“Je suis musulman, j’ai des frères, mais je ne suis pas Frère musulman”, confie Fouad Ahidar

Interviewé ce jeudi soir sur LN24, dans l’émission Bonsoir Le Club, le président de la Team Fouad Ahidar (TFA) est revenu sur l’idée d’avoir une coalition de gauche à la tête de la région bruxelloise. Il a aussi parler de son rapport avec d’autres partis et des accusations portées à son encontre.
- Publié le 05-06-2025 à 19h54
- Mis à jour le 05-06-2025 à 20h24
Fouad Ahidar a créé la surprise aux dernières élections régionales. Créé quelques mois à peine avant le scrutin, le parti a réussi à rafler trois sièges au parlement bruxellois, faisant de lui la deuxième force de négociation du côté néerlandophone. Qu’en pense le premier concerné ?
Le socialiste Ahmed Laouej tente de former une coalition de gauche pour gouverner la région bruxelloise. Elle inclurait le PS, le PTB et Ecolo côté francophone, Groen, Vooruit, Team Ahidar pour les néerlandophones Quelles chances donnez-vous à cette initiative ?
« Je pense qu’il y a du sérieux. Les six partis étaient présents à la réunion, ils n’étaient pas obligés d’être là mais ils sont venus. C’est un bon signal. On a reçu une note de dix pages qui tient la route, avec un plan financier pour les cinq à dix prochaines années. Il ne s’agit pas d’une seule réunion, il y a eu plusieurs rencontres et bilatérales avant. Ahmed Laoueej ne fait pas n’importe quoi – c’est quelqu’un qui prend des risques mesurés. Si Écolo dit oui, je pense qu’il y a une grande chance que ça se fasse. »
Avez-vous des prétentions ministérielles ? Si la gauche parvenait à former un gouvernement, aimeriez-vous y prendre part ?
« On va d’abord regarder ce qu’on nous propose. Si ce qui est sur la table est acceptable, on ira. Le logement m’intéresse particulièrement – c’est un des points les plus importants à Bruxelles. Les gens ont de plus en plus de difficultés pour se loger, même ceux qui travaillent et gagnent 2 000 euros par mois. »
La note du MR est-elle crédible à vos yeux ?
« Je ne sais pas, je ne l’ai pas lu puisqu’on considère qu’on n’a pas le droit de l’avoir. »
Ils ne vous l’ont pas transmise ?
« Non. »
Vous ne communiquez pas avec le MR ?
« Ce n’est pas qu’ils ne communiquent pas, ils communiquent avec nous au Parlement. J’ai beaucoup de relations positives avec beaucoup de collègues MR au Parlement. On s’entend, on rigole, on discute, on échange. On parle même parfois de co-signer des textes. Seulement, il y a un MR à Bruxelles et un MR au niveau fédéral. Si le MR bruxellois s’occupait lui-même des négociations à Bruxelles, je pense que ça avancerait beaucoup plus facilement. »
Georges-Louis Bouchez, président du MR, ne mâche pas ses mots quand il parle de la Team Fouad Ahidar. Il a des mots très durs vis-à-vis de vous-même et de votre parti. Il a carrément mis une exclusive contre vous. Comment le vivez-vous ?
« Je le vis très bien, je n’ai aucun problème. Je pense que lui, il le vit très mal parce qu’il se lève le matin avec moi et il s’endort avec moi. Chaque fois que je vois la télévision, je vois un journal : Team Fouad Ahidar, Team Fouad Ahidar… Je ne sais pas pourquoi. Il ferait peut-être mieux de poser la question à ceux qui sont autour de la table et qui nous connaissent. J’étais content de voir David Leisterh se dire qu’avec Fouad Ahidar, on pourrait travailler. [Contacté après l’interview, le porte-parole de David Leisterh réfute l’existence de ces propos. NdlR] Il y a David Leisterh à la région de Bruxelles-Capitale et malheureusement, il y a un membre du fédéral qui vient du fin fond de Mons et qui pense qu’il sait tout à Bruxelles. Il devrait peut-être se dire : laissons les Bruxellois s’occuper de ces affaires-là. »
Politiquement, où se situe la Team Fouad Ahidar ?
