L’ouverture du Cercle gaulois aux femmes ne passe pas chez certains membres, le président du club défend la décision
En mai, le Cercle gaulois a vécu une petite révolution en permettant aux femmes d’y entrer comme membres à part entière. Cette mixité ne plaît pas à tous. Certains membres envisagent de créer un cercle alternatif réservé aux hommes. Philippe de Wouters, président du Gaulois et favorable à l’ouverture aux femmes, s’explique.
- Publié le 22-10-2024 à 06h31
En mai, après une assemblée générale houleuse, le Cercle gaulois a connu une évolution importante : les femmes peuvent désormais en devenir membres. Les statuts de ce vénérable club, situé au cœur du parc Royal, n’interdisaient pas explicitement la mixité, mais le règlement d’ordre intérieur, par l’exigence du port de la cravate, l’excluait dans les faits. Trois femmes d’envergure avaient été acceptées dans la foulée : Céline Fremault (Les Engagés), ancienne ministre bruxelloise ; Ilham Kadri, ancienne CEO de Solvay et désormais patronne de Syensqo ; Françoise Tulkens, l’ancienne juge à la Cour européenne des droits de l’homme et figure de la magistrature. Plusieurs admissions ont eu lieu depuis lors et d’autres sont à venir : les « Gauloises » devraient bientôt être douze.
Un Cercle alternatif ?
Si la majorité des membres du Cercle se félicite de cette ouverture aux femmes, quelques dizaines de contestataires s’organisent (entre 30 et 50, selon les sources) et ont tenu à marquer ostensiblement leur désaccord. Chez eux, la décision de mai ne passe pas. Pourtant, par fidélité à l’esprit initial du gentlemen’s club sur lequel reposait une partie des activités du cercle bruxellois, un rendez-vous réservé aux hommes a été maintenu par la direction : le traditionnel dîner du mardi. Mais cet évènement est boudé par les frondeurs, qui organisent un dîner alternatif au même moment, uniquement entre hommes et en dehors des locaux du Gaulois.
Selon nos informations, ces membres envisagent de créer leur propre cercle. Son nom devrait faire référence à la Toison d’or, évoquée dans le mythe grec qui met en récit le périple des Argonautes. À ne pas confondre avec l’ancien nom du Gaulois, qui, jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, s’appelait « Cercle de la Toison d’or ». En ces temps patriotiques, ce nom rappelait trop le symbole des Habsbourg et avait été abandonné.
« Une bulle spatiotemporelle »
Quelles sont les motivations de ces membres défavorables à la mixité du Gaulois ? Il serait trop simple de caricaturer leur position. Pour résumer, ces personnes goûtent peu l’idéologie contemporaine qui assimile diversité et modernité. À leurs yeux, il ne s’agit pas d’être « anti-femmes », mais de défendre la gratuité des échanges amicaux et intellectuels face à la logique plus intéressée du club d’affaires où la mixité s’impose par les nécessités du business. Dans un mail rédigé par l’un de ces dissidents et partagé en interne, ce point de vue est bien détaillé. Derrière l’idéal de la mixité se cacherait « une vision utilitariste et affairiste dans laquelle le cercle doit devenir l’outil d’un plan de carrière, d’un réseau d’affaires, de projets financiers, politiques ou académiques« .
L’admission de femmes casserait une communauté ancienne – la « bulle spatiotemporelle » – que constituait le Cercle alors qu’à Bruxelles, « il existe 28 cercles, clubs et espaces féminins« . Autre argument avancé : la présence de femmes serait susceptible de perturber la sérénité des échanges intellectuels, car les hommes, consciemment ou inconsciemment, entrent en concurrence dans le jeu de la séduction.
Face aux critiques, Philippe de Wouters, le président du Gaulois et défenseur de la mixité, maintient son cap. « L’émotion qu’a pu susciter l’ouverture aux femmes est fortement retombée, assure-t-il. Il y a eu, de toute façon, un vote en assemblée générale. Mais il y a des gens pour qui un vote majoritaire ne tient pas. En outre, on a assorti la décision d’admettre des dames au maintien du contexte purement masculin du dîner du mardi. Cette décision répond à une logique. Ce cercle fonctionne à deux niveaux. Il y a le niveau ‘club d’amis’ qui se réunissent pour discuter, juste pour le plaisir d’être en présence : c’est l’esprit du dîner du mardi. Mais il y a aussi une dimension plus institutionnelle à la vie du Cercle, un certain poids de l’histoire car on existe depuis 175 ans. Une certaine tradition et une vocation intellectuelle, universitaire, littéraire, artistique et diplomatique s’y expriment. C’est cette dimension qui rendait injustifiable le maintien d’un club strictement masculin : aujourd’hui, 53 % des universitaires sont des femmes.«
La pression des diplomates
La pression extérieure a joué un rôle important dans l’évolution du Cercle vers l’adhésion officielle des femmes (elles étaient déjà nombreuses à le fréquenter comme épouses, invitées, conférencières, etc.). Entre autres, le milieu diplomatique a pesé lourd. Le président du Gaulois le reconnaît volontiers : « Oui, il y avait une certaine pression venue du côté diplomatique. Par exemple, l’ambassadeur d’Allemagne avait demandé qu’on le tienne au courant des évolutions internes et, quand l’ouverture aux femmes a été acquise, sa candidature a été déposée deux jours plus tard. L’ambassadeur de France avait émis la même condition à son entrée au Cercle. Josep Borrell, Haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, nous avait fait savoir cela aussi. Certains conférenciers mettaient la mixité comme condition préalable à leur venue : Pierre Wunsch, le gouverneur de la Banque nationale, nous a confié qu’il ne se serait pas exprimé chez nous en septembre sans cette ouverture. »
guillement L’ambassadeur d’Allemagne avait demandé qu’on le tienne au courant des évolutions internes et, quand l’ouverture aux femmes a été acquise, sa candidature a été déposée deux jours plus tard.«
La possible création d’un club alternatif au Gaulois ne perturbe pas particulièrement Philippe de Wouters. « Je suis triste, car je sais que certains sont sincèrement malheureux de ce changement vers la mixité. Comme président, j’ai un devoir d’empathie et je dois entendre leur sentiment, les écouter. D’autres se positionnent aussi ‘contre’ car ils mènent certains jeux politiques internes. Mais tout cela est normal et ne m’inquiète pas outre mesure. Je suis vraiment content de ce changement, la direction prise ne sera pas remise en question. J’ai reçu des dizaines de messages de soutien et de félicitations. Le Cercle a une belle époque qui se profile devant lui.«