”L’an dernier, nous avons démantelé 33 labos clandestins de drogue de synthèse, contre une quarantaine en 2023. Mais ce chiffre ne dit pas tout”
Ine Van Wymersch, commissaire nationale drogue, et Marc Vancoillie, chef du service « Centrex drogues » de la DJSOC (Direction centrale de la lutte contre la criminalité grave et organisée) de la Police fédérale, décortiquent pour La Libre ce qui se cache derrière les laboratoires clandestins de drogue de synthèse.
- Publié le 07-05-2025 à 06h34

« Non, la Belgique n’est pas un narco-État. Mais force est de constater que près de 86 % des réseaux criminels impliqués dans les stupéfiants utilisent des structures légales pour mener à bien leurs juteux business. Et si l’on parle fréquemment de cocaïne et de cannabis, la Belgique n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de drogues de synthèse. »
Le rappel est cinglant. Il est signé Ine Van Wymersch, la commissaire nationale drogue qui, depuis 2023, est chargée de lutter contre les narco-criminels, tout en étant sensible aux implications sanitaires de la consommation (assuétude, surdose, etc.). Souvent sollicitée dans la presse pour parler de la lutte contre la cocaïne et des violences liées à ces trafics, Ine Van Wymersch tient à souligner que la Belgique est « dans le top 2 des pays producteurs de drogues de synthèse ».
Mais comment notre pays s’est-il retrouvé sur un tel podium, interroge-t-on ? « La Belgique est un pays intéressant pour différents critères, expose celle qui fut procureure du Roi au parquet de Hal-Vilvorde. D’abord pour des raisons géographiques et je ne parle pas ici de la présence du port d’Anvers mais de notre proximité avec le pays le plus réputé en matière de productions de drogues de synthèse : les Pays-Bas. Les régions belges qui comptent le plus de laboratoires clandestins sont le Limbourg, Anvers et Liège, c’est-à-dire celles qui se trouvent le long de la frontière avec nos voisins néerlandais. Ce n’est pas dû au hasard. »
Elle poursuit : « La Belgique est également réputée pour la production des drogues de synthèse car notre pays est un pôle stratégique au niveau chimique et pharmaceutique. Une partie importante des matières premières utilisées dans les labos clandestins est en effet légalement accessible sur le marché. C’est une aubaine pour les trafiquants et ils le savent. Cela dit, nous le savons aussi, raison pour laquelle nous les traquons avec force sur ce terrain… ».
guillement « Près de 90 % des labos clandestins démantelés en Belgique se trouvent effectivement dans des régions frontalières avec les Pays-Bas un peu comme si, de notre côté de la frontière, il y avait un jardin pour les criminels dont le terrain de jeu favori reste la Hollande. »
L’attrait pour les villages peu habités
Marc Vancoillie confirme que la traque est effectivement en cours. Et qu’elle porte ses fruits. Il en sait quelque chose puisqu’il est le chef du service « Centrex drogues » de la DJSOC (Direction centrale de la lutte contre la criminalité grave et organisée) de la Police fédérale. Autrement dit, l’un des patrons de la police anti-drogue en Belgique.
« Je tiens d’ailleurs à apporter un peu de nuance. La Belgique n’est pas un paradis des drogues de synthèse, ce noble titre est pour les Pays-Bas. Notre pays est, si l’on peut dire, le petit frère de l’ogre néerlandais, explique-t-il en souriant. Près de 90 % des labos clandestins démantelés en Belgique se trouvent effectivement dans des régions frontalières avec les Pays-Bas un peu comme si, de notre côté de la frontière, il y avait un jardin pour les criminels dont le terrain de jeu favori reste la Hollande. Et s’ils aiment venir en Belgique, ce n’est pas pour la beauté de nos paysages mais parce que, d’une part, l’usage du néerlandais facilité les choses et, d’autre part, parce qu’il est facile d’aller d’un pays à l’autre en empruntant l’autoroute une trentaine de minutes, sans être inquiété par un contrôle aux frontières. »
Le policier précise par ailleurs que le phénomène a explosé et se retrouve également dans d’autres régions belges, et même ailleurs en Europe. « Aux Pays-Bas, la lutte contre les labos clandestins est plus avancée, ce qui a donné envie aux criminels d’aller voir ailleurs, là où il y a encore la possibilité d’être plus discret. Ce fut longtemps le cas dans les larges plaines limbourgeoises, mais comme notre traque porte ses fruits, ces réseaux vont s’implanter ailleurs en Belgique, voire plus loin à l’étranger. L’Allemagne est de plus en plus touchée, la Pologne également et, plus récemment, l’Espagne, explique Marc Vancoillie. Ce qui est ciblé par ces réseaux criminels, ce sont les villages très peu habités, loin du regard des curieux qui pourraient potentiellement contacter la police. Dans certains villages reculés en Espagne, ces criminels ont encore la paix, ce qu’ils n’ont plus vraiment dans le Limbourg. »
guillement « Au sein de l’Agence fédérale pour les médicaments et les produits de santé (AFMPS), on nous signale le moindre achat en grande quantité de produits chimiques et nous faisons un screening des personnes concernées. Par exemple, un lambda qui veut acheter une importante quantité d’acétone sera dans le viseur. »
Catastrophe écologique
Si la Belgique est aussi attractive pour son savoir-faire dans l’univers de la chimie, Marc Vancoillie rappelle que ce secteur professionnel est très sensible à la question et veille à dénoncer la moindre activité suspecte. « Au sein de l’Agence fédérale pour les médicaments et les produits de santé (AFMPS), on nous signale le moindre achat en grande quantité de produits chimiques et nous faisons un screening des personnes concernées. Par exemple, un citoyen lambda qui veut acheter une importante quantité d’acétone sera dans le viseur, poursuit le policier. Mais les criminels savent que l’attention est grande, raison pour laquelle si les labos clandestins sont encore nombreux en Belgique, c’est en Pologne et même en Chine qu’ils iront chercher les produits précurseurs nécessaires à la confection des drogues de synthèse. »
Marc Vancoillie confirme que la lutte contre les réseaux impliqués dans les drogues de synthèse s’est intensifiée en Belgique, mais qu’elle est loin d’être terminée. « C’est une forme de criminalité complexe, qui navigue entre les réseaux légaux et illégaux. Et puis, les criminels usent de nombreux stratagèmes pour échapper à notre vigilance. L’an dernier, nous avons démantelé 33 labos clandestins en Belgique, contre une quarantaine en 2023. Mais ce chiffre ne dit pas tout, car s’il y a moins de laboratoires, ils produisent en réalité à chaque fois plus de drogues de synthèse. »
Et de conclure : « Un élément important permet de les cibler : les dumpings, à savoir les dépôts clandestins de déchets chimiques, car la production de drogues de synthèse est extrêmement polluante. Sauf que depuis quelque temps, les traces de ces dumpings sont limitées lorsque nous démantelons des labos. Une des questions qui se pose est de savoir si les réseaux criminels auraient noué des liens avec des entreprises spécialisées et légalement actives sur ce secteur… »