L’ex-ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, sort les crocs : “Avec l’Arizona, on est passé d’un cheval de course à un chameau”
L’élu libéral avait dû démissionner en octobre 2023. Un peu plus d’un an après, il revient au galop, plus remonté que jamais. À ses yeux, le futur gouvernement fédéral penche chaque jour un peu plus vers la gauche. « Pour moi, il n’y a qu’un seul espoir au sein de l’Arizona, c’est M. Bouchez », affirme-t-il.
- Publié le 06-12-2024 à 10h10
Octobre 2023. Vincent Van Quickenborne annonce sa démission au terme de deux longues séquences douloureuses. Il y avait d’abord eu l’acharnement parlementaire qui avait été renommé le pipi-gate puis l’attaque terroriste d’Abdesalem Lassoued. L’élu libéral, qui était alors ministre de la Justice, avait assumé personnellement la responsabilité d’une erreur commise par son administration. Une année plus tard, on le retrouve à la Chambre des représentants pour faire le point.
On ne vous a pas vu dans la presse francophone depuis votre démission il y a un peu plus d’un an. Comment avez-vous vécu cette séquence ?
« J’étais ce vendredi-là au conseil européen des ministres de la Justice, à Luxembourg. L’attaque avait eu lieu lundi, deux personnes avaient été tuées par un terroriste. J’ai demandé à mes services de faire la clarté totale sur l’affaire, de chercher les antécédents d’Abdesalem Lassoued. Et le matin, mon chef de cabinet adjoint, Paul Van Tigchelt (Open VLD), qui est maintenant ministre de la Justice, m’appelle pour me dire qu’il a de mauvaises nouvelles. La Tunisie réclame l’extradition de cet individu mais le dossier est resté dans une armoire. Erreur judiciaire, il n’aurait jamais dû être à Bruxelles, il devrait être dans une prison en Tunisie. Quand j’ai appris ça, je suis retourné directement à Bruxelles. J’ai vérifié si c’était une faute systématique, s’il y avait des problèmes structurels dans ce département. Après contact avec le procureur général et le parquet de Bruxelles, il est apparu que c’était le seul dossier sur 32 qui n’avait pas été traité correctement en 2023. Je ressentais mon travail au service de la justice comme une sorte de marathon et deux kilomètres avant l’arrivée, j’ai été éjecté de la course. En même temps, ministre de la Justice, c’est comme être en permanence sur une chaise électrique. On peut être électrocuté à chaque moment. Et là, d’un jour à l’autre, c’était fini. L’attaque a été pour moi une guillotine. »
Vous aviez encore plusieurs projets sur le feu…
« Des projets de loi qui passaient dont les résultats étaient visibles pour la justice. Je me suis alors concentré sur le Parlement. Ensuite, j’ai mis beaucoup d’énergie dans les campagnes électorales. Mais je ne suis pas quelqu’un qui reste à pleurer dans un coin et à s’apitoyer sur son sort. En Flandre, on dit que je suis un chat avec neuf vies, quelqu’un qui se réinvente tout le temps. »
Avez-vous gardé une certaine rancune vis-à-vis de cette période ?
« Je ne suis pas un homme rancunier. Pour moi, c’est l’avenir qui compte. Après cette attaque terroriste, j’ai pris mes responsabilités même si la justice a constaté que je n’avais pas fait de faute. Mais je constate que les autres ne se regardent pas dans le miroir. Pour trouver des ministres qui démissionnent pour leur propre faute, il faut remonter aux années 90. Cette notion de responsabilité politique a été complètement vidée. »
Avez-vous parfois mal au cœur en voyant l’état dans lequel est la justice aujourd’hui ?
« Oui, mais je pense que la justice a quand même pris un nouveau cap ces dernières années. On a doublé les peines pour viol, on a renforcé le droit pénal sexuel, on a un Code pénal tout neuf, on a installé des centres de prise de soins après des actes sexuels dans toutes les provinces. J’ai doublé le nombre d’effectifs pour la Sûreté de l’État. J’ai signé un traité avec Dubaï en novembre 2021 pour pouvoir extrader les grands barons de la drogue. Au début, tout le monde disait « ce traité ne donne rien ». Aujourd’hui, il y a déjà quatre personnes qui ont été extradées, deux personnes arrêtées et il y en a encore 20 dans le radar. On a aussi construit deux maisons de détention. Évidemment, il en faudrait une vingtaine dans tout le pays. On a numérisé la justice, on a changé la législation sur l’ADN pour mieux identifier les suspects. On a diminué les coûts notariaux de 25 % pour l’achat d’une première maison. Mais c’est vrai que la justice reste dans un mauvais état. J’entends tout le temps qu’il faut plus de moyens, de personnes et d’argent. On a pourtant ajouté 500 millions d’euros sur un budget total de 2 milliards. On est dans un état où les dépenses dépassent les 50 % de notre PIB. Il faut que la justice se réorganise ! L’idée d’un tribunal unique est une bonne idée. On a aujourd’hui 280 bâtiments de justice, tandis qu’aux Pays-Bas, on en a 40. On a des sections de justice partout dans le pays, tandis qu’aujourd’hui on peut s’organiser de manière numérique. Ces sections datent encore de Napoléon, du temps où on se déplaçait à cheval. On a encore beaucoup de leviers à activer pour améliorer l’efficacité de la justice. Ce n’est pas en donnant tout le temps plus d’argent qu’on va le faire. »
Étiez-vous souvent confronté à cette demande dans la Vivaldi ? Qui demandait plus d’argent ?
