Belgique

La lutte pour l’égalité homme-femme remise en question par les masculinistes en Europe

Depuis une dizaine d’années, la manosphère se répand sur la toile et présente les hommes comme des victimes de la société actuelle à travers des discours misogynes. En 2023, le taux d’emploi des hommes s’élevait à 80%, contre 70% pour les femmes, et en moyenne cette année-là, les femmes gagnaient environ 12% de moins que leurs homologues masculins.


Depuis une dizaine d’années, la manosphère s’est développée sur internet. Ce réseau informel de communautés représente les hommes comme des victimes de la société contemporaine, en véhiculant des discours misogynes qui touchent de plus en plus de jeunes.

La Belgique n’en est pas exemptée, comme l’explique Erynn Robert, coordinatrice de la fédération Prisme, qui réunit les organisations LGBTQIA+ en Wallonie. « Les mouvements masculinistes gagnent en influence. Ils sont très actifs sur les réseaux sociaux et s’adressent particulièrement aux jeunes hommes. Ils promeuvent une haine des femmes. Cela a déjà des conséquences mesurables, notamment une intolérance accrue des jeunes hommes de la génération Z envers les thématiques LGBTQIA+, ainsi qu’un sexisme plus présent que chez les générations précédentes. »

Ce phénomène a été récemment illustré dans la série à succès « Adolescence » et analysé dans une enquête de la RTBF, intitulée « Sur TikTok, le masculinisme à portée de scroll : jusqu’où l’algorithme peut-il emmener les ados ? ». « Près de deux jeunes hommes sur trois sont régulièrement exposés à des contenus diffusés par des influenceurs de la masculinité sur internet, » confirme un document publié par ONU Femmes.

Certaines de ces publications ciblent en particulier l’Union européenne.

### Une UE anti-homme ?

Les politiques européennes seraient accusées de s’en prendre aux hommes, tant dans leur vie personnelle que dans les sphères politique et économique. Il ne serait plus possible de flirter ou de sortir avec une femme, car en Europe, les lois sur le consentement criminaliseraient la sexualité masculine. La manosphère appelle aussi à un retour à la famille traditionnelle, jugée idéale, arguant que l’augmentation de la présence des femmes sur le marché du travail conduirait à une baisse de la natalité en Europe.

Il est vrai que l’Union européenne a déjà mis en place de nombreuses initiatives : lutte contre les violences sexistes, amélioration de l’accès aux soins de santé et à l’éducation, égalité des chances en matière d’emploi, égalité salariale, équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et représentation politique. En mars prochain, la Commission européenne proposera d’autres mesures dans le cadre de sa nouvelle Stratégie pour l’égalité de genre.

Mais toutes ces politiques ont-elles pour but de désavantager les hommes au profit des femmes ? Ou tentent-elles simplement de réduire les inégalités et de mieux lutter contre les violences sexistes ?

Les radios du réseau Euranet+ se sont penchées sur ces questions.

### Lutte contre les violences sexistes

L’Union européenne est déterminée à mettre fin aux violences fondées sur le genre, un fléau préoccupant. Au moins deux femmes perdent la vie chaque semaine dans cette région, victimes de leur partenaire ou d’un membre de leur famille. D’après des chiffres de 2021, une femme sur trois a subi une violence physique ou sexuelle au cours de sa vie, soit environ 50 millions de femmes dans l’Union européenne.

En 2024, l’Union européenne a adopté une directive visant à combattre les violences faites aux femmes et dans le cadre domestique. Cette législation criminalise les mutilations génitales, le mariage forcé et la cyberviolence (diffusion non consensuelle de contenus intimes ou manipulés, intimidation, harcèlement, incitation à la haine en ligne).

Cette nouvelle législation repose sur la Convention d’Istanbul, un traité international destiné à prévenir et lutter contre les violences à l’égard des femmes.

Longtemps considérée comme un progrès pour les droits des femmes, ce texte est désormais contesté « par des groupes religieux conservateurs, des partis politiques de droite et des organisations nationalistes, » selon le European Consortium for Political Research, qui regroupe des chercheurs de plusieurs universités européennes. « Ces groupes prétendent que la Convention menace les structures familiales traditionnelles et les valeurs nationales. »

### Des contestations qui se poursuivent

Signe de cette évolution, le parlement letton a voté, il y a un mois, pour se retirer de la Convention d’Istanbul, dénonçant un traité qui fait la promotion d’un « féminisme radical fondé sur l’idéologie du genre ». Ce retrait constitue une première au sein de l’Union européenne.

