Là où il n’y a pas de rire, il n’y a pas de deuil.
Une petite boutique colorée dans le vieux Liège propose des plaques funéraires humoristiques, comme « Game Over » ou « Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ». Jean-René Tabouret, créateur de ces plaques, affirme avoir commencé ce projet comme une blague pour un cadeau d’anniversaire et a depuis rencontré un succès notable.
En flânant dans les ruelles du vieux Liège, impossible de ne pas remarquer une petite boutique colorée, fourmillant d’objets de décoration et d’idées cadeaux souvent surprenantes.
Parmi ces articles, certaines plaques funéraires se distinguent, délaissant le traditionnel « À ma mamy » pour des citations qui provoquent le rire ou la surprise, parfois les deux.
Ces créations abordent un humour noir, allant jusqu’à des expressions telles que « Game Over », « Tu fais moins le malin maintenant », « Salut les moches », « Bien arrivé, bisous », « Pas de nouvelles, bonnes nouvelles », « Trou Love », etc. Des punchlines audacieuses.
La question se pose : ces plaques sont-elles destinées aux tombes ou s’agit-il plutôt d’un gag, pour ceux qui aiment cet humour particulier ? « Ça a été un véritable coup de cœur parce que c’est un objet qui est détourné de sa fonction initiale, » explique Catherine Fourneaux, propriétaire du Petit Grand Bazar. « Ça me touche, ça me parle. Pour moi, c’est de l’absurde. » L’objet suscite également l’intérêt sur les réseaux sociaux du magasin. « Quand je les ai mises en vitrine, les gens s’arrêtaient, les photographiaient. »
« Ils sont effectivement plusieurs à avoir beaucoup d’humour et à me dire ‘moi je veux vraiment ça sur ma tombe’. D’autres, quant à eux, trouvent cela complètement rock’n’roll et l’achètent comme un objet de déco ou un cadeau. »
Ces plaques pleines d’humour sont l’œuvre de Jean-René Tabouret, un artiste breton qui a grandi dans l’univers de la mort. Sa mère vendant des monuments funéraires et lui-même débutant comme graveur funéraire. Cela l’a aidé à prendre du recul face à la mort.
Sa carrière actuelle a commencé sur un ton humoristique. « C’était complètement une blague ! C’était pour un cadeau d’anniversaire pour un ami qui avait beaucoup d’humour. Et donc, j’ai fait une plaque complètement décalée. Et puis après, le bouche-à-oreille, tout simplement. »
« J’ai dû faire 10, 15 plaques d’abord. Je faisais des expos d’art ou dans les concerts, dans les festivals. Je ne savais pas si ça allait choquer dans le bon sens ou choquer dans le mauvais sens. Et puis il s’est avéré que ça a plu, que ça fait marrer les gens. »
Et ainsi, ce cadeau décalé est devenu son métier principal, se désignant lui-même comme « graveur presque funéraire ».
Pour ceux qui sont choqués, les réactions sont souvent prévisibles : « Qu’on ne peut pas rire de ça. Qu’on ne peut pas rire de la mort. J’essaie de leur expliquer que c’est de l’humour, que c’est un objet de déco décalé. Mais voilà, on ne peut pas rire avec la mort. C’est ça qu’on me dit. »
L’humour face à la mort suscite néanmoins réflexion : « On ne peut vraiment pas rire avec la mort ? »
Le rire ou le sourire apparaît souvent dans les moments de deuil, qu’il soit voulu ou non. Les souvenirs heureux partagés avec le défunt permettent de libérer des émotions, offrant une soupape face à la tristesse.
Rire devant la mort est essential, souligne le psychologue Jean Van Hemelrijck. « Quand on rit, on éclate de rire. Et en éclatant de rire, on expulse de l’air. On fait éclater la réalité en morceaux. On la brise, on la rend plus légère. » Il confirme que là où il n’y a pas de rire, il n’y a pas de deuil.
Pour lui, « le rire est une manière de secouer sa mémoire, de l’activer. » « Le rire est très important face à la mort, il ne faut pas laisser à la mort la froideur qu’elle incarne, » ajoute-t-il.
L’humour noir est une métaphore de la capacité des humains à transformer des situations tragiques en légèreté, synthétise-t-il.
Jean-René Tabouret partage ce sentiment : « On peut très bien avoir une plaque humoristique, ça n’enlève pas la peine. On peut avoir une larme de l’œil gauche et un petit sourire sur le coin droit. Quelque chose qui rappelle un bon souvenir. »
Il évoque aussi des rencontres émouvantes dans son travail : « J’ai eu l’exemple de quatre petites-filles dont la grand-mère était décédée. Elle leur disait toujours ‘Minute papillon’. […] J’ai gravé quatre papillons représentant les quatre petites filles. Cela a généré des moments sympas à vivre parce que cela participe à une partie du deuil de manière positive. »
Le rire et l’humour noir agissent comme des mécanismes de distanciation pour ceux qui côtoient la mort au quotidien, comme le note Xavier Deflorenne, responsable d’une cellule de gestion du patrimoine funéraire. « On note un humour parfois jugé déplacé chez ceux qui frôlent la limite entre vie et mort », précise-t-il.
Xavier Deflorenne appelle à réintégrer l’humour dans les rites funéraires, en évoquant des cercueils où les proches laissent des messages et dessins humoristiques. « Les funérailles ne doivent pas être tristes. Elles sont un outil pour aider les vivants à surmonter le deuil. »
Pour lui, « l’humour est une métaphore pour transformer l’inéluctable en légèreté », et ainsi, il conclut que l’on peut intégrer le rire dans le deuil, en se détachant de la morosité qui l’entoure.

