pour cela, il y a beaucoup d’efforts à fournir. Soit il faut les chercher en Belgique lors de leur migration ou d’épisodes météo qui les ont perturbés, soit il faut se déplacer dans les pays où des spécimens rares ont été repérés. »

Je traque les animaux pour les photographier, mais je n’aime pas être leur cible.

Vincent s’est déjà rendu trois fois au Koweït cette année. « On m’avait signalé la présence de plusieurs espèces rares, dont une rousserolle à gros bec. Je l’ai ratée au premier voyage, j’y suis donc retourné trois semaines plus tard et je l’ai vue. Puis, la troisième fois, c’était pour un puffin à bec grêle, une espèce qui vit dans l’hémisphère sud et qu’on n’avait jamais vue si haut dans le Nord. À ne pas confondre avec le puffin fuligineux, plus commun. »

Trois fois au Koweït en un an, Vincent n’est pas particulièrement fortuné, mais il trouve des moyens de limiter les frais. « Les billets d’avion sont relativement bon marché, moins de 400 €, et on essaie de partir à plusieurs pour partager les coûts, on loue par exemple une voiture sur place et on dort dedans. » Mais pas à la belle étoile, ce qu’il déteste. « Dormir à la belle étoile, c’est hors de question pour moi. Ce n’est pas assez sécurisant. Je traque les animaux pour les photographier, mais je n’aime pas être leur cible. Les serpents de jour, c’est génial, mais pas quand je dors, sans parler du matériel qui coûte trop cher pour le laisser dehors. Dans une voiture, on s’enferme et pour moi, c’est la meilleure des sécurités. »

4ème au classement européen des collectionneurs d’oiseaux

Les voyages de Vincent sont jonchés de mésaventures. « Lors d’un voyage au Koweït, on voulait aller dans une oasis, là où les oiseaux se réunissent pour boire avant de migrer en traversant le désert, mais on n’avait pas pris de 4X4, car ils n’en louent pas aux touristes. Au départ, on a failli s’ensabler en quittant la route, donc on a hésité à se lancer, puis on a tenté le tout pour le tout. J’ai foncé comme un malade et on a réussi à franchir les 20 km de sable qui séparaient la route de cette oasis. Et en y arrivant, on a eu une énorme surprise, car après à peine une heure d’observation, est apparue une hirondelle striée africaine ! Elle s’était égarée depuis le centre de l’Afrique, c’était une nouvelle espèce pour le Paléarctique Occidental. Autant dire qu’on était super heureux ! »

Dans ce cas, Vincent peut cocher une nouvelle case dans sa liste d’oiseaux. Sa collection s’élève déjà à 893 spécimens différents. C’est un peu l’album Panini des ornithologues, avec des photos de volatiles au lieu des footballeurs. On peut le consulter sur https://www.netfugl.dk/ranking/2.

Avec ses centaines d’heures d’observation et ses multiples voyages, Vincent est en 4ème position européenne. « C’est une sorte de classement international, mais purement amical, on ne gagne rien, on essaie juste d’accumuler les espèces et de les étudier. Il y a beaucoup d’Anglais, de Français, d’Allemands, de Scandinaves, d’Espagnols, d’Italiens. On essaie de se voir sur des ‘twitch’, des spots où une grosse rareté a été signalée. » Une des dernières fois, c’était en Italie pour une sorte d’hirondelle, le martinet de Sibérie.

Orque à Skervoy en Norvège en novembre 2022 © Vincent Legrand

L’archipel des Açores, c’est la Mecque des ornithologues, mais en octobre, c’est aussi la période des tempêtes et des ouragans

Ce petit monde de passionnés a aussi son rendez-vous annuel dans l’archipel des Açores, au cœur de l’Atlantique. « C’est notre point de ralliement, on y va chaque année en octobre, c’est la zone la plus propice pour voir et découvrir des espèces américaines, par exemple le rarissime viréo mélodieux qu’on a vu la dernière fois. »

Vincent est d’ailleurs assez fier, car l’année dernière, c’est lui qui a identifié ce rarissime viréo, mais il a également découvert le premier Autour des palombes américain à partir d’une de ses photos prise à 3 kilomètres. De quoi se faire un nom dans cette communauté de passionnés. « On est généralement une trentaine d’ornithologues chaque année, notre record est de 77, mais au total, 300 amateurs ont déjà participé à ces rendez-vous des Açores. Il y a 20 ans, on était huit. On communique par WhatsApp ou par talkie-walkie quand il n’y a pas de réseau. Il n’y a pas de hiérarchie, mais on s’organise assez bien. »

Ces dernières années, on remarque les effets du changement climatique. (…). Tant mieux pour nous, même si ce n’est pas nécessairement un bon signe pour l’état de la nature.

