La Wallonie ne veut pas être à la traîne dans la course à l’armement: “Il est urgent de revoir le décret wallon sur l’exportation d’armes »

Alors que l’Europe renforce considérablement ses capacités militaires, la Wallonie ne souhaite pas être laissée de côté. La région est en train de revoir son décret sur l’exportation d’armes, que les industriels considèrent comme trop restrictif. Ce dossier est considéré comme une « priorité » par le ministre-président Adrien Dolimont (MR).
- Publié le 30-04-2025 à 13h50
Face à la montée des menaces, la Belgique a haussé le ton le ton. Le gouvernement fédéral s’est en effet engagé à atteindre dès cette année l’objectif de 2 % du PIB consacré à la Défense, dans le sillage du plan « ReArm Europe » porté par Ursula von der Leyen. À la clé : 21,3 milliards d’euros d’investissements, dont 16,8 déjà validés à Pâques.
Une impulsion qui pourrait faire décoller l’industrie belge de la défense.
Lever certains freins
Selon Agoria, la taille du secteur pourrait doubler d’ici huit ans, créant jusqu’à 8.000 emplois. Et la Wallonie, forte de ses 1,8 milliard de chiffre d’affaires, pourrait jouer un rôle central dans cette relance stratégique.
guillement Des investisseurs et donneurs d’ordres risquent de tourner le dos à la Wallonie.
Pour Clarisse Ramakers, directrice générale d’Agoria Wallonie, ce potentiel de croissance est réel, mais suppose des choix politiques forts. « Pour doubler le chiffre d’affaires du secteur et créer 8.000 emplois d’ici 2033, il faut lever certains freins. D’abord, il est urgent de revoir le décret wallon sur l’exportation d’armes », affirme-t-elle.
guillement Si aujourd’hui la FN Herstal continue d’exister, c’est en grande partie grâce à l’exportation »
« Les commandes européennes ne suffiront pas à court terme »
Selon Agoria, la réglementation actuelle est trop rigide. « Nos entreprises doivent pouvoir exporter en dehors de l’UE. Avec la montée en puissance du réarmement, les commandes européennes ne suffiront pas à court terme. Si on ne peut pas exporter, on étouffe la croissance du secteur. »
La directrice d’Agoria s’inquiète aussi d’un effet domino : « Des investisseurs et donneurs d’ordres risquent de tourner le dos à la Wallonie. Ce serait un vrai manque à gagner. Aujourd’hui, même les banques commencent à changer d’approche : la paix est désormais vue comme une condition du développement durable. »
Elle dénonce une réglementation « trop lente et trop stricte » : « Les procédures sont longues, les licences valables à peine 18 mois – alors que les délais de production dépassent souvent ce terme. La France a, elle, une approche plus souple, via une autorité stratégique. En Belgique, tout passe par le Parlement. C’est trop lent. »
Pour ne pas rater le train européen, Agoria plaide pour un vrai changement de culture : « Il faut plus de collaboration entre la Flandre et la Wallonie, entre les entreprises, les universités et les centres de recherche. Il ne suffit pas de lancer une commande publique belge : il faut aller chercher les marchés européens et internationaux, comme en Arabie saoudite, un hub d’investissements en défense et en énergie. »
guillement Notre base légale actuelle ne permet pas de tenir compte d’enjeux plus larges, comme les intérêts stratégiques de la Wallonie ou la crédibilité de la Belgique sur la scène internationale »
Une illustration de cette situaion: si aujourd’hui la FN Herstal continue d’exister, c’est en grande partie grâce à l’exportation.
Henry de Harenne, porte-parole du fabricant wallon d’armes légères, le rappelle d’emblée : pendant plusieurs décennies, entre la fin de la guerre froide et le récent réarmement de l’Europe amorcé il y a environ six ans, les investissements européens dans la défense étaient en chute libre. « Si on a encore des industries de défense en Europe aujourd’hui, c’est parce qu’on a pu exporter« , insiste-t-il.
« Cette asymétrie n’a aucun sens »
La progression est frappante : alors qu’il y a quelques années, moins de 30 % de la production d’Herstal partait vers l’Europe, c’est désormais plus de 80 %. Sans ces débouchés, l’entreprise n’aurait pas survécu, affirme-t-il.
Mais exporter ne se fait pas librement : chaque vente doit être validée par les autorités politiques via une licence d’exportation.
Celle-ci inclut un certificat d’utilisateur final, un document qui précise avec exactitude à qui le matériel est destiné. « Si on vend à la police portugaise, par exemple, elle ne peut pas ensuite transférer ce matériel à son armée sans redemander une autorisation », détaille-t-il. Tout transfert, même entre institutions d’un même État, requiert une approbation explicite.
