Les bons tuyaux de Marine Tondelier, star des verts français, pour aider Écolo à remonter la pente: « La politique est un sport de combat »
Les coprésidents d’Écolo, Samuel Cogolati et Marie Lecocq, se sont rendus à Paris cette semaine. Ils ont consulté des personnes clés pour alimenter leur réflexion sur la refondation annoncée de leur parti. La secrétaire générale des écologistes français, Marine Tondelier, en faisait partie. Elle a remis les verts français sur la carte grâce à un style politique bien particulier. Un exemple à suivre en Belgique ?
- Publié le 25-01-2025 à 07h10
Dans une brasserie parisienne, à deux pas de la façade monumentale de la gare du Nord, Marine Tondelier passe commande : pour elle, ce sera une aubergine grillée et de la feta. La secrétaire générale des écologistes français est végétarienne, ce qui ne l’empêche pas de réclamer, comme accompagnement, des frites et de la béarnaise. « La bouffe, c’est hyper important ; la politique, ça se joue au mental », glisse-t-elle en pensant déjà aux profiteroles qu’elle a choisies en dessert.
Vive, pétulante, les yeux rieurs, elle est une chti du Nord et une supportrice du club de foot de Lens. Vêtue de son immanquable blazer vert, elle incarne en France l’écologie populaire, cette manière de mettre à la portée de tous un discours politique jugé intello. Marine Tondelier, c’est aussi quelques belles boulettes… Il y a une dizaine de jours, elle s’est emmêlée dans les chiffres et a affirmé que 40 % de la population gazaouie avait été exterminée par l’armée israélienne depuis le 7 octobre 2023. Elle a rectifié et présenté ses excuses.
Pas de complexe
L’écologie populaire ? C’est justement la stratégie que comptent suivre Marie Lecocq et Samuel Cogolati pour redresser Écolo après les défaites électorales de juin et d’octobre. Cette semaine, les coprésidents se sont rendus à Paris afin de rencontrer plusieurs personnalités clés pouvant alimenter leur réflexion. Marine Tondelier en faisait partie.
Entourée des deux écolos belges, la secrétaire générale des verts français a livré à La Libre les secrets des bons résultats de sa propre formation aux législatives anticipées de juillet. En particulier en matière de communication, les questions qui taraudent aujourd’hui les écolos belges se sont également posées aux écologistes français. Le style sans complexe de Marine Tondelier, les punchlines qu’elle distille savamment dans les médias ont contribué à faire la différence. Un exemple à suivre en Belgique ?
Incarner le message
Première astuce pour une remontada réussie : rompre avec un certain entre-soi écologiste, une conviction que Marie Lecocq et Samuel Cogolati partagent et affirment mettre déjà en pratique. « Quand je me suis présentée à la tête des verts, 90 % de notre temps d’antenne nationale étaient occupés par des mandataires du triangle d’or parisien Bastille-République-Belleville où les scores écologistes ont été les plus élevés, analyse Marine Tondelier. Dans la ruralité, les gens ne se sentaient pas représentés. Et c’est légitime. Venant du bassin minier du Pas-de-Calais, avec moi, ce n’était déjà plus pareil. Les gens ont besoin de s’identifier. On a fait un travail pour faire monter en visibilité d’autres profils au sein du parti. Il faut incarner le message politique, que ce que l’on raconte se voit dans les gens qui les racontent. Il faut changer la sociologie des élus. »
L’ours sur la banquise médiatique
L’un des chantiers de la refondation d’Écolo concerne les réseaux sociaux. Les verts francophones ont officiellement fermé le compte de leur formation sur X (ex-Twitter), phagocyté par le libertarien pro-Trump Elon Musk. Marine Tondelier, elle, a décidé de rester sur la plateforme. « On a beaucoup débattu de cette question. Tous les écologistes d’Europe pensent la même chose des problèmes que posent X et Elon Musk, nuance-t-elle. Il faut permettre aux gens de se forger une opinion autrement que dans la violence et les fake news. Pour moi, X fait partie des critères de pénibilité dans mon travail… En 2010, c’était un eldorado, un lieu d’émancipation et d’ouverture sur le monde. Cette idée a été pervertie. »
Mais alors, pourquoi rester dans l’arène ? « On ne va déjà plus sur CNews, une chaîne qui pose beaucoup de problèmes. J’ai en tête l’image d’un ours polaire sur son petit bout de banquise qui rétrécit de plus en plus : si on ne participe qu’à des débats qui nous ressemblent, comme il y en a de moins en moins, la communication devient impossible. La politique, et surtout l’écologie, c’est un sport de combat, ce n’est pas un endroit où l’on se préserve. Quand on fait un combat dans la boue avec un cochon, on peut lui mettre un coup, mais la différence, c’est que lui y prend du plaisir. »
