Le gouvernement atténue sa réforme fiscale : artistes soulagés partiellement.
L’accord estival annoncé par le gouvernement fédéral inclut la suppression de l’abattement fiscal sur les droits d’auteur. Actuellement, un bénéficiaire de droits d’auteur est soumis à une imposition de 15% et peut bénéficier d’un abattement de 50% sur une première tranche de revenus allant jusqu’à 20.100€.
C’est l’une des plusieurs mesures révélées lors de l’accord estival obtenu par le gouvernement fédéral : la suppression de l’abattement fiscal sur les droits d’auteur.
Actuellement, les bénéficiaires de droits d’auteur sont soumis à une imposition de 15 % et peuvent bénéficier de frais forfaitaires plutôt que de frais réels. Ces forfaits sont divisés en tranches : 50 % sur la première tranche allant jusqu’à 20 100 €, puis 25 % sur la tranche suivante allant jusqu’à 40 190 €.
Pour un bénéficiaire recevant 10 000 € par an (la majorité des artistes se situant sous la première tranche), cela revient à une exemption de 50 %, soit une base déductible de 5 000 €. Avec l’imposition de 15 %, l’impôt s’élève ainsi à 750 €. Si la décision de supprimer cet abattement fiscal était prise, l’impôt passerait à 1 500 €.
Depuis l’annonce de cette réforme en juillet dernier, cette mesure suscite de vives inquiétudes dans le milieu culturel. Le 5 décembre, une lettre adressée à David Clarinval, vice-Premier ministre et ministre de l’Emploi, de l’Économie et de l’Agriculture, a été signée par plus de quarante associations et organisations artistiques, qui reconnaissent la nécessité d’« adapter le régime aux réalités contemporaines » tout en dénonçant « une mesure qui pénalise les professionnels des arts pour des pratiques qui ne les concernent pas. »
Les signataires de la lettre indiquent : « Nous comprenons la nécessité d’un effort budgétaire, mais cette mesure est inefficace et disproportionnée. Un rendement annoncé de 30 millions d’euros, soit 0,003 % de l’effort global de 9,2 milliards, dont la majorité sera portée par le secteur artistique. Si l’effet global est minime, l’impact sera significatif pour des milliers de créateurs contraints à une comptabilité complexe, avec un risque accru de litiges fiscaux. »
Frédéric Young, délégué général de la SCAM (Société civile des auteurs multimédias), souligne que mettre fin à cet abattement reviendrait à supprimer un mécanisme de correction : « Cet abattement fiscal est important dans la mesure où il corrige une situation que vivent les auteurs et les artistes-interprètes de précarité, d’incertitudes, de délais très longs pour obtenir les revenus qui découlent de l’exploitation de leurs créations, de leurs œuvres ou de leurs chansons, films, etc. Ces caractéristiques de l’activité artistique ont été identifiées par de nombreuses études et montrent qu’un régime tel que celui mis en place depuis 2008 et renouvelé avec de légères modifications est absolument nécessaire à la survie des personnes dont nous parlons ici. »
Frédéric Young n’est pas entièrement satisfait de cette réforme atténuée. « Cela va necessiter pour de très nombreux artistes une formalité supplémentaire et sans doute inutile. C’est une régression du régime tout en préservant le cœur du noyau artistique à condition que tout soit mis en place pour que les attestations soient délivrées rapidement », précise-t-il.
Cette modification de statut entraîne une charge administrative supplémentaire pour l’ensemble des parties : l’État, la commission et les artistes eux-mêmes. Les mois à venir indiqueront si la commission ad hoc peut gérer l’afflux prévisible de demandes d’attestation.
Les artistes ressentent fortement le décalage entre le travail fourni et la rémunération perçue. Prenons l’exemple d’un auteur de bande dessinée : il faut entre 18 et 24 mois pour qu’une BD soit publiée, et l’éditeur paie les droits d’auteur environ un an plus tard. Au moment de recevoir les droits d’auteur, près de trois ans se sont écoulés depuis la fin de leur travail, pendant lequel l’auteur commence déjà son prochain projet.
