Les sociétés de management sont-elles une injustice fiscale pour les enseignants ?
Plus de 55.000 sociétés de management sont actives en Belgique, contre 22.000 il y a six ans. Les revenus mobiliers ne contribuent pas à la sécurité sociale, alors que les bénéficiaires de ces revenus du capital en bénéficient.
Le Comité de monitoring des finances publiques a réalisé un constat : plus de 55 000 sociétés de management sont actuellement actives en Belgique, contre 22 000 il y a six ans. Cette augmentation est le résultat d’une stratégie utilisée par les salariés et les indépendants pour éviter le paiement de l’impôt sur le revenu ainsi que des cotisations sociales.
Le principe est simple : il s’agit de créer une société unipersonnelle pour facturer des services à une entreprise, plutôt que d’être salarié ou indépendant de manière individuelle. « Dès lors que cette personne devient seule maître à bord de cette société, elle peut choisir de se verser une rémunération, soumise à l’impôt sur le revenu progressif et aux cotisations sociales », explique le professeur Edoardo Traversa. « Mais on peut aussi choisir de se rémunérer d’une autre manière, par exemple en se versant des dividendes ». Pour les plus hauts revenus, cela permet de réduire un taux d’imposition de 50 % à un taux fixe de 25 % sur les sociétés, sans cotisations sociales à payer, « avec en plus la possibilité de s’octroyer des avantages en nature : véhicule de société, plan de pension… », ajoute l’expert en droit fiscal.
### Aux origines de l’optimisation fiscale par les dividendes
Utiliser les structures fiscales existantes pour diminuer les impôts dus à l’État est ce qu’on appelle l’optimisation fiscale. Contrairement à la fraude ou à l’évasion fiscale, l’optimisation répond à la légalité. Les sociétés de management sont controversées, souvent qualifiées de « fraude fiscale légalisée » par le vice-Premier ministre Franck Vandenbroucke, car elles remettent en question « le principe de base de notre système d’imposition sur les revenus », selon Edoardo Traversa, qui souligne que « en 1962, lors de la dernière grande réforme fiscale belge, on parlait d’un impôt global sur les revenus, ce qui signifiait que tous les revenus étaient soumis au même régime ».
Au fil du temps, les revenus mobiliers comme les dividendes ont été exclus de ce principe de progressivité. La raison en est l’incapacité des États européens à contrôler l’évasion fiscale. « La décision a été prise de réduire le taux d’imposition [sur les revenus mobiliers] pour au moins percevoir un petit peu, plutôt que de subir une évasion fiscale généralisée ». Malgré les avancées en matière de lutte contre la fraude fiscale en Europe, le régime d’imposition des dividendes est resté distinct, entraînant une généralisation des pratiques d’optimisation, notamment via les sociétés de management.
### Un problème de justice fiscale et sociale
« Est-ce que c’est normal qu’il y ait le même taux d’imposition pour un enseignant et un dirigeant d’une société du Bel 20, voire qu’il y ait parfois un taux d’imposition moins important ? Là, se pose vraiment un problème de justice fiscale », souligne le professeur de droit. Il évoque plusieurs conséquences à cette pratique qui, selon lui, nécessitent une réforme profonde du système, au-delà des mesures déjà annoncées par le gouvernement :
– Les dividendes peuvent être soumis au « précompte mobilier libératoire », « c’est-à-dire qu’une fois taxés, ils ne figurent plus dans la déclaration fiscale. Des personnes peuvent apparaître comme étant beaucoup plus indigentes qu’elles ne le seraient ». Ces montants, parfois considérables, échappent à l’État et aux organismes sociaux, permettant des avantages tels que des places en crèche ou des bourses d’études, auxquels ces personnes n’auraient normalement pas accès.
– Les salariés et indépendants doivent verser des cotisations à la sécurité sociale, mais ce n’est pas le cas quand on se rémunère par dividendes. « Les revenus mobiliers ne contribuent pas à la sécurité sociale, alors que les bénéficiaires de ces revenus du capital en bénéficient ». Cette situation d’inégalité pourrait poser problème à l’avenir, puisque le Conseil Supérieur des Finances constate, dans un rapport, que la part des cotisations sociales tend à diminuer en Belgique, malgré l’augmentation de la population et des revenus moyens.
En résumé, il existe une inégalité face à l’impôt, note Edoardo Traversa, « par rapport à une série de professions qui ne peuvent pas recourir à ce type de mécanisme », comme les fonctionnaires, « ou des contribuables qui ne souhaitent pas le faire pour des raisons de civisme fiscal ».
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