Lula propose un plan pour rentabiliser la protection des forêts.
La deuxième semaine de négociations de la COP30 au Brésil a commencé ce lundi, et plusieurs chefs d’État ainsi que ministres sont présents à Bélem pour le segment « de haut niveau ». Le président brésilien Lula a lancé le Fonds Forêts tropicales pour toujours (TFFF), qui a le potentiel pour aider à la protection de plus d’un milliard d’hectares de forêts tropicales dans plus de 70 pays en développement.
La deuxième semaine de discussions à la COP30 au Brésil a débuté ce lundi. De nombreux chefs d’État et ministres se sont réunis à Bélem pour le segment « de haut niveau » de la conférence sur le changement climatique. Une semaine après le début officiel des négociations, aucun « accord majeur » n’a encore été atteint, bien que plusieurs engagements aient été annoncés.
Parmi ces annonces figure la création d’un fonds destiné à la préservation des forêts tropicales, initiative lancée par le président brésilien Lula avant la COP30. Appelé le Fonds Forêts tropicales pour toujours (TFFF), il sera « l’un des principaux résultats concrets » de cette conférence, a indiqué le président brésilien, précisant qu’il « a le potentiel pour aider à la protection de plus d’un milliard d’hectares de forêts tropicales dans plus de 70 pays en développement ».
Cette initiative bénéficie déjà du soutien de 53 pays, dont la Belgique, qui a signé l’accord, mais n’a pas encore annoncé d’engagement financier. Pour l’heure, la mise de départ s’élève à 5,5 milliards de dollars, soit environ 4,75 milliards d’euros.
Cependant, derrière ces grandes déclarations, quelles vérités se cachent derrière ce nouveau fonds ?
Le TFFF opère selon un principe original : les financements seront investis sur les marchés financiers, et les profits générés serviront à verser chaque année une aide aux pays en développement pour chaque hectare de forêt préservé.
Concrètement, les nations détenant des forêts devront recevoir quatre dollars (3,44 euros) par hectare de forêt et par an, mais si leur superficie forestière diminue d’une année sur l’autre, une sanction de 400 dollars (344 euros) par hectare perdu sera appliquée.
Actuellement, la majorité des forêts primaires mondiales se trouvent dans les pays tropicaux les plus pauvres, où l’abattage d’arbres est plus rentable que leur préservation. L’objectif de ce fonds est donc d’inverser cette tendance.
Le Brésil, l’Indonésie et la République démocratique du Congo pourraient, en théorie, recevoir des centaines de millions de dollars par an s’ils parviennent à éliminer la déforestation.
« C’est un mécanisme innovant car, à la différence d’autres, il n’est pas fondé sur la compensation carbone, mais sur les surfaces forestières », souligne l’économiste Alain Karsenty, chercheur au CIRAD. « Cela présente divers avantages, comme l’évitement des coûts de transaction (mesures, expertises…) et des procédures souvent associés aux mécanismes liés au carbone. »
S’il atteignait 25 milliards de dollars en fonds publics, le Brésil espère également attirer 100 milliards de dollars supplémentaires d’investisseurs privés, en priorité des fonds de pension et fonds souverains.
Les fonds investis devront rémunérer à la fois les investisseurs privés et publics et financer l’aide apportée aux pays en développement. « Le Fonds pour la préservation des forêts tropicales est ainsi un espace où conservation et création de capital se rencontrent. Il s’agit d’un fonds sans pareil qui garantit l’avenir des forêts tropicales et des rendements pour les investisseurs », précise le texte.
Pour Alain Karsenty, faire appel à des investisseurs privés est pertinent dans le contexte actuel. « L’argent public est de plus en plus limité. Que ce soit aux États-Unis ou en Union européenne, l’aide publique au développement connaît une decline significative. En revanche, nous assistons depuis plusieurs années à un surplus d’épargne internationale. C’est donc une manière de mobiliser cette épargne privée. […] Ce type de mécanisme existe déjà localement pour des aires protégées dans le monde entier. Le Brésil a simplement choisi de l’étendre à l’échelle mondiale et, réalisant qu’il serait difficile d’obtenir des dons, propose un mécanisme basé sur des prêts. »
Des économistes de divers pays étudient actuellement la viabilité de ce mécanisme.
