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Les élections en Moldavie, « premier test de la confrontation Russie-Europe ».

Maia Sandu, la présidente moldave, a déclaré dans une vidéo diffusée ce lundi 22 septembre que « notre souveraineté, notre indépendance, notre intégrité et notre avenir européen sont en danger ». Selon des analyses, le Kremlin a activé plus de 900 comptes sur des réseaux sociaux pour diffuser la propagande pro-russe en Moldavie.

« Aujourd’hui, je vous dis en toute sincérité que notre souveraineté, notre indépendance, notre intégrité et notre avenir européen sont en danger. » La présidente moldave, Maia Sandu, a lancé cet appel alarmant dans une vidéo publiée ce lundi 22 septembre, à six jours des élections destinées à renouveler les 101 membres du Parlamentul, le parlement moldave.

La menace russe

Le danger est clairement identifié : la Russie. « Le Kremlin dépense des centaines de millions d’euros pour acheter des centaines de milliers de voix sur les deux rives du Dniestr, mais aussi à l’extérieur du pays. La population est quotidiennement abreuvée de dizaines de mensonges. Des centaines de personnes sont payées pour provoquer des troubles, des violences et semer la peur dans le monde.« 

Cet avertissement s’inscrit dans une série déjà longue. L’année précédente, la pro-européenne Maia Sandu avait déjà accusé Moscou d’avoir tenté de soudoyer 300 000 électeurs lors de l’élection présidentielle.

Selon elle, « l’objectif du Kremlin est clair, avait-elle déclaré le 9 septembre dernier devant le Parlement européen à Strasbourg, capturer la Moldavie par les urnes, nous utiliser contre l’Ukraine et nous transformer en tremplin pour des attaques hybrides contre l’Union européenne« .

Ces attaques hybrides se manifestent sous diverses formes, comme en témoignent les enquêtes judiciaires, les investigations journalistiques ou les analyses réalisées par des organisations et instituts internationaux. La Moldavie serait devenue « la vitrine » des stratégies mises en œuvre par la Russie pour étendre son influence à l’étranger.

Loading…74 ont été détenues.

Sur le réseau social X, Stanislav Secrieru, conseiller en sécurité nationale de la présidente moldave, a déclaré que « plus d’une centaine de Moldaves ont été formés en Serbie par des instructeurs russes aux tactiques violentes contre la police et à l’utilisation d’armes à feu. Leur mission : organiser des violences pré- et post-électorales« .

Alexandru Musteata, directeur des renseignements moldaves, a précisé que les activités menées en Serbie avaient été coordonnées par un homme « qui se présentait au nom d’un service spécial de la Fédération de Russie« . Par ailleurs, un autre citoyen russe, « impliqué dans la coordination de plusieurs groupes en République de Moldavie« , aurait été identifié. Ce jeune homme, Pavlov Andrei Vladimirovich, qui serait un agent du GRU, le renseignement militaire russe, « est soupçonné d’avoir planifié et organisé, sur le territoire de la République de Moldavie, des actes subversifs financés par la Fédération de Russie, mais également d’avoir utilisé le réseau du groupe Shor pour identifier et recruter plusieurs personnes« .

Ilan Shor, oligarque moldave pro-russe, lors d’une campagne électorale en 2019. Désormais, en fuite à Moscou. © Daniel Mihailescu – Afp

Le « groupe Shor » est associé au nom de l’oligarque moldave Ilan Shor. Ce milliardaire pro-russe, actuellement en fuite à Moscou, a été sanctionné par l’Union européenne pour « financement illicite de partis en Moldavie et pour incitation à la violence« . Il est également sur la liste des États-Unis pour des « opérations d’influence malveillantes du Kremlin » et sur celle du Royaume-Uni pour corruption.

Ilan Shor a suscité la controverse en publiant une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle il promettait 3000 dollars aux Moldaves qui participeraient à des manifestations contre les « terroristes » au pouvoir.

Une enquête de la BBC dans un réseau de désinformation

La Moldavie fait face à un afflux de désinformation sur les réseaux sociaux, largement documenté. La dernière enquête à ce sujet a été menée par la BBC.

Une journaliste britannique a réussi à infiltrer un réseau de propagande et de désinformation pro-russe.

Accompagnée d’autres fausses recrues, elle a suivi des séminaires secrets en ligne où elle a reçu une formation pour publier des messages sur les réseaux sociaux, utilisant l’intelligence artificielle. Les messages devaient être satiriques tout en restant « naturels« , comme cela lui a été conseillé.

Pour une rémunération de 100 euros par mois, il lui a été demandé de diffuser de fausses informations, par exemple que le gouvernement moldave allait falsifier le résultat des élections, que l’adhésion à l’Union européenne forcerait la Moldavie à adopter des politiques pro-LGBT ou que la présidente pro-européenne facilitait le trafic d’enfants.

