L’indexation automatique des salaires pourrait-elle ne pas être réformée ?
Le gouvernement a prévu de demander l’avis des partenaires sociaux sur le mécanisme de l’indexation automatique des salaires, d’ici le 31 décembre 2026. Yvan Verougstraete, président des Engagés, a déclaré : « L’indexation telle qu’elle existe aujourd’hui est une machine à fracture sociale. »
Le gouvernement explore des pistes d’économies, parmi lesquelles figure un saut d’index, proposition rejetée par le MR, sauf concernant les allocations, et par Vooruit. L’indexation automatique des salaires, qui permet d’augmenter ces derniers à intervalles réguliers (tous les six ou douze mois, par exemple) ou à chaque hausse de 2 % du coût de la vie, est mesurée par l’indice-santé lissé, représentant le prix des produits courants.
Ce mécanisme, presque unique au monde (seuls le Luxembourg, Chypre et Malte ont des systèmes similaires), fait régulièrement l’objet de critiques. D’une part, le patronat l’attaque pour son impact sur les coûts salariaux des entreprises, affectant ainsi leur compétitivité. D’autre part, la droite politique souligne les augmentations de dépenses pour l’État, touchant les salaires des fonctionnaires, les allocations sociales et les pensions.
La gauche et les syndicats refusent toute idée de saut d’index (qui signifie ne pas augmenter les revenus de 2 % quand cela est nécessaire) ou de remise en question du principe de l’indexation automatique. Pour eux, c’est le meilleur moyen de préserver le pouvoir d’achat des plus bas revenus face à l’augmentation du coût de la vie. Il est à noter que l’indexation est aussi automatique pour les pensions et les allocations sociales, comme le chômage ou le revenu d’intégration sociale.
Pour satisfaire à la fois le patronat et la droite d’une part, et les syndicats et la gauche d’autre part, une idée a parfois été envisagée : n’indexer que les salaires les plus faibles et moyens, en écartant les salaires les plus élevés. Cette réflexion date probablement du système lui-même, déjà évoquée par l’ancien directeur socialiste de la Banque nationale en 2008. Yvan Verougstraete, président des Engagés, exprimait ce point de vue dans le journal l’Echo ce samedi.
« Au-delà de ce montant, l’indexation automatique n’a pas de sens parce qu’elle agrandit le différentiel entre hauts et bas salaires », a-t-il déclaré.
Yvan Verougstraete a ajouté : « L’indexation telle qu’elle existe aujourd’hui est une machine à fracture sociale. Deux pour cent sur 10 000 euros, ce n’est pas la même chose que 2 % sur 2 000 euros. Je défends une indexation automatique pour tout le monde jusqu’à un certain montant. Au-delà de ce montant, on rentre dans une négociation individuelle. On pourrait imaginer que tous les salaires restent indexés, sauf sur la partie excédant 5 000 euros brut. Au-delà de ce montant, l’indexation automatique n’a pas de sens parce qu’elle agrandit le différentiel entre hauts et bas salaires. »
Cette proposition, ou une variante de celle-ci, pourrait-elle fédérer tous les partenaires sociaux ? Est-elle économiquement viable ? En effet, le gouvernement a prévu dans son accord de demander l’avis des partenaires sociaux sur le mécanisme d’indexation automatique des salaires, d’ici le 31 décembre 2026. Dans l’optique d’une réforme ? Cela semble possible. « Une attention suffisante sera accordée à la compétitivité de nos entrepreneurs et au pouvoir d’achat des travailleurs. Nous leur demandons d’examiner un nouveau point de référence qui tienne compte d’une définition plus large des coûts salariaux et prenne aussi en considération le handicap historiquement accumulé », ont écrit les négociateurs en janvier 2025 lors de la création de l’Arizona.
Au moment où l’inflation avait atteint 11 % sur un an, un exemple a été donné : une entreprise en concurrence sur les marchés mondiaux doit indexer de 18 % son coût salarial en 18 mois, tandis que dans d’autres régions du monde, cela prendra plus de temps et sera étalé sur plusieurs années. Xavier Debrun se souvient d’une réunion avec des dirigeants de multinationales en Belgique, leur déclarant : « Je ne sais toujours pas comment je vais pouvoir expliquer à mon CEO là-bas à Berlin ou à Francfort pourquoi ma masse salariale va augmenter de 11 % au mois de janvier. »
Selon un économiste de la banque ING, toute réforme du mécanisme d’indexation viserait principalement à se protéger lors des pics d’inflation, et moins pendant une inflation dite normale, aux alentours de 2 %. « Par exemple, on pourrait avoir un mécanisme d’alarme qui dirait qu’après trois dépassements de l’indice pivot dans la même année, on s’arrête et on discute entre partenaires sociaux, on lisse, on reporte, on attend de voir ce qui se passe dans d’autres pays », propose-t-il. « C’est ce qui s’est passé au Luxembourg en 2022. »
Chez nos voisins luxembourgeois, tous les salaires, qu’ils soient publics ou privés, sont indexés lorsque la moyenne mobile de l’inflation augmente de 2,5 %. Cependant, la Chambre des salaires du Luxembourg précise : « en cas de difficulté majeure, il est loisible au Gouvernement de suspendre temporairement le mécanisme de l’échelle mobile. » Une porte de sortie évoquée par Philippe Ledent.
