Belgique

Journalistes et politiques : amis ou ennemis ?

Les journalistes reçoivent de nombreuses informations, notamment des communiqués de presse et des conférences de presse, qui les aident à traiter l’actualité politique. Thomas Gadisseux souligne qu’il existe un rapport de tension permanent entre les médias et les politiques, en raison de la proximité instaurée par leurs interactions fréquentes.


Quand on couvre l’actualité, les journalistes reçoivent de nombreuses informations directement : communiqués de presse, opérations de communication, conférences de presse, etc. Cela est particulièrement vrai pour l’actualité politique, où les différents partis et représentants tentent de faire passer leurs messages. Le travail du journaliste politique consiste donc à naviguer entre des élus qui mettent en avant leurs thèmes de prédilection et la nécessité de se renseigner sur des dossiers précis auprès de ces mêmes élus. « Il y a des informations qu’on a, nous, et qu’après, on vérifie, on fait commenter par le politique, on décode. Et puis parfois, effectivement, ils viennent vers nous en proposant soit une interview ou en disant : ‘j’ai tel projet qui va aboutir ou je refonde mon parti’. Et donc, à ce moment-là, on accepte ou on n’accepte pas. » Cette affirmation provient d’une journaliste du Soir, qui confirme que les refus d’interviews sont fréquents.

Cette interdépendance entre journalistes et hommes politiques crée des relations particulières. En effet, une proximité s’installe au fil des échanges et des appels. « Prendre de la distance par rapport à ça, c’est aussi perdre une partie d’info, » souligne Thomas Gadisseux. « Maintenant, il faut juste rappeler quel est le rôle de chacun, avec les règles qui enrichissent à la fois notre profession de journaliste, mais aussi les responsabilités, les devoirs du monde politique face à nous, et quels sont les liens de dépendance qu’on a. »

Celui qui réalise l’interview politique chaque matin sur La Première confie, par exemple, tutoyer plusieurs représentants politiques. Comme dans n’importe quelle relation humaine, cela découle des contacts fréquents. Cependant, il ne se considère pas proche de ces personnes : « Je crois que c’est surtout la question de distance qu’il faut questionner. » Il met également en garde contre le respect excessif et l’admiration pour le monde politique : « Je n’ai pas de fascination pour ce monde-là. Et c’est ça qui est ma jauge. À un moment donné, quand on a une fascination, qu’on espère être de l’autre côté du miroir, là, on perd cette distance. »

En revanche, Martine Dubuisson préfère le vouvoiement avec la majorité de ses interlocuteurs, afin de maintenir une distance professionnelle. Même si, elle admet qu’au fil des années, une certaine proximité se tisse avec certains élus : « C’est une relation humaine et une relation qui est basée sur la confiance. Et cette confiance, elle se construit au fur et à mesure des années. C’est un équilibre qui n’est pas nécessairement facile à trouver, mais qu’on peut trouver, bien entendu. Moi, il y a des hommes politiques ou des femmes politiques que je connais depuis 20 ans. Donc, évidemment, ce n’est pas la même chose que si je vais discuter avec un nouveau venu ou une nouvelle venue en politique. »

Les journalistes et les politiques se rencontrent également lors de dîners informels, qui représentent une source précieuse d’informations. « Si on veut plus d’insides, de coulisses, c’est clair qu’il faut prendre le temps. Et ça peut se faire autour d’un déjeuner, par exemple, où on va apprendre déjà à mieux connaître la personne. On va avoir plus de temps pour discuter avec elle, connaître plus facilement les dessous d’une décision, d’une situation politique particulière. Oui, ça nous apporte beaucoup de ce qu’on appelle le ‘off the record’ en politique, c’est-à-dire tout ce qui nous permet de comprendre un contexte général pour pouvoir, à un moment donné, écrire quelque chose de pertinent sur une situation, » explique Martine Dubuisson.

Les relations entre journalistes et politiques peuvent aussi être sources de tensions. Si un article ou une émission ne satisfait pas un homme politique, il ne manquera pas de le faire savoir au journaliste. Thomas Gadisseux considère cela comme un gage d’équilibre : « Quand tout le monde râle, c’est que ça va plus ou moins. […] Si on irrite certains, c’est qu’en fait, on va peut-être gratter là où on devait gratter, ou questionner ce qui doit être questionné. Il faut assumer qu’il y a un rapport de tension permanent entre médias et politiques, vu toute la proximité qu’on a évoquée. »

En revanche, un phénomène plus récent est l’hostilité du monde politique envers les médias, tant au niveau national qu’international : « À partir du moment où le monde politique nous désigne comme un adversaire, dans l’opinion publique, on devient nous-mêmes des personnages dans le jeu politique. Et c’est ça qui nous perturbe pour l’instant. On fait tous des introspections et on est tous en questionnement là-dessus parce que ça change les règles et les rôles de chacun. »

Martine Dubuisson met également en lumière une dérive croissante : le boycott de certains journalistes ou médias. « Quand on est ministre, par exemple, on est au service de la population, on n’a pas à boycotter un canal d’information ou un autre. On peut exprimer son mécontentement, […] si on estime avoir un problème avec un journaliste ou un média, on en parle, mais on ne boycotte pas. » Le responsable du service politique de la RTBF souligne la difficulté d’obtenir des interviews avec certaines personnalités, comme Jan Jambon ou Bart De Wever, alors qu’ils sont au cœur des réformes qui secouent le pays. Le Premier ministre a verrouillé sa communication : plus d’interviews, plus de conférences de presse. « C’est quand même assez hallucinant. […] C’est une manière d’imprimer l’agenda politique lui-même et de réinstaurer un pouvoir sur les médias, » s’inquiète Thomas Gadisseux.