La personne en contact avec elle a expliqué que l’argent serait versé par la Promsvyazbank, la banque officielle du ministère russe de la Défense, qui a été sanctionnée par les Occidentaux. Ce même établissement détient des actions dans une des entreprises de l’oligarque moldave Ilan Shor, mentionné précédemment.

La BBC estime que ce réseau a alimenté au moins 90 comptes sur Tik Tok. Les centaines de vidéos publiées ont été vues plus de 23 millions de fois, ce qui est préoccupant étant donné que la Moldavie compte seulement 2,4 millions d’habitants.

La journaliste de la BBC a également été sollicitée pour réaliser des sondages d’opinion à Chisinau, la capitale moldave. Ces enquêtes, biaisées et illégales, ont déjà annoncé une défaite du camp pro-européen aux législatives. Pour ce faire, les enquêteurs devaient enregistrer à leur insu les électeurs pro-russes. En cas de victoire du gouvernement pro-européen lors des élections du dimanche suivant, le réseau prévoyait de rendre publics ces témoignages afin de dénoncer un prétendu trucage des élections.

Une vaste campagne de propagande et de désinformation

Le réseau infiltré par la BBC n’est pas isolé. À l’approche des élections législatives en Moldavie, le Kremlin a activé plus de 900 comptes sur Tik Tok, Facebook, Instagram ou YouTube. Ce décompte, effectué cet été par WatchDog, un centre de recherche moldave indépendant, traque la désinformation et les discours manipulateurs.

Ces comptes pro-russes propagent la propagande du Kremlin, attaquent l’Union européenne et le processus d’adhésion de la Moldavie à l’UE, et s’en prennent aux institutions et aux candidats pro-européens.

Selon WatchDog, ces comptes servent également à renforcer les communications du camp pro-russe en Moldavie. Parmi ces personnalités, on trouve notamment l’oligarque Ilan Shor, le maire de Chisinau, Ion Ceban (banni de l’espace Schengen pour sa menace à la sécurité de la Roumanie), l’ancienne procureure anticorruption, Victoria Furtuna (sanctionnée par l’UE pour tentatives de déstabilisation), ainsi que les Roumains George Simion et Calin Georgescu, des nationalistes extrémistes proches du Kremlin.

Une autre ONG, Reset Tech, qui surveille la désinformation russe en ligne depuis 2022, s’est penchée sur une plateforme anglophone nommée Restmedia, qui consacre un quart de ses articles à la Moldavie. Bien qu’elle se présente comme un site sérieux de journalisme d’investigation, elle est en réalité alignée sur la propagande du Kremlin.

Dans un rapport publié récemment et partagé avec l’AP, WatchDog affirme également que les contenus de Restmedia sont générés avec l’intelligence artificielle, puis traduits et amplifiés par d’autres sites européens.

L’ONG dit avoir identifié des « liens techniques évidents avec la Russie« , grâce aux adresses IP et aux métadonnées des sites. « Je pense qu’il est assez clair que le Kremlin utilise la Moldavie comme un cas d’étude, une sorte de terrain d’essai pour tester différentes techniques« , analyse Ben Scott, le directeur de Reset Tech. « Il est évident qu’il appliquera ces mêmes techniques à d’autres campagnes dans d’autres pays. […] C’est en quelque sorte le premier test majeur dans la confrontation entre la Russie et l’Europe.« 

Loading…le « oui » l’avait emporté de justesse (50,28% des voix). Les opérations d’ingérences russes ont dû peser sur le scrutin. Un système massif d’achat de votes avait été révélé. Le groupe WatchDog avait affirmé que la Russie avait dépensé une centaine de millions d’euros pour influencer le résultat.

Mais après la large victoire de 2021, le Parti Action et Solidarité (PAS) de la présidente Maia Sandu est en recul. La lutte contre la corruption et les réformes de la justice tardent à se concrétiser. Le pays reste l’un des plus pauvres d’Europe et son économie est en difficulté. La hausse des prix de l’énergie, causée par l’arrêt des fournitures de gaz russe au début de l’année (un autre aspect de la guerre hybride menée par le Kremlin contre la Moldavie), a suscité le mécontentement d’une partie de l’électorat.

Malgré tout, les derniers sondages placent le PAS en tête. Ce parti pourrait même obtenir une majorité de 51 ou 52 sièges sur les 101 du parlement moldave. Toutefois, il est difficile, voire impossible, de déterminer à quel point les ingérences de Moscou servent les ambitions du camp pro-russe.

Pour sa part, le Kremlin espère gagner son bras de fer à distance avec l’Union européenne, dénonçant « l’hystérie antirusse » qui règne à Chisinau et rejetant les accusations d’ingérence. « Où sont les preuves ?« , s’interrogeait sans ironie la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères la semaine dernière.