Belgique

Max, la super app de Moscou, arme numérique d’État surveillant smartphones

Max est une application lancée par VKontakte, qui regroupe la plupart des usages quotidiens du smartphone, permettant d’envoyer de l’argent, de payer ses factures et d’effectuer certaines démarches administratives. Selon The Atlantic, tout ce qu’un utilisateur fait sur Max – messages, géolocalisation, contacts, photos – pourrait être exploité par l’État.


WhatsApp, Telegram… ces applications pourraient bientôt devenir obsolètes en Russie sous le régime de Poutine. L’arrivée de Max, une application lancée par VKontakte, contrôlée par l’État, pourrait transformer la manière dont les Russes utilisent les technologies. VKontakte (VK) est souvent surnommé le « Facebook russe », un réseau social qui reste très populaire.

Max ne se limite pas à une simple messagerie : il s’agit d’une super application, une plateforme qui centralise la plupart des usages quotidiens d’un smartphone. En plus de la messagerie, Max permet d’effectuer des transferts d’argent, de régler des factures, de prouver son identité, de communiquer avec l’école de ses enfants et même de réaliser certaines démarches administratives.

Ainsi, alors qu’un Belge pourrait passer d’itsme à Payconiq puis à WhatsApp, un Russe pourra effectuer toutes ces actions sans jamais quitter Max.

« Une super app, c’est comme si vous n’aviez qu’une seule application sur votre smartphone, depuis laquelle vous pourriez accomplir toutes les missions que vous réalisez actuellement avec plusieurs applications, » explique Henri Isaac, professeur à l’Université Paris-Dauphine, spécialisé dans les systèmes d’information et l’économie numérique.

L’objectif est de créer une application qui centralise toutes les activités d’une journée : messagerie, achats, prises de rendez-vous médicaux, envoi d’argent, partage de photos…

Ce concept n’est pas inédit. En Chine, des applications telles que WeChat ou Alipay permettent déjà d’effectuer tout, du paiement des factures à la réservation d’un taxi.

À contrario, aux États-Unis, Elon Musk aspire à transformer X, anciennement Twitter, en une « everything app », une plateforme intégrée incluant messagerie chiffrée ainsi que portefeuille virtuel et paiements.

Cependant, là où Musk et les géants chinois ont des ambitions plutôt économiques, le projet russe revêt une dimension clairement politique.

### Un outil de surveillance avant tout

D’après The Atlantic, toutes les actions d’un utilisateur sur Max – messages, géolocalisation, contacts, photos – pourraient être exploitées par l’État. Les entreprises russes sont tenues de collaborer avec les services de sécurité, et Max est désormais préinstallée sur tous les téléphones vendus dans le pays.

Pour Henri Isaac, l’apparition de Max « n’a rien de surprenant ». « Il existe plus d’une trentaine de super apps dans le monde, » rappelle-t-il. Elles émergent souvent autour de trois fonctions principales : la messagerie, les paiements ou la livraison, selon les besoins du marché. « Dans de nombreux pays, ces applications se sont développées pour pallier des lacunes : l’absence d’un système bancaire, une logistique défaillante, ou les coûts des communications », explique le professeur.

En Russie, ce modèle prend également une dimension de souveraineté numérique : « C’est un OS dans l’OS (système d’exploitation, NDLR) », souligne le chercheur, « un environnement applicatif mieux maîtrisé que celui contrôlé par Google ou Apple ».

Le Kremlin y voit une double opportunité : se défaire des plateformes américaines jugées hostiles et renforcer son contrôle sur la population.

Ainsi, dans les territoires ukrainiens occupés, Max est devenue obligatoire pour certaines démarches, et les autorités vérifient que les habitants l’ont bien installée, selon The Atlantic et le Groupe de défense des droits humains de Kharkiv. Un véritable scénario à la Big Brother d’Orwell.

### Une super app… ou une super menace ?

Derrière cette promesse de simplicité, Max concentre tous les dangers du « tout-en-un ». Centraliser tous les services équivaut aussi à rendre toutes les informations visibles. De plus, comme souvent, la promesse d’un confort numérique peut rapidement se transformer en dépendance.

C’est d’ailleurs la limite de ce modèle : selon une étude du BCG Henderson Institute, moins de 15% des écosystèmes numériques survivent à long terme. Autrement dit, même les plateformes les plus ambitieuses peuvent échouer face à leur propre complexité : trop de fonctions, manque de clarté et, surtout, une mauvaise compréhension des besoins des utilisateurs.

En Occident, de nombreux géants ont déjà rencontré des échecs dans ce domaine.

Meta, avec Messenger ou Instagram, a tenté d’incorporer des services de paiement et de shopping intégrés, sans réussir. Snapchat a laissé tomber des mini-applications pour commander des repas ou réserver des places de concert, sans convaincre le public.

« En Europe, il y a un cloisonnement des usages », souligne Henri Isaac. « On ne souhaite pas partager des données sur ses rendez-vous médicaux avec celles de ses transactions ou de ses loisirs. La tendance est plutôt à la segmentation des usages qu’à leur intégration en une seule application. »

### Pourquoi ça marche là-bas, mais pas ici ?

La Chine et la Russie disposent d’écosystèmes numériques fermés : les géants étrangers y sont bannis, l’État contrôle étroitement les services et la concurrence est restreinte. Les super apps locales ont eu le champ libre pour intégrer en un tout : réseau social, e-commerce, paiements et communication. En revanche, en Europe ou aux États-Unis, la situation est inverse.

Les marchés sont ouverts et concurrentiels, chaque secteur ayant déjà ses leaders : les banques pour les paiements, Meta pour la messagerie, et les États pour l’identité numérique. « En Europe, le RGPD complique un peu les choses, » explique Henri Isaac. « Ce n’est pas impossible, mais le recueil du consentement serait coûteux et complexe. »

De plus, les réglementations financières sont strictes et une culture de la vie privée bien ancrée complique davantage l’usage de ce modèle. Par conséquent, le concept de « tout-en-un » n’a jamais vraiment trouvé son public.

Aux États-Unis, Elon Musk tente de relancer l’idée, mais Henri Isaac demeure sceptique : « Cela fait plus de sept ans qu’il dit qu’il va créer cette application, et il n’a encore rien proposé. » Selon lui, « la plateforme qui pourrait certainement faire émerger une super app, c’est Meta avec WhatsApp », qui s’approche déjà de ce modèle en Inde et au Brésil. Reste à savoir si Meta importera ce modèle chez nous ; l’avenir nous le dira.