Néanmoins, ces placements comportent des risques, notamment pour les États. « Nous espérons que les revenus des investissements sur les marchés financiers seront supérieurs aux taux d’intérêt à rembourser aux prêteurs, » explique Alain Karsenty. « En cas d’échec, les investisseurs privés seront remboursés en priorité. On demande donc aux États investisseurs d’assumer ce risque. Plusieurs économistes évaluent actuellement la question pour déterminer si ce mécanisme est viable ou si le risque est trop élevé. »
Les annonces des premiers pays investisseurs, tels que le Brésil (1 milliard d’euros), la Norvège (3 milliards), l’Indonésie (1 milliard) ou la France (500 millions d’euros), sont le plus souvent conditionnées à l’implication d’un nombre suffisant d’autres pays. Cependant, certains pays, comme le Royaume-Uni, ont déjà signifié qu’ils ne disposent pas des ressources nécessaires pour l’instant.
Il convient de noter que plusieurs rapports, dont celui du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement, ont montré qu’investir aujourd’hui est crucial pour limiter les coûts liés au changement climatique demain.
Pour les experts, la réussite de ce fonds dépendra non seulement de l’acceptation des risques par les États investisseurs, mais également de la gouvernance et de la volonté des États bénéficiaires.
« Le problème avec le TFFF est que l’argent n’est pas affecté. Le Brésil ne souhaite pas qu’il y ait de conditionnalité pour l’attribution de ces fonds. Si un État décide d’utiliser cet argent pour combler son déficit budgétaire, il en a tout à fait la possibilité », souligne Alain Karsenty, mettant en lumière « un problème inhérent aux systèmes multilatéraux ».
La seule condition émise par le texte brésilien est que 20 % des ressources allouées aux pays forestiers soient directement affectées aux communautés locales et aux peuples autochtones. Si cette idée semble pertinente en théorie, Jean-Louis Doucet, professeur de foresterie tropicale à Gembloux Agro-Bio Tech, soulève certaines inquiétudes quant à sa mise en œuvre.
« Comme le dit l’adage, l’argent ne se mange pas. »
« Dans des communautés bien structurées vivant encore de la forêt, comme au Brésil, on peut envisager que ces fonds seront utilisés pour une gestion forestière optimale. Toutefois, il faut garder à l’esprit que toutes les communautés locales ne partagent pas cette perspective. »
« En Afrique tropicale, par exemple, de nombreuses communautés dépendent de l’agriculture. Les gens déforestent pour se nourrir face à la croissance démographique. L’argent ne résout pas forcément le problème de la déforestation », conclut Jean-Louis Doucet.
Concernant les sommes allouées, ces montants risquent de montrer les limites de ce système. « Est-ce que quatre dollars par hectare suffisent pour protéger les forêts tropicales face aux bénéfices d’une conversion agricole ? J’en doute. »
Selon ce spécialiste, il est crucial que, au-delà des mécanismes de gouvernance, des systèmes de surveillance des forêts soient établis. « Il incombe aux États d’utiliser judicieusement l’argent qui arrivera et il est essentiel de documenter que les investissements permettent effectivement de protéger la forêt. »
Parallèlement, le Brésil a profité de la COP pour convaincre 19 autres pays (dont l’Inde, l’Italie ou le Japon) de rejoindre son « Engagement de Belém pour les carburants durables » (ou Belém 4X) visant à quadrupler la production et l’utilisation des agrocarburants d’ici à 2035. « C’est contradictoire », souligne Jean-Louis Doucet. « Les agrocarburants représentent une ‘fausse bonne idée’ car ils entraînent de la déforestation. »
Outre les financements, il est évident qu’une volonté politique est nécessaire pour initier les réformes essentielles contre la déforestation. Si tel est le cas, le président Lula pourra affirmer avoir relevé son défi.