guillement Quand on fait un combat dans la boue avec un cochon, on peut lui mettre un coup, mais, la différence, c’est que lui y prend du plaisir. »
Plus généralement, Écolo doit-il davantage montrer les dents dans les médias, quitte à rompre avec l’éthique du débat démocratique ? Un certain Georges-Louis Bouchez est un redoutable communicant et prend souvent les verts pour cible… Marie Lecocq, consciente du dilemme, définit le cap qu’Écolo devra suivre : « On peut faire de la politique sans mentir ni dénigrer les adversaires. Ce n’est pas parce que certains gagnent de cette manière que tout le monde politique doit être comme cela. Faire de la politique autrement, ce n’est pas qu’un slogan. »
Gérer la compétition à gauche
Les verts français et belges connaissent une situation similaire dans la compétition à gauche. Écolo est confronté au Parti socialiste et au PTB tandis qu’en France, les écologistes vivent une relation d’amour-haine au sein du Nouveau Front Populaire (NFP) avec les socialistes et La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon. Comment exister face aux formations de gauche et d’extrême gauche ? Selon Marine Tondelier, « il y a une vraie singularité écologiste à faire valoir ». Elle ajoute : « En France, on se bat beaucoup contre ces analyses qui, de manière récurrente, examinent si nous nous rapprochons davantage du PS ou de LFI. Comme si nous prenions nos décisions en fonction des autres… Nous sommes émancipés, on est constructif et on met du lien dans tout ça (dans le NFP, NdlR). »
Justement, à l’issue de sa refondation, Écolo doit-il évoluer dans son positionnement droite-gauche ? Le parti a perdu des voix au centre, captées par Les Engagés. Il faudra aller les rechercher. « Nos valeurs de base ne vont pas changer, ni notre attachement à la justice fiscale et sociale, tranche Samuel Cogolati. Le travail est beaucoup trop taxé alors que le capital ne l’est pas. Pour beaucoup de Français, d’ailleurs, la Belgique est un paradis fiscal. Par ailleurs, je pense que ce que dit la science sur le climat et les technologies peut devenir une question de bon sens, qui dépassera le vieux clivage gauche-droite. »
Un impôt sur la fortune climatique ?
Marine Tondelier assume l’ancrage à gauche de l’écologie politique. « L’écologie est un rapport à l’autre, à l’écosystème, à la faune, à la flore, aux êtres humains. Comme bénévole à Calais pour aider les migrants, j’ai été confrontée à des gens qui s’étonnaient de cet engagement alors qu’ils se disaient écologistes. Ils veulent donc aider les ours polaires, mais pas les familles syriennes ? Ça, je ne comprends pas… Et il n’y a pas de justice environnementale sans justice sociale. Ce sont les plus riches qui polluent le plus et les plus vulnérables qui sont en première ligne pour en subir les conséquences. Nous, on porte depuis longtemps l’introduction d’un impôt sur la fortune climatique. Je ne dis cependant pas que cela doit se faire en Belgique car les situations sont différentes. »
Le choc des deux Marine
Dans la République française comme dans le Royaume de Belgique, un discours plus musclé à droite se diffuse. À Hénin-Beaumont, la ville de Marine Le Pen, la patronne des écologistes a appris à se confronter à de violents clivages idéologiques. Selon elle, hurler au loup a peu d’impact. « Face au RN, au conseil municipal, je criais, je criais de plus en plus fort ; et ils me coupaient le micro. Du coup, je criais encore plus. Et puis, j’ai progressé et j’ai misé sur l’humour. Je ne voulais pas les battre à leur propre jeu. L’humour les déstabilise beaucoup plus. Il ne faut jamais rien céder sur les valeurs. Deux modèles sont possibles : soit celui que l’extrême droite propose – la haine, le rejet, la peur – ; soit celui que l’écologie propose – l’amour, l’espoir, le positif. Mais il ne suffit pas de dire que nous sommes le camp du bien et qu’on va gagner ! Il faut travailler sur la manière dont on délivre nos messages.«
guillement Face au RN, au conseil municipal, je criais, je criais de plus en plus fort ; et ils me coupaient le micro. Du coup, je criais encore plus. Et puis, j’ai progressé et j’ai misé sur l’humour. Je ne voulais pas les battre à leur propre jeu. L’humour les déstabilise beaucoup plus. »
L’écologie, pas (que) pour les bobos ?
À nouveau, dans la bataille idéologique, l’image que réussiront ou pas à se donner les écolos sera déterminante. « On doit se battre contre les préjugés, comme celui qui dit que l’écologie, c’est pour les bobos. Les verts doivent se battre pour que leur discours soit plus accessible, insiste Marine Tondelier. Il y a parfois eu une sorte de Concours Lépine chez nous : pour se donner l’air intelligent et sérieux, il fallait utiliser des mots compliqués. Il faut faire exactement l’inverse.«