Un cadre réglementaire qui garantit une certaine transparence et un respect des engagements contractuels vis-à-vis des autorités, notamment régionales, comme le gouvernement wallon.
C’est précisément ce dernier qui a transposé, dès 2012, la position commune de l’Union européenne de 2008 sur les exportations d’armement dans un décret régional. Une initiative que Henry de Harenne salue — « la Wallonie a été un bon élève » — mais qui, selon lui, a aussi créé une distorsion de concurrence.
Car tous les pays européens ne sont pas allés aussi loin. Résultat : alors que la Belgique applique à la lettre les critères européens, d’autres États membres les interprètent plus librement.
« Nos concurrents italiens ou allemands peuvent vendre dans certains pays où nous, on ne peut pas aller. L’inverse est peut-être vrai aussi, mais cette asymétrie n’a aucun sens », regrette le porte-parole. Et de pointer l’incohérence d’une Europe qui autoriserait certains industriels à livrer un pays tiers, tout en l’interdisant à d’autres entreprises européennes.
La révision du décret est une priorité pour la Wallonie
L’un des exemples les plus flagrants concerne l’Arabie saoudite, un ancien client important de FN Herstal. Aujourd’hui, une vente dans ce pays est inenvisageable depuis la Belgique, alors que d’autres nations européennes continuent d’y commercer. « Ce n’est pas à moi de porter un jugement éthique », précise Henry de Harenne.
Mais sur le plan industriel, la situation est frustrante. D’autant plus qu’elle se répète ailleurs : récemment, des Émirats arabes unis aux pays africains, des clients potentiels souhaitaient intégrer Herstal à des projets, justement parce qu’ils savent que l’entreprise équipe déjà les armées françaises, britannique ou américaine. « Et là, on doit dire non. Pendant que les Italiens ou les Allemands, eux, peuvent y aller. »
Pour la FN, l’enjeu n’est pas tant de brader l’éthique sur l’autel du commerce que de plaider pour une vraie « harmonisation européenne », à la fois réglementaire et diplomatique.
Un discours soutenu par le ministre wallon de l’Économie, Pierre-Yves Jeholet, qui regrettait récemment un certain « manque de courage politique », évoquant des « états d’âme » nuisibles aux intérêts économiques wallons. Pour autant, aucune évolution concrète des critères ou des décisions d’octroi de licences n’a encore été actée.
Du côté du gouvernement wallon, un chantier est en cours : celui d’une révision du décret encadrant les licences d’exportation d’armes.
La mise en garde d’Amnesty International
La Région wallonne a en effet directement intégré dans son décret les critères de la Position commune de 2008 du Conseil de l’Union européenne, qui encadre les ventes d’armes vers les pays tiers. Si ces critères, notamment celui relatif au respect des droits humains et du droit international humanitaire, restent incontournables, le gouvernement souhaite aujourd’hui pouvoir aller au-delà.
« Notre base légale actuelle ne permet pas de tenir compte d’enjeux plus larges, comme les intérêts stratégiques de la Wallonie ou la crédibilité de la Belgique sur la scène internationale », fait valoir Stéphanie Wyard, porte-parole du ministre-président Adrien Dolimont (MR). L’idée est d’introduire plus de souplesse dans l’analyse des demandes de licences, sans relâcher la rigueur sur les destinations sensibles.
Le gouvernement insiste néanmoins sur le sérieux des procédures existantes. Chaque dossier est analysé au cas par cas, en collaboration avec les services régionaux et fédéraux compétents. Mais le cadre légal actuel serait parfois trop restrictif : certaines entreprises, craignant une insécurité juridique, choisiraient d’expédier leurs commandes depuis d’autres pays européens plus « flexibles ».
Résultat : « la Wallonie perd ces marchés », regrette-t-on du côté du gouvernement wallon. La réforme du décret est donc considérée comme prioritaire, avec un passage en première lecture prévu au second semestre, soit durant le mois de septembre.
De son côté, Amnesty International met en garde contre une approche trop permissive. L’ONG rappelle que les décisions d’exportation peuvent avoir des conséquences dramatiques : des armes wallonnes ont déjà été utilisées dans des conflits où des civils ont été visés.
Elle critique aussi « l’opacité persistante » des acteurs impliqués dans ces transferts, qu’ils soient institutionnels ou industriels. Une transparence accrue, plaide Amnesty, est indispensable pour garantir que les droits humains ne soient pas sacrifiés au nom des intérêts économiques.