Le Bitcoin de Donald Trump : de monnaie rebelle à outil d’État
En 2019, Donald Trump qualifiait le bitcoin de « scam », « fondé sur du vent » et « menace pour le dollar ». En mars 2025, un décret présidentiel officialise la création d’une réserve nationale en bitcoins, détenue par le Trésor américain.
Il fut un temps où Donald Trump décrivait le bitcoin comme un « escroquerie », « fondé sur du vent » et « menace pour le dollar ». C’était en 2019, durant son premier mandat. Cinq ans plus tard, le même homme en a fait un outil de puissance nationale. Le Bitcoin est désormais lié à Trump, et Trump est lié au Bitcoin. Si l’un tousse, l’autre s’enrhume.
Les détenteurs de cryptomonnaies ont traversé un week-end difficile les 10, 11 et 12 octobre derniers. Soudainement, le Bitcoin (BTC) et toutes les autres crypto-monnaies ont plongé. Le BTC a chuté jusqu’à -15%, tandis que d’autres monnaies virtuelles plus fragiles ont perdu jusqu’à -20% à -30%. Cela a coïncidé avec la publication par Donald Trump d’un message sur son réseau social, menaçant la Chine de droits de douane pouvant atteindre 100%. Cela a engendré une panique, une peur quant à l’effondrement des cours et de l’économie. Les vendeurs ont pris le dessus et les cryptos se sont effondrées.
Le dimanche 12, Donald Trump a publié un message d’apaisement : « Ne vous inquiétez pas au sujet de la Chine, tout ira bien. Les États-Unis veulent aider la Chine, pas la blesser !!! » Dans la foulée, le cours du Bitcoin a commencé à remonter, bien que depuis, le BTC demeure volatil et prudent.
En mars 2025, un décret présidentiel, sobrement intitulé Executive Order on Strategic Bitcoin Reserve, officialise la création d’une réserve nationale de bitcoins, détenue par le Trésor américain. L’annonce, confirmée par la Maison-Blanche et relayée par Reuters, Bloomberg et le Wall Street Journal, marque un tournant historique. L’État, qui incarnait la régulation, devient un détenteur massif d’un actif au départ conçu pour échapper à toute régulation.
Trump, fidèle à son pragmatisme nationaliste, a modifié la philosophie du bitcoin : il ne le considère plus comme une menace pour le dollar, mais comme une extension du pouvoir américain. Lors d’un meeting à Dallas, il déclare : « Si le monde veut du bitcoin, alors que les États-Unis en soient les gardiens, pas les suiveurs. »
L’accumulation a commencé avec des saisies judiciaires. Dès 2013, le FBI a confisqué les avoirs de la plateforme illégale Silk Road, un site internet sur le dark web proposant des produits illégaux, comme de la drogue, en échange de bitcoins. Plus de 144.000 BTC y ont été saisis. Récemment, des arrestations massives liées à des fraudes à grande échelle ont permis d’en saisir davantage.
Aujourd’hui, le Trésor américain détiendrait environ 215.000 bitcoins, soit plus de 13 milliards de dollars selon les taux de début octobre 2025. Cela fait des États-Unis l’un des plus gros détenteurs publics au monde, devant la Chine et le Royaume-Uni. Actuellement, on estime qu’il y a environ 20 millions de bitcoins en circulation.
Traditionnellement, ces saisies étaient revendues aux enchères. Mais sous Trump, l’idée a évolué : pourquoi vendre ce que le monde perçoit désormais comme « l’or numérique » ?
Les algorithmes surveillent désormais chaque déclaration de Trump, chaque tweet, chaque décret, tout comme une statistique du chômage ou une décision de la Fed.
Toutefois, un bémol demeure : la Réserve fédérale américaine (Fed) ne souhaite pas détenir de bitcoin. En décembre 2024, son président Jerome Powell a été catégorique : « La Fed n’a ni mandat ni intention de détenir des cryptoactifs. »
La Fed continue de considérer le bitcoin comme un actif spéculatif, non monétaire, et refuse toute assimilation à une réserve officielle. Par conséquent, les avoirs en BTC sont gérés par le Département de la Justice et le Trésor, sous supervision présidentielle, un schéma inédit où l’exécutif contrôle directement un actif financier majeur, contournant les garde-fous monétaires de la banque centrale.
À Washington, la sénatrice républicaine du Wyoming, Cynthia Lummis, s’est affirmée comme la voix politique du bitcoin. Elle défend la vision selon laquelle la détention publique de BTC deviendrait un instrument de stabilité et d’innovation. « Le bitcoin est à la finance ce qu’Internet fut à l’information : un changement de paradigme », a-t-elle déclaré lors d’une audition au Sénat en avril 2025.
Son projet de loi, le Bitcoin Act, propose de créer un cadre légal de transparence pour les avoirs publics en BTC, tout en intégrant la crypto dans la stratégie énergétique américaine. L’excédent d’électricité renouvelable, par exemple lorsqu’il y a trop de soleil, servirait à créer de nouveaux bitcoins. Dans le jargon, on parle de miner un bitcoin, une opération énergivore.
Ainsi, le BTC pourrait hériter d’un cadre clair et transparent pour évoluer, rassurant les investisseurs, qui seraient plus enclins à acheter et faire grimper le cours.
Pour les non-initiés, il est important de rappeler que le bitcoin est une monnaie numérique dite décentralisée, créée en 2009 lors d’une crise financière majeure. Son concepteur anonyme, connu sous le nom de Satoshi Nakamoto, avait pour but de permettre des échanges de valeur sans intermédiaire, sans banque centrale ni État, grâce à une technologie appelée blockchain, un registre public, infalsifiable et transparent qui valide les transactions via un réseau mondial d’ordinateurs.
En d’autres termes, on peut acheter un bitcoin, ou une fraction de celui-ci, et le dépenser comme une monnaie nationale en ligne. Cependant, sa valeur est déterminée uniquement par l’offre et la demande. Plus il y a d’acheteurs, plus le BTC prend de la valeur. Fin 2020, sa valeur a été multipliée par dix en six mois. Depuis 2023, le BTC est passé de 18.000 euros à 100.000 euros, enregistrant ainsi une explosion qui a fait de nombreux millionnaires.
Le mythe est né et les espoirs d’autres hausses attirent de nouveaux acteurs. Aujourd’hui, des banques, des États et des entreprises se manifestent. Par exemple, Nigel Farage, candidat d’extrême droite au Royaume-Uni, promet de créer un fonds de réserve en bitcoin s’il est élu, à l’image de Donald Trump.
Initialement conçu comme une alternative au système financier traditionnel, le bitcoin est devenu un instrument des grandes puissances et institutions financières, avec Donald Trump en tête. Le président américain n’a pas seulement modifié la perception de Washington envers le bitcoin, il a également changé sa nature même. Bien que restant une monnaie sans maître, celui qui en détient la plus grande part pourra désormais l’influencer à son gré.

