La baisse de la déductibilité fiscale des dons sera un coup (très) dur pour la philanthropie
Le secteur philanthropique, déjà soumis à de fortes pressions, voit avec inquiétude la réduction de la fiscalité sur les dons orchestrée par l’Arizona. Une décision dont l’impact sera significatif, tant sur le volume des donations que sur l’emploi. « Un repli des donations de 10 à 20 % est attendu », prédisent les experts du secteur, qui pèse pas moins de 5 % du PIB, emploie 550 000 personnes et bénéficie chaque année de plus de 350 millions d’euros en dons.
- Publié le 21-03-2025 à 06h36
- Mis à jour le 21-03-2025 à 08h23

Si une mesure frappe de plein fouet le monde associatif, c’est bien celle-ci. D’abord esquissée dans la super note d’août 2024 du futur Premier ministre Bart De Wever, la réduction de la déductibilité fiscale des dons (de plus de 40 euros) de 45 à 30 % prendra effet rétroactivement au 1er janvier 2025, malgré une première échéance envisagée pour 2026. Cette rétroactivité est une nécessité budgétaire invoque la majorité : l’État, en quête de ressources, a déjà intégré un rendement de 40 millions d’euros dans ses prévisions de cette année.
Interrogé en séance plénière le mercredi 13 mars par Pierre-Yves Dermaqne (PS) sur l’impact de cette mesure, le ministre des Finances Jan Jambon (N-VA) a rappelé « l’état catastrophique dans lequel la coalition Vivaldi a laissé les finances de ce pays : avec un trou de 23 milliards d’euros ! Notre réforme fiscale de plus de 6 milliards d’euros vise à augmenter le pouvoir d’achat et à renforcer notre compétitivité. Il n’est pas agréable de communiquer la suppression de nombreuses déductions, exonérations, exceptions. Mais globalement, notre réforme fiscale entraîne une baisse de charges de 1,5 milliard d’euros, et donc à terme une baisse générale des impôts. Nous assurons la viabilité financière du système de sécurité sociale« .
Un tiers du financement concerné
Certes. Mais la décision n’est pas anodine au regard du nombre impressionnant de donateurs en Belgique. « Sur la base des statistiques de 2023, on compte environ un million de donateurs en Belgique. Et quelque 2,5 millions d’attestations fiscales ont été délivrées cette année-là« , explique Eric Todts, président de la Fédération belge des Fondations Philanthropiques (FBFP-BFFS). Le don moyen par attestation s’élève à 140 euros, tandis que les ménages contribuent à hauteur de 300 à 350 euros par an. Une manne financière non négligeable pour le secteur. « Cela constitue surtout 25 à 30 % des rentrées financières des institutions sans but lucratif (ISBL), précise Eric Todts. La moitié provient en moyenne de subventions publiques, et le solde, quelque 20 %, de recettes diverses, issues notamment de la vente de produits ou de services. » La réduction du taux de déductibilité fiscale des dons supérieurs à 40 euros, passant de 45 % à 30 %, constitue une nouvelle d’autant plus préoccupante pour le monde associatif qu’elle envoie un signal négatif à la société civile et aux donateurs. « Au-delà des chiffres, c’est un message désastreux adressé à plus d’un million de citoyens engagés« , déplore Cécile Coune, présidente de la Ethische Fondsen Werving (EF-RE). « Les dons, quel que soit leur poids dans le budget d’une ISBL, sont souvent la seule source de financement réellement libre pour les associations et les fondations. Nous fonctionnons tous avec des budgets extrêmement serrés et un recours massif au bénévolat.«
D’autres mesures par le passé
Les 2600 ISBL agréées en Belgique, seules habilitées à délivrer des attestations fiscales, subissent déjà de fortes contraintes. Ces dernières années, la baisse des subventions publiques et les coupes sévères dans la coopération internationale ont durement affecté leurs finances. À cela s’ajoute un alourdissement des obligations administratives : une loi votée en décembre 2023 impose désormais aux ISBL agréées de collecter le numéro de registre national des donateurs sous peine de ne pouvoir délivrer d’attestation fiscale. « Cela n’a l’air de rien, mais c’est du temps – et donc de l’argent – que nous ne pouvons consacrer à l’aide sociale« , souligne Erik Todts. L’augmentation des coûts de distribution des publications, conséquence de la perte de la concession de Bpost, vient encore alourdir la facture. Conçue initialement pour faciliter le pré-remplissage des déclarations fiscales, cette obligation administrative n’est qu’une contrainte supplémentaire dont le secteur se serait bien passé. L’impact sur les donations se fera sentir. « Même si la baisse de la déductibilité ne sera pas immédiatement visible, nous anticipons un recul de 10 à 20 % des donations dans un avenir proche. C’est mon avis personnel, qui rejoint ce que nous observons sur le terrain. Un tel recul ne pourra pas rester sans conséquences« , s’inquiète le président de la FBFP.