« Le refinancement de la justice, on l’a décidé au début du gouvernement. On l’a complètement exécuté. Cette augmentation du budget, c’était de 20 %. C’était la première fois que ça se faisait depuis longtemps. Mais la magistrature et la justice demandent toujours plus d’argent. Ce n’est pas comme ça qu’on va résoudre les choses. En tant que ministre de la Justice, j’ai toujours respecté l’indépendance de la Justice. Mais chaque fois que quelque chose ne fonctionne pas au sein de la justice, la réponse était toujours : « C’est la faute de la politique, il nous manque des moyens et des personnes ». Or, des évaluations des magistrats sont réalisées. Il y a environ 2 500 magistrats dans notre pays. Entre 2019 et 2024, savez-vous combien d’évaluations négatives ont été faites sur ces 2 500 ? Une. Une personne. N’est-ce pas un manque d’autocritique ? »
Une des volontés de la N-VA est de défédéraliser certains pans de la justice. Qu’en pensez-vous ?
« Si on défédéralise la justice, on va bientôt envoyer des commissions rogatoires d’Anvers à Bruxelles. C’est absurde. Pensez-vous vraiment qu’on va rendre la justice plus efficace, plus dure et plus forte en remplaçant le drapeau belge par un lion flamand ? La justice a besoin d’une approche politique de droite pour être plus efficace et rapide. C’est une approche fédérale. La criminalité ne s’arrête pas à la frontière linguistique entre Tournai et Courtrai. On est confronté aux mêmes phénomènes criminels : cybercriminalité, attaques sexuelles, viols. Par exemple, le spiking [empoisonnement d’une boisson, NdlR] qu’on a vu dans ma ville de Courtrai, c’est exactement ce qu’il s’est passé à Bruxelles dans des bars et des discothèques. Il faut une justice forte, mais pas une justice scindée. »
guillement Plus les négociations s’éternisent, plus le gouvernement vire à gauche. »
Puisqu’on parle d’Arizona, le projet dont on parle beaucoup aujourd’hui, c’est la taxation des épaules les plus larges. Est-ce que cela vous inquiète en tant que libéral ?
« L’Arizona est une coalition logique parce qu’elle rassemble la plupart des vainqueurs des élections. 4 partis sur 5 ont gagné les élections. Le CD&V ne l’a pas gagné, mais il oublie rapidement. C’est une coalition logique, mais ce n’est pas une coalition naturelle. Je vais paraphraser Gaston Eyskens qui disait qu’une loi entre au conseil de ministres comme un cheval et ressort comme un chameau. Je dirais la même chose pour l’Arizona. Il est entré comme un cheval de course, mais elle est en train de sortir comme un chameau. Pourquoi ? Parce qu’il y a un parti de gauchistes au sein de ce gouvernement. C’est Vooruit. Plus les négociations s’éternisent, plus le gouvernement vire à gauche. Nous, les libéraux, nous avons toujours dit qu’il ne faut pas taxer les gens qui travaillent, qui épargnent et qui entreprennent. Avec les mesures de l’Arizona que j’ai pu lire, j’ai l’impression qu’ils feront exactement l’inverse. Ils vont taxer ceux qui travaillent, ceux qui épargnent et ceux qui entreprennent. Ils vont taxer les cartes d’essence des gens qui ont une voiture de société. En Wallonie, il y en a peut-être moins, mais à Bruxelles et surtout en Flandre, il y en a beaucoup. Ils veulent taxer toutes sortes de bonus, comme les warrants et les options. Taxer les cartes d’essence, taxer les bonus, c’est taxer le net. Ils vont taxer les gens qui épargnent. Oui, la N-VA a proposé en commission des Finances d’augmenter le précompte mobilier de 15 % à 30 % des épargnants. Ils vont commencer à taxer dès le premier euro. Si vous voulez profiter de l’exemption, il faudra alors l’inscrire dans votre déclaration fiscale pour le récupérer deux ans plus tard. C’est Kafkaïen. »
Il était question d’une taxe sur les plus-values, aussi.
« Oui, ils veulent taxer ceux qui entreprennent. Même avec le PS au gouvernement fédéral, on a réussi à bloquer cette taxe pendant 25 ans. Et aujourd’hui ? Vous allez me dire que ça ne concerne que les grandes fortunes. Mais le boucher qui a deux établissements dans lesquels il fait travailler sa famille, ses femmes et ses enfants, le jour où il vendra son entreprise pour s’acheter un appartement, il devra payer 10 % ou 20 % de taxes ? Ils attaquent les sociétés de management des indépendants, des free-lances et des cadres avec le doublement du précompte mobilier. L’Arizona veut aussi lever le secret bancaire. Bientôt, un fonctionnaire sera dans votre maison pour noter que vous avez une peinture, du vin, des livres et tout ça. Je m’excuse, mais quand je vois ce que certains partis de l’Arizona veulent mettre en place, pour moi, c’est de la rage taxatoire. Ce sont toutes des taxes antiéconomiques. Pour moi, il n’y a qu’un seul espoir au sein de l’Arizona, c’est M. Bouchez. »
C’est le seul qui défend la classe moyenne et les travailleurs, à vos yeux ?
« Oui. Malheureusement, j’ai l’impression que M. De Wever écoute plus M. Rousseau que M. Bouchez. M. Bouchez a eu raison de bloquer les négociations fin août sur les plus-values. Marc Coucke l’a dit. « Des taxes ici, des taxes là-bas, ça va dans la mauvaise direction ». Et quand je lis aujourd’hui que l’on va récolter 2,5 milliards d’euros en taxant les épaules les plus larges ? Aujourd’hui, 46 % des taxes sont payées par 10 % des gens qui ont le plus grand revenu. Et ils veulent encore augmenter les taxes sur ces gens-là ? »
Le pays est endetté, il faut trouver de l’argent…
« Réduisons les dépenses, les provinces, les statutaires, le Sénat, les institutions, les agences. J’ai parlé d’efficacité, c’est là-dessus qu’il faut travailler. »