Belgique

Noir complet ou néons aveuglants dans les cachots 2.0 de la prison de Haren : “On peut imposer un dispositif redoutable et inhumain aux détenus”

Trente-deux heures en immersion dans la prison de Haren

Ce “village pénitentiaire”, comme l’ont baptisé les autorités, à l’infrastructure flambant neuf, est censé appliquer les standards de détention les plus modernes qui respectent la dignité humaine. Notamment quand des détenus doivent être écartés du groupe pour des raisons de sécurité ou suite à une sanction disciplinaire.

Une vitre opaque

La réalité des cellules d’isolement qui existent à Haren semble pourtant démentir le beau principe. En cause : un dispositif qui permet de plonger ces cachots 2.0 dans le noir complet, privant ainsi le détenu de tout repère sensoriel

Un client de Me Nicolas Cohen en a fait récemment l’expérience. Le détenu, surpris en possession de stupéfiants, a refusé de remettre la substance aux agents pénitentiaires. Plaqué au sol pour le forcer à la rendre, l’homme a proféré des insultes. La direction de la prison a décidé d’une mesure provisoire de mise à l’isolement du détenu.

Les conditions dans lesquelles elle s’est opérée indignent l’avocat : le détenu dit y avoir passé la journée dans une totale obscurité. Un de ses collaborateurs, Me Nicolas Crutzen, qui a pu rendre visite au détenu, a personnellement constaté les faits. Il a fallu cinq bonnes minutes pour ouvrir la porte parce que le badge (qui fait office de clé au sein de la méga-prison) ne fonctionnait pas. Un gardien a dû venir à la rescousse avec un passe-partout.

Il n’y avait aucune lumière dans la cellule de trois mètres sur trois, équipée d’une vitre opaque qui, en principe, permet un accès limité à la lumière naturelle. Mais le détenu était plongé dans le noir.

Pas d’interrupteur à l’intérieur

Le noir absolu, pas la pénombre, insiste Me Crutzen. Parce que le dispositif de volet occultant, actionné depuis le poste central de commandement de la prison (le PCI) était enclenché. Et impossible pour le détenu d’allumer : il n’y a pas d’interrupteur à l’intérieur de la cellule.

Quand l’avocat a finalement ouvert la porte, le détenu a été aveuglé par la lumière du couloir. L’intéressé lui a expliqué qu’il avait de la lumière pendant les premières 24 heures. Un néon aveuglant, qui est resté allumé en permanence… Le deuxième jour, le détenu a donc été plongé dans le noir, sans que les gardiens puissent en expliquer la raison. Le surveillant – dont c’était le premier jour à Haren – ne savait pas comment le système fonctionnait. Dans cette cellule totalement hermétique, sans lumière, sans mobilier autre qu’un lit accroché au mur avec, dessus, un matelas en plastique, un W.-C. en alu et un lavabo intégré, aucun repère sensoriel n’est possible.

”La prison dans la prison”

Au cours de la visite de l’avocat, la lumière est revenue – de fait aveuglante. “Pire en fait que le noir”. Les gardiens ont expliqué que c’était soit l’un, soit l’autre. Pour la lumière moins forte, “de nuit”, il faudra voir si un technicien peut l’activer…

”Ces conditions constituent à tout le moins un traitement dégradant voire inhumain, surtout si on considère que les cachots de Haren viennent à peine d’être conçus”, assène Me Nicolas Cohen. Depuis de nombreuses années, l’avocat se montre particulièrement attentif à la situation du cachot qui constitue “une prison dans la prison”, lieu de solitude forcée d’un être humain souvent doublé de conditions dégradantes : saleté, courants d’air, température glaciale ou irrespirable, vue limitée vers l’extérieur… “Ce sont généralement des conditions circonstancielles, dues à l’état de délabrement des prisons, non voulues par l’administration. Mais c’est à la prison de Haren, la plus récente, qu’apparaît ce dispositif cruel et moderne : pouvoir imposer le noir complet à son occupant”.

Président du Conseil central de surveillance pénitentiaire (CCSP), Marc Nève confirme que plusieurs détenus placés en isolement à Haren se sont plaints d’avoir été de la même manière plongés dans l’obscurité.

Le jour de la visite de son collègue avocat, le client de Me Cohen passait en audition disciplinaire. Le soir même, il réintégrait sa cellule avec une sanction de 24 jours d’isolement, à l’intérieur de celle-ci.

”Les persiennes ne sont jamais fermées”

Interrogée par nos soins, l’administration pénitentiaire affirme que “les persiennes des cellules de punition ne sont jamais fermées”. Il existe un poste “intercom” (un parlophone) qui permet au détenu de communiquer avec le centre de surveillance entre les différentes visites effectuées par le personnel, ajoute-t-on à la même source. L’administration indique qu’en date du 15 mai, 346 hommes et 100 femmes étaient détenus à la prison de Haren. En moyenne, il y a “maximum” un placement en cellule de punition par semaine, précise-t-elle encore.