Les Açores sont bien accueillis car, à cette saison, en octobre, il n’y a plus beaucoup de touristes. « Il fait bon jusqu’à fin septembre. Après, il y a des tempêtes et des ouragans, donc la météo est dégueulasse. Il n’y a plus de clientèle dans notre petite pension de famille et notre présence leur permet de repousser la fin de saison d’un mois, donc c’est un mois de revenus en plus pour eux, ils nous accueillent à bras ouverts. »

Et si les voyages au milieu de l’Atlantique sont si fructueux en termes d’espèces à photographier, c’est en partie à cause du changement climatique. « Cela fait quelques années qu’on remarque les effets du changement climatique. Il y a des mouvements de courant dans les océans, ce qui provoque pas mal de migrations de poissons, et donc d’oiseaux puisque beaucoup s’en nourrissent. Tant mieux pour nous, même si ce n’est pas nécessairement un bon signe pour l’état de la nature. »

Le viréo mélodieux photographié aux Açores © Vincent Legrand

Une passion coûteuse qui rapporte des clopinettes

Pour prendre des photos de qualité, il faut être bien équipé, et Vincent l’est assurément. « Comme on photographie de loin et souvent en début ou en fin de journée avec une faible luminosité, j’ai investi dans le meilleur matériel. J’en ai pour 20.000 euros, rien que mon téléobjectif en coûte 12.000. J’y tiens comme à la prunelle de mes yeux, si on me vole ça, c’est la dépression assurée. »

Cependant, sa passion ne rapporte pas grand-chose. On pourrait croire que les photos d’oiseaux rares valent cher, mais pas du tout, Vincent s’en désole. « C’est le contraire des paparazzis qui revendent cher les photos de stars. Nous, les magazines publient nos photos d’oiseaux rares, mais gratuitement ou en payant des cacahuètes. Prendre de belles photos de mésanges, de rouge-gorge ou de martins-pêcheurs serait plus rentable, mais la rentabilité n’est pas ma priorité. Disons que j’ai un boulot alimentaire, je n’ai pas d’enfants et je suis locataire, donc je peux tout consacrer à ça. »

Ce responsable, il peut me demander tout ce qu’il veut en heures sup, je l’aiderai toujours !

Un intérêt pour les oiseaux qui n’a pas que des coûts financiers, avoue Vincent. « C’est une passion envahissante, je le reconnais. Ça m’a coûté plusieurs relations. Quand j’étais en couple, on voyageait pour le plaisir, je n’étais pas en recherche permanente, ça se passait bien, mais c’est plus fort que moi. J’essayais quand même chaque fois de trouver un animal rare. En Afrique du Sud, c’était le requin blanc, en Inde, c’était la panthère des neiges, au Costa Rica, c’était un petit fourmilier, et en Thaïlande, c’était le Binturong, une sorte de civette, un petit ours à longue queue qui sent le pop-corn. »

Côté professionnel, par contre, Vincent peut compter sur une grande compréhension. « Mes supérieurs connaissent ma passion, ils savent à quel point ça a de l’importance pour moi, et ils acceptent que je prenne congé à l’improviste pour aller photographier un oiseau rare qui a été repéré dans un coin reculé. En échange, je suis consciencieux et toujours partant pour aider. J’ai un jour fait 600 km un dimanche pour voir un morse et je l’ai raté. Je suis revenu un peu dépit au boulot le lundi. Et puis le mardi, un ami me dit que le morse est à nouveau là, au même endroit. Malgré la période chargée au boulot, mon boss m’a donné ma journée pour aller le photographier. Premier truc que j’ai fait en arrivant sur place, j’ai fait un FaceTime avec lui. Eh bien, ce responsable, il peut me demander tout ce qu’il veut en heures sup, je l’aiderai toujours ! »

La plus belle photo est parfois celle qu’on ne prend pas

Dans le milieu des ornithologues, Vincent Legrand est réputé pour la qualité de ses photos. À quand la publication d’un livre ? « Le livre, j’aimerais bien, mais je travaille seul, c’est compliqué, d’autant plus que je suis quelqu’un de très perfectionniste. J’ai beaucoup de mal à sortir quelque chose de concret. »

En attendant qu’il franchisse peut-être un jour le pas, on peut suivre les périgrinations et les photos de Vincent sur www.vincentlegrand.com ou sur les réseaux sociaux, principalement Facebook (Vincent Legrand Photography) et Instagram (legrandwild).

Je fais tout pour avoir une photo, mais jamais au détriment de l’oiseau.

Mais parfois, il n’y a pas de photos car il n’a pas eu le temps de déclencher : « Je me souviens qu’en Égypte, j’ai vu un martinet des palmiers entre deux maisons. C’est une sorte d’hirondelle qui ne se pose jamais. Je l’ai vu alors que j’étais au volant, je l’ai reconnu en une fraction de seconde, il est hyper identifiable, mais on était dans un petit village et impossible de faire demi-tour. Donc voilà, ça restera dans ma tête toute ma vie, personne ne l’a jamais revu là-bas depuis lors. Mais je l’accepte entièrement, je suis content d’être tombé dessus, même sans avoir eu le temps de sortir mon appareil. C’est évident frustrant, surtout quand on a fait un long voyage et qu’on rate le cliché, mais ça prouve qu’on n’est pas infaillible, qu’on ne peut pas tout identifier ni tout voir et photographier, c’est le charme de l’incertitude. »

Et puis, ce qui l’anime avant tout, c’est l’amour des oiseaux. « Je fais tout pour avoir une photo, mais jamais au détriment de l’oiseau. J’ai déjà renoncé à une photo parce que faire un mouvement brusque allait le faire partir. Non, je préfère rester calme et tant pis si je rate la photo, j’aurai le souvenir, c’est la vie. »

Autour des palombes américain à Corvo aux Açores en Octobre 2024 © VINCENT LEGRAND