La réalisatrice Alexe Poukine se dit désemparée face à cette annonce. En présentant son premier long-métrage de fiction, Kika, au Festival de Cannes au printemps dernier, elle constate les conséquences à venir : « Les droits d’auteur représentent entre 30 et 50 % de mes revenus. C’est énorme ! Quand j’ai un film diffusé à la télévision ou un scénario acheté, cet argent est mis de côté pour les années où je travaille sans être beaucoup payée. »
Pour Alexe Poukine, comme pour beaucoup d’autres bénéficiaires des droits d’auteur, cette mesure pourrait entraîner une perte nette de 200 € par mois. « Pour moi qui touche 1 400 € par mois en tant qu’artiste, c’est énorme. Quatre à cinq ans sont nécessaires pour réaliser un film, et pendant que je fais face à des commissions engorgées, je dois vivre, payer mon loyer, les activités des enfants, etc. », insiste la réalisatrice.
Le scénariste Mathieu Volpe confirme que « les droits d’auteur sont super importants car ils tombent au moment où l’on met en place un nouveau projet, ce ne sont pas des bonus mais des revenus qui permettent une survie entre deux projets. » Il estime que le manque à gagner pourrait représenter entre 30 et 40 % de ses revenus.
L’Association des journalistes professionnels a également dénoncé une réforme inique qui impose une pression supplémentaire sur les journalistes indépendants : « La situation est plus difficile pour les journalistes freelances, dont les revenus reposent souvent davantage sur des droits d’auteur (jusqu’à 50 %). Pour eux, l’addition fiscale après la réforme sera plus lourde alors qu’ils constituent le groupe de journalistes le plus précarisé en termes de revenus. »
Du côté de la SCAM, il y a des craintes que le gouvernement impose aux artistes le coût de la réintégration des entreprises et des développeurs informatiques dans un régime conçu initialement pour les artistes.
En décembre 2014, les développeurs de logiciels ont obtenu un droit d’auteur sur leur code. « Pour encourager la production de logiciels, la loi accorde un monopole d’exploitation aux personnes ayant investi du temps et de l’argent dans la création de logiciels. L’auteur d’un logiciel peut contrôler son exploitation et sa distribution », explique le SPF Économie.
Cependant, en décembre 2022, une réforme a exclu les développeurs et les autres métiers du numérique de ce régime fiscal au motif que les programmes informatiques appartiennent à une section distincte du Code. La Cour constitutionnelle a confirmé, dans un arrêt du 16 mai 2024, l’exclusion des professions IT du régime fiscal privilégié des droits d’auteur.
Le dernier développement : l’accord du gouvernement fédéral réintroduit des droits d’auteur élargis pour le secteur IT, bien que cet accord reste pour le moment au stade du Conseil des ministres.
« Ce dispositif avait créé un énorme manque à gagner du point de vue fiscal et avait donc été retiré en 2023 », précise Frédéric Young. « Le gouvernement souhaite les réintégrer mais a décidé de supprimer certains éléments du régime attribué aux artistes pour contenir son coût fiscal. »
Les incidences potentielles de cette réforme sur le quotidien des artistes sont largement discutées. Pour Mathieu Volpe et Alexe Poukine, cela signifie qu’ils devront passer moins de temps sur les films et plus de temps à des activités génératrices de revenus, comme des ateliers ou des emplois secondaires dans des secteurs tels que l’Horeca. « J’entends beaucoup de collègues paniqués, s’interrogeant sur la possibilité de continuer à réaliser des films », déclare la réalisatrice.
Les deux craignent que cela entraîne un affaiblissement non seulement de l’offre culturelle, mais également de la qualité de la création en Belgique. « Pendant des semaines ou des mois, on travaille sans paiement en attendant que le financement soit levé. Si ce processus de mise en place n’est pas protégé, c’est toute l’économie de la création qui risque de s’effondrer », conclut Mathieu Volpe.
Finalement, les associations culturelles rappellent l’importance du secteur culturel belge pour le PIB national, malgré l’absence de chiffres récents. Une étude européenne de 2014 réalisée par Ernst & Young a indiqué que « la culture en Europe génère 536 milliards d’euros de revenus et représente 4,2 % du PIB, faisant de la culture le troisième employeur en Europe. »
En 2021, le secteur culturel en Fédération Wallonie-Bruxelles comptait 73 815 salariés (ce qui représente 4,2 % de l’emploi salarié total) et 43 542 travailleurs indépendants, pour un total d’environ 101 516 travailleurs. De plus, une étude sur Bruxelles a révélé que « les industries créatives et culturelles contribuent non seulement à l’économie bruxelloise (avec une valeur ajoutée nette de 3 213,3 millions d’euros en 2018, soit 3,8 % de l’économie bruxelloise) » et représentent près de 15 % de la main-d’œuvre bruxelloise.

