Belgique

Le relèvement de l’âge de la retraite, une stratégie payante ?

1. Nos pensions sont-elles finançables à l’avenir ? Question a été posée à un panel de 6 experts de 5 universités du pays.

2. Le relèvement de l’âge légal de la retraite est-il la seule solution ? Dans ce volet, la question d’éventuels vases communiquant entre le relèvement de l’âge légal de la retraite et les chiffres des malades de longue durée sera abordée.

3. Faut-il moduler l’âge légal de la pension avec la pénibilité du travail ? Un volet abordé avec des témoignages de travailleurs plus âgés.


Le 7 mars, de nombreux citoyens français descendront à nouveau dans la rue pour protester contre la réforme des retraites et le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Pourtant, les travailleurs français sont loin d’être les plus mal lotis d’Europe : les données rassemblées par le Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (Cleiss) montrent que l’âge légal actuel de départ à la retraite est égal ou supérieur à 65 ans dans une majorité des pays. Fixé à 65 ans en Belgique, il peut aller jusqu’à 67 ans en Italie ou au Danemark.

Si le Cleiss précise que “les âges légaux de chaque pays ne sont pas complètement comparables, ou du moins ne suffisent pas à comparer des systèmes de retraite”, le centre souligne une tendance générale au relèvement de l’âge de départ à la retraite. C’est également ce que relève l’OCDE dans un rapport publié en décembre 2021. “L’âge normal de la retraite passera à 66,1 ans pour les hommes et 65,5 ans pour les femmes en moyenne dans l’ensemble des pays de l’OCDE, contre 64,2 ans et 63,4 ans, respectivement, pour la retraite en 2020”.

De nombreux pays espèrent en effet pouvoir faire face au vieillissement de la population et à l’augmentation du nombre de personnes bénéficiant du régime des pensions en repoussant progressivement l’âge de la retraite. Pourtant, malgré ces réformes, la réalité est encore loin des attentes théoriques.

Le casse-tête de l’allongement des carrières

”On a l’un des plus gros écarts entre l’âge effectif de départ à la retraite, qui est en fait à peu près le même qu’en France, et l’âge légal”, commente Vincent Vandenberghe, professeur à l’UCLouvain. “Ça nous rappelle que réussir une réforme des retraites, ce n’est pas simplement relever l’âge. Derrière, il faut assurer en termes d’allongement de carrière.” L’économiste rappelle que jusqu’aux années 90, les travailleurs étaient fortement incités à quitter leur travail entre 55 et 60 ans. “Travailler jusqu’à 65, et a fortiori jusqu’à 66 ou 67 ans, n’est donc pas automatique”, souligne-t-il.

Depuis vingt ans, l’âge effectif de retrait de la population active remonte petit à petit. En Belgique, le Bureau du Plan l’estime à 62,6 ans pour les hommes et 62,1 ans pour les femmes en 2020. De son côté, l’OCDE – qui utilise une méthodologie et des données de base différentes – obtient 60,9 ans pour les hommes et 60,1 ans pour les femmes en Belgique. (NdlR ; pour la suite de cet article et afin de pouvoir comparer de la manière la plus juste possible la situation d’un pays à l’autre, nous avons décidé d’utiliser les chiffres belges calculés par l’OCDE.)

Ce relèvement s’explique notamment par le durcissement des conditions d’accès aux systèmes de prépension. Le nombre de “chômeurs avec complément d’entreprise” – comme on appelle désormais les prépensionnés — est en effet passé de 120 322 en 2010 à 23 232 en 2022.

La diminution est spectaculaire. Elle n’a pourtant pas permis à la Belgique de quitter le fond du classement des 38 pays membres de l’OCDE. Seuls 4 pays affichent un âge effectif moyen de sortie du marché du travail pour les hommes plus bas que la Belgique, contre 5 pour les femmes. La moyenne de l’OCDE est quant à elle bien loin, avec 63,8 ans pour les hommes et 62,4 ans pour les femmes.

On ne peut pas réussir une réforme des retraites qui vise à relever le taux d’emploi si on n’a pas un volet emploi seniors derrière”, assure le professeur, pour qui il est essentiel de se pencher sur la question de l’allongement effectif des carrières. “Il faut travailler à rassembler les conditions pour que les gens aient effectivement l’opportunité de continuer à travailler”, ajoute-t-il.

