La fripe, un produit en mutation entre luxe et solidarité ?
En 2024, Oxfam a collecté plus de 4000 tonnes de textiles, soit 11% de plus qu’en 2023. Selon Laurie Pazienza, « il y a suffisamment de vêtements pour habiller tout le monde, mais la mauvaise gestion provoque un gaspillage massif. »
« Autrefois, les dons étaient souvent de meilleure qualité. Actuellement, les bulles sont remplies de vêtements peu coûteux, abîmés, parfois invendables, ce qui complique le tri et augmente les coûts de traitement, » déclare Belinda Torres Leclerq, coordinatrice média pour Oxfam. La campagne ‘Infinity Collection’ lancée par l’ONG répond à une urgence double, ajoute-t-elle : « d’un côté, nous faisons face à la concurrence de la fast-fashion et des plateformes comme Vinted. De l’autre, il existe toujours des dons de haute qualité, capables de financer l’action sociale. »
Offre haut de gamme et accès des publics précaires

La présence de vêtements coûteux dans les rayons soulève des questions sur une possible exclusion. Selon Belinda, « ces collections complètent l’offre existante et ne remplacent pas les magasins solidaires à petits prix. Elles accroissent la visibilité et attirent de nouveaux publics, ce qui peut profiter indirectement aux boutiques classiques. » Elles représentent également un levier financier immédiat, alors que les besoins augmentent et que les solutions publiques peinent à se développer.
En 2024, Oxfam a enregistré plus de 4000 tonnes de textiles, ce qui correspond à une augmentation de 11 % par rapport à 2023. Pour ce qui est du tri des vêtements, l’ONG en a sélectionné 1600 tonnes… Soit 400 tonnes de plus que l’année précédente.
La fripe entre désirabilité et raréfaction
La seconde main a connu une évolution en Belgique, comme ailleurs : elle est devenue un marché attractif au-delà d’un simple filet de sécurité sociale. Des boutiques vintage spécialisées, des friperies « tendances » et des plateformes en ligne ont rendu certaines pièces recherchées, et donc plus coûteuses. Des études soulignent ce phénomène d’embourgeoisement. Pour les classes favorisées, la friperie est désormais perçue comme un loisir et un objet à la mode. En revanche, pour les classes populaires, elle représente souvent l’un des derniers moyens d’accès à des biens essentiels. Avec la multiplication des canaux de revente, la quête de bonnes affaires se fait parfois au détriment de l’offre accessible pour les plus démunis.

Elisa Korpak est créatrice d’une friperie bruxelloise. Selon elle, « il y en a pour tous les goûts, tous les budgets et tous les milieux. Depuis une dizaine d’années, il est clair que des friperies orientées ‘luxe’ émergent avec des sélections très pointues : il s’agit souvent de pièces vintage, plus anciennes, de qualité supérieure et aux coupes raffinées, ce qui explique des prix plus élevés. »Elisa met en avant que, par contraste, la seconde main reste plus accessible et elle contient de nombreux articles issus de la fast fashion. « Il faut faire la distinction entre Vintage et seconde main : le premier est recherché, rare et valorisé, la seconde remplit davantage une fonction quotidienne. »
Mauvaise gestion et fuite des ressources
Plusieurs acteurs pointent, quant à eux, des causes structurelles. Laurie Pazienza, ingénieure en énergie et changement climatique, souligne un tri insuffisant en raison de la pénurie de moyens, une sensibilisation des donneurs à renforcer et des infrastructures inadaptées.
« Il est vrai que la tendance vers le Vintage, la friperie est généralement positive, » explique Laurie Pazienza. « Cela montre que les gens repensent leurs habitudes de consommation vers la seconde main, ce qui est très intéressant. »
Elle insiste sur le fait qu’« il existe suffisamment de vêtements pour habiller tout le monde, mais la mauvaise gestion entraîne un gaspillage massif. Une part significative des articles jugés invendables est exportée vers des pays comme le Ghana, ce qui pose des problèmes environnementaux et économiques, parfois qualifiés de néocolonialisme. Les associations sociales réclament plus d’investissements publics pour améliorer le tri, organiser les filières et mieux informer les citoyens sur la qualité des dons. »
C’est ce que l’une de nos enquêtes récentes d’Investigation a pu démontrer.
Seconde main : sur la piste de nos vieux vêtements
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Quelles pistes pour préserver la justice sociale ?
« En gros, la capacité de la seconde main à rester un levier de justice sociale dépend d’arbitrages publics et associatifs. », remarque Laurie Pazienza. « Il faut investir dans des systèmes de tri performants, soutenir les structures de collecte par des soutiens stables et mieux informer les donneurs pour limiter l’arrivée d’articles hors d’usage. »Il est également nécessaire de mieux contrôler les exportations et de tracer les filières afin d’éviter que des vêtements invendables ne deviennent un problème écologique ou social à l’étranger. »
La seconde main semble ainsi être devenue un objet hybride, à la fois « marché, culture et outil écologique et solidaire. » Si certaines pièces prennent de la valeur sans restreindre l’accès aux offres solidaires, la friperie pourra demeurer à la fois désirable et accessible. « L’équilibre se jouera surtout sur la qualité du tri, la régulation des filières et des modèles économiques qui financent l’action sociale, » conclut Laurie Pazienza.
Interview de Laurie Pazienza
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