En effet, lors du pic d’inflation entre le troisième trimestre de 2021 et la fin de l’année 2023, ce sont les salaires belges qui ont connu une première hausse, avec une forte augmentation en janvier 2023 lorsque la majorité des salaires du secteur privé ont été adaptés. Les autres pays, à l’exception de la France, commencent à combler leur retard. Le coût du travail aux Pays-Bas a depuis lors dépassé celui de la Belgique, comparativement à début 2020.
Un autre système, proposé notamment en 2012 par la Banque nationale, pourrait accorder à chaque travailleur un montant fixe lors de chaque indexation au lieu d’un pourcentage de leur salaire brut, ce qui avantagerait les bas salaires. Par exemple, lors d’une inflation de 2 %, tous les travailleurs recevraient une indexation de 2 % du salaire médian brut (environ 4 000 €), soit 80 euros bruts. Philippe Ledent réagit : « Nous serions à nouveau dans la discussion autour du système de l’indexation qui fait de la redistribution et non plus de la protection du pouvoir d’achat. Attention à la compétitivité ! D’accord, 80 € c’est 2 % du salaire médian brut, mais sur le salaire minimum de 2 000 €, ce serait une hausse de 4 % à charge des entreprises. »
Pour éviter ce problème, la Banque nationale envisageait un système où l’augmentation serait fixe au-dessus d’un montant de 3 000 €, mais proportionnelle au niveau du salaire en dessous.
Cependant, cette idée ne convainc toujours pas les deux représentants des partenaires sociaux, pour les mêmes raisons déjà citées : la défense du caractère universel de l’indexation pour Marie-Hélène Ska (CSC) et le risque de favoriser les grandes entreprises au détriment des plus petites pour Matthieu Dewèvre (UCM).
Aucune de ces solutions n’obtient un consensus parmi les économistes ni les partenaires sociaux. Néanmoins, ceux-ci devront négocier pour remettre au gouvernement fédéral un avis sur une réforme (ou non) du mécanisme d’indexation avant le 31 décembre 2026.
Une discussion qui pourrait être liée à la réforme de la Loi de 1996 sur la compétitivité, même si cette question n’est pas explicitement mentionnée dans l’accord gouvernemental, où il est plutôt question de « maintenir le principe de la loi ». « Pour nous, ces deux questions doivent être revues ensemble », plaide l’UCM. Proposal rejetée par la CSC : « L’augmentation réelle des salaires n’a rien à voir avec l’adaptation des salaires à l’augmentation de l’inflation. Ces deux discussions, elles ont toujours été décorrélées et elles doivent le rester pour nous. »
Cependant, les économistes considèrent ces deux questions comme étroitement liées. « En Belgique, une vague d’inflation viendra toujours de l’extérieur, souvent des prix de l’énergie qui, étant des importations, rendent l’économie belge plus pauvre », souligne Philippe Ledent. « Donc, la question est : comment doit-on répartir le poids de ce fardeau lié à l’appauvrissement de la Belgique ? »
D’après lui, le système d’indexation automatique des salaires fait assumer cet appauvrissement uniquement aux entreprises et à l’État, sans que ce soient réellement les travailleurs qui subissent les conséquences de l’inflation.
« Si je devais repartir d’une page blanche, je supprimerais à la fois l’indexation automatique des salaires et la loi de 1996 », déclare Étienne de Callataÿ, cofondateur et Chief Economist d’Orcadia Asset Management.
« La loi de compétitivité de 1996 répond à cela, en indiquant que si les entreprises et l’État doivent prendre en charge toute l’inflation, il ne peut pas exister de marge pour augmenter les salaires au-delà de l’index. Autrement dit, les efforts de productivité des travailleurs ne peuvent pas être rémunérés, ce qui doit être compensé par les entreprises et l’État. Voilà pourquoi l’un et l’autre doivent être considérés ensemble. Si on remet en question l’un, alors il faut également envisager des marges sur la compétitivité », explique Philippe Ledent.
« Cette loi de 1996 est une monstruosité intellectuelle », critique Étienne de Callataÿ. « On ne peut pas être libéral et soutenir la loi de 1996. C’est une entrave à la libre négociation. Un interventionnisme public aussi fort, tel que le plafonnement de la négociation salariale, n’existe pas à l’étranger. C’est le corollaire du mécanisme d’indexation automatique, qui n’est pas réellement libéral non plus. Si je devais repartir d’une page blanche, je supprimerais à la fois l’indexation automatique des salaires et la loi de 1996. »
Ces discussions promettent d’être longues, avec des tables rondes et peut-être des désaccords. « S’il y avait une solution évidente qui ne laissait personne sur le carreau, nous l’aurions déjà adoptée », conclut Matthieu Dewèvre.
Ainsi, le système belge d’indexation automatique des salaires n’est pas parfait, mais tous s’accordent à dire qu’il ne faudrait pas le remplacer par un système encore moins satisfaisant.