Effet de vase communicant

Un autre problème découle du relèvement de l’âge de la retraite : l’augmentation du nombre de personnes en invalidité, qui a doublé depuis 2005. Selon les données du Bureau du Plan, la part de la population belge active en invalidité a en effet atteint 10,3 % en 2020, contre 5,41 % en 2005. Mais l’augmentation ne s’est pas marquée de la même manière dans toutes les catégories d’âge. La proportion de personnes en invalidité représente aujourd’hui 22,1 % de la population active des personnes âgées de 50 à 64 ans. Soit une augmentation de près de 10 % par rapport à 2005, nettement plus marquée que dans les autres tranches d’âges (environ +3 % pour les 25-49 ans). Les maladies mentales et les maladies du système ostéo-articulaire, des muscles et du tissu conjonctif représentent à elles deux plus de deux tiers des causes les plus fréquentes, tout âge confondu.

L’interprétation correcte qu’il faut en faire, c’est qu’on a sous-estimé la difficulté de garder à l’emploi les gens jusqu’à 65 ans. On continue donc à avoir des portes de sortie prématurées et des espèces de retraites anticipées via la maladie-invalidité”, commente Vincent Vandenberghe. “Grosso modo, elle rapporte la même chose que le chômage et est totalement assimilée du point de vue du calcul de droit à la pension”, ajoute-t-il.

Interrogé à propos de ce possible jeu de vases communicants, le Bureau du Plan explique ne pas disposer d’études sur les effets des réformes ayant eu lieu dans le passé. “Ce sont des analyses difficiles à réaliser car il faut imaginer une situation dans le passé où les réformes n’auraient pas eu lieu”, explique la porte-parole de l’organisme. “Cependant, pour le futur, nous réalisons des analyses d’impact des réformes”, précise-t-elle, renvoyant vers un rapport publié en 2015. Celui-ci prévoit une augmentation de l’âge effectif de départ à la retraite de 4,6 années (dont 2,5 directement grâce à la réforme) ainsi qu’une réduction du coût budgétaire du vieillissement de 2,1 % du PIB.

Cumuler pension et travail

Alors, comment faire pour inciter les seniors à rester à l’emploi ? “En Nouvelle-Zélande, l’âge légal est de 65 ans, mais les gens quittent en moyenne l’emploi à 68 ans environ. C’est une situation où les gens travaillent au-delà de l’âge légal de la retraite”, souligne Vincent Vandenberghe.

Une enquête menée en 2009 par le ministère du développement social néo-zélandais auprès de personnes âgées de 65 ans a permis de mettre en évidence les raisons pour lesquelles celles-ci travaillaient encore. Les répondants pouvaient choisir plusieurs réponses et les quatre raisons évoquées le plus fréquemment étaient les suivantes : “J’aime être occupé” (92 %), “J’aime mon travail” (91 %), “J’ai le sentiment d’apporter quelque chose” (90 %) et “J’aime le contact avec les autres” (83 %). Le “besoin de revenu” n’arrivait qu’en cinquième position (64 %).

Selon le professeur louvaniste, une autre raison peut expliquer cette statistique. “C’est un pays où le fait de recevoir une pension n’est pas lié à la question du travail. Il y a un âge à partir duquel on a droit de recevoir une pension. Dans la tête des gens, le fait de commencer à recevoir cette somme d’argent n’a pas d’implication mécanique sur la question de savoir s’il faut continuer à travailler”, explique-t-il.

Une façon de casser “l’effet d’horizon” pour les personnes proches de la retraite et qui voudrait cumuler la pension avec un emploi, ce qui est, depuis peu, également possible en Belgique sans limite de revenu. “C’est une des bonnes choses qu’on a pu faire en Belgique, commente Vincent Vandenberghe. Cela va faciliter l’allongement des carrières et favoriser le changement d’emploi sur cette fameuse tranche d’âge.

D’autres pistes à envisager

On l’a vu : la stratégie du relèvement de l’âge de départ à la retraite, adoptée par la majorité des pays, doit se doubler de mesures permettant d’accompagner les seniors sur le marché du travail. Mais elle doit aussi se penser dans une réflexion globale de la carrière. “Il y a peut-être aussi des choses à faire quant à l’âge d’entrée sur le marché du travail”, évoque l’économiste. Selon lui, une réflexion pourrait être menée pour inverser l’actuel allongement des études. “Un Tanguy, c’est tout aussi problématique qu’un pensionnaire”, argumente-t-il.

Outre ces deux extrêmes (âge d’entrée et de sortie du marché du travail), “il y a des choses à faire entre les deux”, estime Vincent Vandenberghe, qui évoque par exemple le faible taux d’emploi des vieilles régions industrielles ou des populations issues de l’immigration. “C’est tout aussi important que de gagner six mois sur l’âge effectif de départ à la retraite”, estime le professeur.

Il n’y a pas que relever l’âge légal de la retraite. Ce qui compte, c’est préserver un certain un équilibre entre la part de la population dépendant économiquement et la population qui travaille, on peut travailler sur plein de choses”, conclut-il.