Parallèlement, depuis l’apparition du mouvement MeToo, la manosphère critique l’intégration de la notion de consentement dans la définition pénale du viol dans de nombreux pays européens. Selon un décompte d’Amnesty International, 16 États membres, dont la Belgique, ont adopté ce type de législation au sein de l’Union européenne, la France en étant le dernier en date, en octobre dernier.

Ces modifications législatives sont perçues par les communautés masculinistes comme des attaques contre la sexualité masculine.

### Les femmes dans le monde du travail

D’autres législations européennes suscitent également l’ire de la manosphère. Il s’agit des mesures qui encouragent la participation des femmes sur le marché du travail, accusées de nuire à la natalité dans les pays européens.

Il est vrai que, depuis les années 60, les taux de fécondité ont chuté dans les pays de l’OCDE. En 2023, la moyenne de naissances par femme dans l’UE était de 1,38, allant de 1,06 à Malte à 1,81 en Bulgarie, selon Eurostat. L’âge moyen des mères lors de la première naissance a également augmenté, atteignant 31 ans en 2019 contre 29 ans en 2002.

Cependant, l’argument des masculinistes est faussé. L’enquête menée par Euranet+ montre que le chômage et le coût du logement sont les principaux facteurs influençant la fécondité. En 2023, la moitié des Européens âgés de 20 à 29 ans vivent encore chez leurs parents, contre seulement 45% en 2006, offrant une perspective plus réaliste de la situation.

Les législations ayant pour objectif d’améliorer l’égalité dans le travail, les revenus, ou de favoriser une plus grande représentation des femmes dans la politique et au sein des entreprises visent uniquement à corriger les discriminations envers les femmes.

Actuellement, la situation reste préoccupante. « En 2023, le taux d’emploi des hommes était de 80%, contre 70% pour les femmes, » souligne Linda Givetash, qui a réalisé l’étude pour les radios du réseau Euranet+. « En moyenne, cette année-là, les femmes gagnaient environ 12% de moins que leurs homologues masculins. »

### Une dynamique à changer

Le déséquilibre entre hommes et femmes se poursuit également en dehors du monde professionnel. « Nous avons constaté que les femmes ont beaucoup moins de temps libre et effectuent davantage de tâches non rémunérées que les hommes. En Grèce, par exemple, les femmes passent en moyenne 259 minutes par jour à la prise en charge de tâches non rémunérées, telles que le ménage ou le soin des enfants, contre seulement 95 minutes pour les hommes. »

Une valorisation du travail féminin profiterait à l’ensemble de la société. « La Commission européenne a estimé que la perte économique due à l’écart en matière d’emploi entre les sexes s’élevait à 370 milliards d’euros par an. »

Réduire ces disparités entraînerait des bénéfices économiques importants. L’Institut européen pour l’égalité des sexes prévoit qu’en 2050, cela pourrait augmenter le PIB par habitant de l’UE de 6,1 à 9,6%, soit entre 1,95 et 3,15 milliards d’euros.

L’autonomie financière des femmes pourrait également favoriser la natalité. Une étude sur les taux de fécondité des femmes en Belgique a démontré que l’emploi incitait davantage les femmes à avoir au moins un premier enfant, leur assurant une stabilité et la possibilité de quitter le foyer parental. Cet effet ne s’étend cependant pas à l’encouragement des femmes à avoir un deuxième ou un troisième enfant.

### Le modèle européen menacé ?

Il reste encore beaucoup à faire. Au rythme actuel, il pourrait falloir environ 60 ans pour atteindre une égalité totale entre les hommes et les femmes.

C’est ce que révèle le nouvel index de l’Institut européen pour l’égalité des genres, qui utilise divers indicateurs pour mesurer l’égalité hommes-femmes en Europe. Si la parité est fixée à 100, cet index s’élevait à 71 sur 100 l’année dernière, soit à peine 8 points de plus qu’en 2010.

Pourquoi les progrès sont-ils si lents ?

C’est d’abord une question de moyenne européenne. La situation à Chypre, dernier du classement, n’est pas comparable à celle de la Suède, qui est en tête, ou même à celle de la Belgique, classée 7e. Les mentalités n’évoluent pas au même rythme.

Par ailleurs, la montée de la manosphère à travers l’Europe pourrait également jouer un rôle dans ce ralentissement. Réduire l’écart entre hommes et femmes nécessitera donc des politiques plus ambitieuses, notamment grâce à une plus grande représentation féminine en politique (qui n’est que de 32% dans les gouvernements et parlements nationaux). Il faudra aussi renforcer le contrôle des discours sexistes omniprésents sur le web et sensibiliser les jeunes, qui semblent plus conservateurs aujourd’hui que leurs aînés.