Belgique

L’anonymat du don de sperme : la fin d’une règle posant problème

Deux témoins qui ont appris qu’ils étaient issus d’un don de sperme, Valérie Van Eyll et Loréana Ventimiglia, ont exprimé un certain mal-être et une crise identitaire après cette révélation. La Cour constitutionnelle a déclaré en 2024 que les dispositions de la loi belge qui imposait l’anonymat des donneurs étaient contraires aux droits fondamentaux de l’enfant.


Des secrets dévastateurs

L’anonymat du don de sperme, particulièrement dans le cadre des couples hétérosexuels, est souvent accompagné d’un secret. Deux témoins, que nous avons rencontrés, ont appris dans leur vingtaine qu’ils étaient issus d’un don de sperme. Cette révélation a engendré un mal-être significatif. « Le secret, ça finit toujours par sortir, par se révéler. Et un secret ou un mensonge, quand ça concerne votre identité, c’est quelque chose d’extrêmement difficile à vivre et à pardonner. Pourquoi m’avez-vous menti sur qui je suis ? » se questionne Valérie Van Eyll, 30 ans après avoir découvert la vérité.

Elle raconte que, « au moment où j’entends ça, j’ai un sentiment physique, d’effondrement de la moitié droite de mon corps ». À côté des conflits familiaux parfois irrémédiables, la rupture du secret entraîne souvent une crise identitaire chez ces enfants. « Au moment où j’entends ça, je me demande qui je suis. Si je ne suis pas l’enfant de mes deux parents, d’où viens-je ? Qui est à l’origine ? » se remémore-t-elle. De même, Loréana Ventimiglia, une autre personne conçue par don anonyme, souligne : « On se sent un peu perdue. On se dit, dans la mesure où la personne que je pensais être mon papa n’est pas mon papa, qui suis-je ? »

D’autres témoignages d’enfants issus de dons montrent que le secret entourant le don de sperme est souvent plus difficile à supporter que l’anonymat du donneur lui-même. En effet, ceux à qui l’on n’a jamais caché leur origine éprouvent moins de difficultés à vivre sans connaître les caractéristiques ou l’identité de leur géniteur.

La recherche parfois obsessionnelle de son géniteur

Certaines personnes issues d’un don anonyme cherchent souvent à retrouver leur géniteur. Le désir de connaître, ou de rencontrer au moins une fois, l’homme à l’origine du don peut devenir une obsession. « Quand on ne sait pas qui est son père, on a envie de le voir partout. On recherche même inconsciemment, partout où l’on va, on pense que telle personne d’un certain âge pourrait être notre père », témoigne Loréana Ventimiglia.

Ces enfants commencent généralement par tenter d’obtenir des informations auprès de la clinique de fertilité où leur mère a reçu le don de sperme, démarche qui est souvent vaine. Une autre option s’offre alors à eux : les bases de données ADN. Ces bases permettent de relier des individus partageant des morceaux d’ADN commun. Grâce à ces outils, accompagnés de recherches généalogiques et d’enquêtes sur les réseaux sociaux, certains enfants réussissent à retrouver leur donneur. Loréana a ainsi rencontré son géniteur récemment, un moment qu’elle décrit : « J’avais peur de ne pas être à la hauteur de ses attentes, et j’avais aussi peur qu’il ne soit pas à la hauteur des miennes ».

Une loi contraire aux droits fondamentaux

Les difficultés rencontrées par les enfants pour retrouver leur géniteur ou accéder à des informations concernant lui ne devraient cependant pas exister. La loi du 6 juillet 2007, qui garantit l’anonymat des donneurs, est jugée injuste. « Au moment de l’adoption de la loi, ce choix s’est imposé sans tenir compte de l’intérêt et des droits des enfants issus du don », précise Géraldine Mathieu, professeur de droit de la famille et des droits de l’enfant à l’Université de Namur et à l’Université de Liège.

La Cour constitutionnelle a affirmé que les dispositions de la loi belge imposant l’anonymat sont contraires aux droits fondamentaux de l’enfant. La loi de 2007 est ainsi en contradiction avec un traité signé par la Belgique, la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant. Un enfant issu du don a alerté la justice à ce sujet. « La Cour constitutionnelle a déclaré, l’année passée, que les dispositions de la loi belge qui imposent l’anonymat sont contraires aux droits fondamentaux de l’enfant, car il n’y a actuellement aucun équilibre entre les intérêts en présence, avec une priorité absolue donnée aux donneurs au détriment des enfants », ajoute Géraldine Mathieu. Le législateur n’a pas d’autre choix : « La Cour constitutionnelle lui a donné jusqu’au 30 juin 2027 pour réviser la législation afin de mieux protéger les droits de l’enfant issu du don tout en respectant ceux du donneur. »

L’obsolescence de la loi

La loi sur l’anonymat est ainsi jugée comme étant contraire aux droits fondamentaux de l’enfant. De plus, avec l’émergence des bases de données ADN, l’anonymat des donneurs ne peut plus être garanti. Certains estiment que l’anonymat a également favorisé de nombreuses dérives. Avec la séparation entre les familles receveuses et les donneurs, il devient difficile, voire impossible, de contrôler les pratiques de l’autre côté.

Stéphanie Raeymaekers, enfant issue d’un don de sperme anonyme et présidente de l’association Donorkinderen, explique que l’anonymat permet de cacher des mensonges. « Pour moi, l’anonymat sert aussi à couvrir les mensonges. Il est très difficile de les débusquer, car l’anonymat est un parapluie que certains pourraient utiliser pour échapper à un contrôle et cacher des informations. Je crains que des vérités demeurent cachées, car nous avons entretenu cet anonymat trop longtemps. » Le ministre de la Santé publique, Franck Vandenbroucke, souhaite également abolir l’anonymat, estimant qu’il complique la surveillance du respect des règles : « L’anonymat rend le contrôle plus complexe, mais il n’est pas impossible. Maintenir un contrôle rigoureux tout en respectant l’anonymat n’est pas une tâche facile. »

La fin toute proche de l’anonymat

Franck Vandenbroucke a récemment présenté un projet de loi visant à réviser cette disposition légale. « Je pense que pour les futurs donneurs, à partir d’un certain âge, je propose 12 ans pour amorcer le débat, les enfants ont non seulement droit à des données non identifiables, comme des traits physiques, mais aussi à l’identité du donneur, sans que cela ne fasse de lui un parent responsable. »

Pour celles et ceux nés d’un don anonyme depuis les débuts de la procréation médicalement assistée, la fin de l’anonymat est prévue d’ici 2027. Le ministre envisage également des changements pour le passé : « Il faut permettre que l’anonymat soit levé si le donneur est d’accord. » Il est même question de créer un institut où les personnes issues d’un don pourraient obtenir des informations identifiantes ou non sur leur géniteur et savoir si elles ont des demi-frères ou demi-sœurs. Toutefois, les anciens donneurs anonymes pourront toujours refuser de révéler leur identité ou de rencontrer leur descendance.

L’enquête complète « Don de sperme, des vies à la dérive » du magazine #Investigation est à voir ce mercredi 10 décembre à 20h15 sur la Une (RTBF) et en streaming sur Auvio.