Les “madrés” du Peterbos sonnent la révolte pour récupérer leur quartier
Des collectifs citoyens se sont créés dans quatre quartiers sensibles à Anderlecht : Clemenceau, Saint Guidon, Aumale et Peterbos. Reportage au cœur d’une commune régulièrement citée dans les médias pour la violence des narcotrafiquants. Et où les habitants se mobilisent pour se réapproprier leurs quartiers. Parmi ces citoyens, des mamans engagées.
- Publié le 19-03-2025 à 06h47

« Après vos multiples venues dans nos quartiers, on se demande si vous allez publier votre reportage dans les pages faits divers ?, interroge Fatiha. Parce que nous ne sommes pas un vivier de faits divers. Pas plus que nous sommes un ‘hotspot’, ce vilain mot que les politiques ont choisi pour désigner nos quartiers, comme si la drogue était la seule chose qui comptait. Nous sommes des citoyens. Nous sommes des mamans. Et on va récupérer nos quartiers ! »
C’est indéniable. Fatiha est en colère. Cette maman solo vivant dans l’un des blocs de la tristement réputée citée du Peterbos, veut catalyser son exaspération – et celle de ses voisines – pour tenter de véhiculer une autre image de ces quartiers de la commune bruxelloise d’Anderlecht qui, de fait, sont régulièrement évoqués dans les pages faits divers. Et pour cause : les fusillades qui se multiplient un peu partout dans la capitale ont principalement eu lieu à Clemenceau, Aumale, Saint Guidon ou au Peterbos. Quatre quartiers anderlechtois. Quatre hotspots, ces lieux reconnus officiellement comme des points de deal.
C’est précisément dans ces quartiers que des rendez-vous citoyens sont organisés, chaque jeudi de 16h à 18h. Objectif : occuper le terrain en se réappropriant les quartiers. Mais aussi faire entendre les doléances des habitants qui, selon Fatiha, ne se limitent pas aux nuisances liées à la drogue. Loin de là.
Nous la retrouvons, un jeudi à 16 heures à l’entrée du bloc 9. À son arrivée, deux élus de la commune s’invitent à la table. Mauvaise idée…
Problèmes multiples
« Monsieur, ceci est un rendez-vous citoyen, il est à nous, pas à vous, lance un petit groupe de riverains un chouïa fâché. Avant un scrutin, vous frappez à nos portes, mais on vous prévient : la prochaine fois, on n’ouvrira pas ! On vous a laissé faire. Voyez le résultat. À qui la faute ? Qui a laissé tout pourrir ? Parce que le deal de drogue ne s’est pas implanté du jour ou lendemain. Ce que nous subissons, c’est à cause du travail que vous n’avez jamais mené dans nos quartiers. Donc je vais vous demander de partir ! »
Les élus tentent de discuter et d’apaiser la colère grandissante. Après 20 minutes de débats (et des promesses), c’est l’accalmie. « Ils nous ont demandés du temps, explique Saida. Mais ils doivent prendre conscience que ce ne sont pas uniquement les fusillades et le deal qui doivent les mobiliser. Nos problèmes sont nombreux. »
Rhimo, sa voisine, poursuit. « Nous avons un problème de mixité sociale. Nous vivons dans des logements vieux, mal entretenus et ghettoïsés. Il faut se demander pourquoi les politiques publiques ont décidé de mettre les familles les plus précarisées dans des quartiers poubelles dont il est difficile de sortir. Il paraît que moins de 15 % des habitants du Peterbos ont un emploi. Je n’ose pas imaginer ce qu’il en est dans les autres « hotspots ». Pourquoi un taux si faible ? Quand nos enfants cherchent un emploi ou même un stage et qu’ils disent venir du Peterbos ou de Clemenceau, on ne les rappelle jamais. Même en voulant s’en sortir loin d’une vie de délinquant, tout est compliqué. Mais là, on veut que ça bouge. Donc on prend les choses en main. »
Et Fatiha de reprendre : « Moi ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi dans mon bloc, il n’y a que des personnes d’origine immigrée. Comment expliquer qu’un peu plus loin, il y a des logements sociaux plus modernes dans un lieu qui n’est pas défini comme un hotspot, mais où ne vit pas une seule personne d’origine étrangère ? Est-ce qu’on est triés ? C’est une question qu’on se pose vraiment, ici. Et nous en avons beaucoup d’autres », prévient-elle.
Ces interrogations sont soigneusement collectées avant d’être renvoyées aux politiques. Première étape : une interpellation citoyenne lors du conseil communal d’Anderlecht du 27 mars.
« Ceci n’est pas un hotpost »
Les autorités communales, fédérales, judiciaires et policières disent ne pas être restées les bras croisés. Mais quand on les interroge sur les effets de cette action des autorités publiques, surtout à la suite des récentes fusillades, les riverains se montrent mitigés. « Placer des policiers partout n’a pas évité de nouvelles fusillades, responsables notamment de la mort de Souleymane à Clemenceau. Il n’avait que 19 ans. On le dépeint comme un voyou sans rien connaître de lui. Des policiers étaient à moins de 100 m quand il a été tué. Cela prouve bien qu’à part déplacer les problèmes ailleurs, ce qui est fait ne sert à rien. C’est une réponse à court terme, nous voulons des actions sur le long terme. Même le nouveau procureur du Roi est d’accord pour dire qu’il faut cartographier la criminalité à Bruxelles. Qu’est-ce qu’on attend ? », souffle Théo, papa saint-gillois venu aux rencontres citoyennes anderlechtoises « par solidarité ».
« Nous sommes ensemble et solidaires car nos problèmes sont les mêmes, reprend Fatiha. Les citoyens se mobilisent en partageant idées et expériences. Moi et d’autres mamans, on s’inspire du « collectif des madrés » à Saint-Gilles ». Il s’agit d’un collectif de mamans, principalement mobilisées contre les abus et les violences policières, mais qui ont aussi un impact important dans la vie des quartiers et surtout auprès des jeunes – c’est ce qu’on appelle le contrôle social informel.
Et de conclure. « Nous allons nous battre pour nos enfants, nous battre pour nos quartiers. Et on insiste : ceci n’est pas un hotspot, c’est chez nous. »