Lena : « Victime d’un viol, pourquoi devrais-je avoir honte ? »
Lena, 31 ans, a décidé de parler publiquement de son viol pour refuser d’en faire un sujet tabou. Elle a été accompagnée par un Centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) qui offre des soins médicaux et psychologiques, ainsi qu’une aide dans les démarches judiciaires.
Si Lena a choisi de parler en public de son viol, c’est parce qu’elle souhaite briser le tabou autour de ce sujet. « Si on veut faire reculer le sentiment d’impunité, il faut que la parole se libère pour que les victimes se sentent en confiance », déclare-t-elle. Toutefois, sortir du silence a été un véritable combat. Lena, âgée de 31 ans, se remémore la difficulté qu’elle éprouvait, il y a quelques mois encore, à en discuter avec ses proches. Elle se rappelle de la honte qu’elle ressentait, de sa culpabilité et de sa crainte de ne pas être crue lors de son dépôt de plainte. « Ressentir de la honte alors qu’on est la personne qui a subi une violence, ça n’a pas de sens. Si j’agresse quelqu’un et que je lui casse la jambe, il ne va pas ressentir de la honte. C’est un peu pareil, ce n’est pas à moi d’avoir honte. »
Dans son cheminement vers la reconstruction, Lena a bénéficié du soutien d’un Centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS). Des CPVS sont accessibles dans chaque province. Ils offrent aux victimes des soins médicaux et psychologiques ainsi qu’une assistance dans les démarches judiciaires. Bien qu’elle reconnaisse avoir « téléphoné au fond », Lena souhaite aujourd’hui témoigner pour « montrer qu’il est possible de s’en sortir. »
L’histoire de Lena débute par une rencontre, un mois plus tôt. Elle est séduite par un jeune homme qui semble s’intéresser à elle et à sa passion pour l’art. Ensemble, ils visitent des expositions. Avec le recul, Lena a l’impression d’avoir été manipulée. « C’est comme s’il avait brisé mes limites, petit à petit, jusqu’au jour où il me viole carrément. »
Ce jour-là, après une sortie, Lena l’accompagne chez lui. Tout s’enchaîne rapidement. « On imagine souvent un violeur comme un inconnu dans une ruelle sombre, mais non, c’est souvent quelqu’un qu’on connaît. Il y a un rapport de confiance », explique Lena. « C’est pour ça aussi que ça arrive. Ça peut être un ami, un voisin, un compagnon… S’il n’y a pas de consentement, c’est une violence. »
Pour surmonter son traumatisme, Lena a d’abord dû comprendre comment elle avait réagi. « Face à un danger, il y a trois mécanismes de défense possibles », déclare-t-elle. « Instinctivement, soit on va combattre, soit on prend la fuite, soit on se fige. C’est ce qu’on appelle ‘les trois F’, pour fight, flight ou freeze. »
Lena, quant à elle, s’est figée. « Le cerveau passe en mode survie. On ne le contrôle pas quand on subit un viol », insiste-t-elle. « On n’a pas de prise sur ce qui se passe. » Comme beaucoup de victimes, Lena a remis en question sa responsabilité. « Le figement est une réaction de survie involontaire. Mais ce mécanisme de défense complique les choses. On a tendance à se reprocher les faits, à se dire qu’on a peut-être fait quelque chose qu’il ne fallait pas. »
Pendant plusieurs jours, Lena traverse une phase de déni, minimise, doute. Aurait-elle dû remarquer quelque chose ? « C’est la douleur physique qui m’a fait parler avec ma mère et c’est là que j’ai compris que j’avais été violée. »
Sa mère l’emmène à l’hôpital. Immédiatement, le personnel médical la met en contact avec le CPVS, une équipe spécialisée qui travaille au sein de l’hôpital. Les examens médicaux, les photos, les tests de dépistage se font au même endroit. « C’est le CPVS qui fait venir l’inspecteur de police à l’hôpital quand on veut porter plainte, explique Lena. C’est une charge mentale dont on est débarrassé. »
Un policier spécialement formé prend sa déposition. Lena craint des questions embarrassantes, voire déplacées. Est-ce que vous aviez bu ? Comment étiez-vous habillée ? Pourtant, il ne lui pose rien de tout cela. « Je suis très reconnaissante de la manière dont cela s’est passé. J’avais surtout peur qu’on ne me croie pas. »
Le parquet ouvre une enquête. « C’est une phase un peu compliquée parce que je ne suis pas informée de l’évolution de l’enquête. J’ai reçu quelques lettres mais, en tant que victime, je reste un peu dans le flou », précise-t-elle.
Lena a la chance d’être entourée par sa famille. « C’est ma mère qui m’a donné cette force. Elle est mon point d’ancrage. » Le plus difficile pour Lena a été d’en parler à ses deux frères. « Au départ, je ne voulais pas qu’ils l’apprennent. Finalement, ça a été libérateur. Je me suis dit : ‘Mais en fait, ce n’est pas un tabou’. Je n’ai pas voulu que ça m’arrive alors pourquoi devrais-je en avoir honte ? »
Lena a traversé d’autres épreuves qui ont renforcé sa résilience. Elle a perdu son père à 16 ans et a été opérée d’une tumeur au cerveau à 25 ans. « Je pense qu’il y a toujours une part de positif qu’on peut tirer de tels événements. Le viol, ça a laissé un vide comme si une partie de moi avait été tuée. Et ce vide, maintenant, j’ai l’opportunité de le remplacer par de nouvelles choses, comme le développement d’une meilleure conscience de moi. »