L’emploi trinquera
Les répercussions ne se limiteront pas aux chiffres : l’emploi lui aussi en pâtira. La Banque nationale (BNB) n’a pas encore mis à jour les données du secteur mais, en 2020, celui-ci représentait 5 % du PIB (soit 27 milliards d’euros aujourd’hui) et environ 550 000 emplois. « Alors que le gouvernement ambitionne un taux d’emploi de 80 %, il adopte une mesure qui aura inévitablement des conséquences, bien que difficiles à chiffrer à ce stade. Et cet impact ne sera pas seulement économique, il sera aussi sociétal« , alerte Erik Todts. Ce d’autant plus que la société belge est en pleine mutation démographique, avec un vieillissement de la population qui accentue les besoins en services sociaux et d’accompagnement. À ceux qui justifient cette mesure par le niveau élevé des dépenses publiques (55 % du PIB en 2024), Erik Todts oppose un argument de poids : « Cette action sociale complète celle de l’État, en toute indépendance, et ne doit pas s’y substituer. La direction prise par le gouvernement va dans le sens d’une privatisation de l’aide sociale, ce que nous déplorons vivement. Cette mesure risque d’accélérer la fracture sociale et de renforcer une société à deux vitesses.«
Les conditions de la déduction fiscale des dons
Quelque 2,5 millions d’attestations ont été émises pour l’exercice 2024, représentant un total de plus de 350 millions d’euros en donations. Toutefois, toutes ne sont pas éligibles à la déduction fiscale. Seules certaines institutions peuvent délivrer des attestations fiscales : *Les ISBL agréées (ASBL, ASBL internationales, fondations privées philanthropiques) – 2600 entités *Les fondations d’utilité publique – 660 entités en Belgique *Les institutions d’utilité publique (musées, académies, etc.) – une centaine *Les CPAS – 580 institutions *Les entreprises de travail adapté – 150 structures En tout, environ 4100 institutions du secteur associatif bénéficient de cette reconnaissance officielle. Mais à quelles conditions ? Un arrêté royal en fixe les modalités. D’abord, l’ISBL doit œuvrer dans un domaine bien spécifique : recherche scientifique, protection de l’environnement, aide aux victimes de guerre, soutien aux personnes handicapées ou âgées, assistance aux mineurs protégés, indigents, victimes de calamités naturelles en Belgique ou dans les pays en développement, refuges pour animaux, etc. Ensuite, la demande d’agrément, minutieusement documentée, doit être soumise au SPF Finances. Une équipe spécialisée délivre ensuite l’agrément, dont la durée de validité évolue : deux ans pour une première obtention, quatre ans pour un deuxième renouvellement, puis six ans à partir du troisième. La réforme en cours risque donc d’avoir des conséquences profondes, tant pour les bénéficiaires que pour l’ensemble du tissu associatif belge.
Les secteurs se fédèrent, devant l’ampleur du problème
Publié en novembre 2024, le baromètre des associations de 2024 ressemble déjà à un gros cri d’alarme du secteur. Basée sur 701 répondants (à un entretien téléphonique), l’enquête montre que la situation financière du secteur n’est pas réjouissante, même si elle n’est pas aussi catastrophique qu’en 2022, en pleine crise sanitaire. Une association sur trois n’a d’ores et déjà pas de réserves, et encore le secteur est-il moins pessimiste que lors de la crise « Covid » pour les 12 prochains mois. Mais ce baromètre a été réalisé avant la publication de l’accord de gouvernement, qui acte la rétroactivité de la mesure au 1er janvier 2025.
Devant l’ampleur du problème à venir, le secteur se mobilise. « Avec d’autres fédérations et associations nous avons formé la CoalitionImpact qui se veut un point central de dialogue, d’advocacy et d’information sur les ISBL (Institutions Sans But Lucratif), tant les fondations que les ASBL (www.coalitie-impact-coalitie.be) », explique Cécile Coune.