« C’est difficile de se placer sur l’échiquier gauche-droite. Les Bruxellois veulent des solutions à leurs problèmes. Quand on parle de sécurité et de propriété – des thèmes que je considère très importants – certains me disent que ce sont des thèmes de droite. Plus de 60 % de nos élus sont des entrepreneurs ou des indépendants. Nous avons 4 parlementaires et 30 élus communaux. On dit toujours que les indépendants sont plus à droite, mais ici on a des gens positifs qui veulent un projet pour Bruxelles. »
Quel est donc l’ADN de votre parti ?
« La justice sociale est pour moi le plus important. Les gens disent souvent « parti communautaire », mais nous sommes un parti inclusif. On veut que tout le monde participe. Je suis fier d’être musulman, je n’ai aucun problème avec ça. Il y a une partie de la communauté musulmane qui demande simplement le droit de pouvoir travailler et participer à l’économie de la capitale. Mais quand je travaille sur la sécurité, je parle pour tous. Quand je parle de propriété, je parle pour tous. »
Vous avez été élu sur une liste néerlandophone grâce à des voix compte-doubles francophones. Ce qui met en lumière une faille dans le système électoral bruxellois. Faut-il revoir son fonctionnement ?
« J’ai toujours été pour des listes bilingues avec des représentants minimums pour les néerlandophones. Ce clivage entre Flamands et francophones à Bruxelles, à un moment donné ça suffit. Le débat est ouvert et il faut le faire. Nous avons fait une liste bilingue avec des francophones et des néerlandophones. Ce sont les Bruxellois qui ont décidé. Pour les prochaines élections en 2029, le but c’est de faire des listes aussi bien francophones que néerlandophones, comme le modèle du PTB. »
Pourriez-vous travailler avec la N-VA ?
« Le problème, c’est leur programme. C’est la fin de la Belgique, l’indépendance de la Flandre. S’ils retirent cette phrase-là, on pourra discuter. Mais on ne peut pas s’associer avec des gens qui nous disent que pour eux la Belgique n’existe pas. Ceux qui sont à Bruxelles ne sont toutefois pas ceux qui sont au niveau fédéral. Avec Cieltje Van Achter [ancienne cheffe de groupe au parlement bruxellois, aujourd’hui ministre NdlR], par exemple, on s’est très bien entendu, on a collaboré au niveau de la VGC. S’ils respectent la région Bruxelles-Capitale comme une région à part entière, je n’ai aucun problème. Sur le plan socio-économique, il y a des points sur lesquels on peut travailler. Les indépendants, c’est le moteur de l’économie. »
La note du MR prévoit un arrêt de la construction du logement social. Votre position ?
« Ce n’est pas possible. On ne doit pas appeler spécialement le logement social, il faut que ce soit abordable. Aujourd’hui, des gens qui travaillent et gagnent 2 000 euros par mois n’arrivent pas à trouver un logement payable à Bruxelles. Il faut construire du logement, mais il faut déjà garantir que les 22 000 logements inoccupés à Bruxelles soient utilisés. Il faut mettre des arrêts clairs : soit vous réparez vos logements et les mettez sur le marché locatif, ou bien on passe par les AIS et c’est la région qui gère. »
Quelle est votre position sur le port de signes religieux dans la fonction publique ?
« La seule chose qui doit être neutre, c’est le service rendu à la population. Il n’y a personne qui est neutre. Nos policiers portent tous le même uniforme, et pourtant, certains agissent correctement, d’autres pas. Ce qui m’intéresse, c’est la neutralité du service qui doit être rendue. Des policières voilées, ça existe en Angleterre. Ça marche, ça fonctionne, et ça ne pose aucun problème. Mais il faut savoir une chose : il n’y a personne qui est au-dessus de la loi. La loi doit être respectée. »
À partir de quel âge les filles devraient pouvoir porter le voile à l’école ?
« À partir de 16 ans. Pas avant le secondaire. »
Et celui qui demande à sa fille de 7, 8 ans de porter le voile, que lui dites-vous ?
« Je n’ai pas d’opinion là-dessus, et je ne rentre pas là-dedans. »
Les enseignants devraient pouvoir porter le voile ?
« Je pense qu’il n’y a pas de souci. Celui qui veut porter le voile peut le porter. Celui qui veut porter la kippa porte la kippa. Celui qui veut porter une chaîne avec une croix… Le plus important pour moi, c’est qu’il soit neutre dans le service rendu. »
La neutralité de l’État a été mise en place pour pouvoir créer une séparation entre ce qu’on considère comme l’Église, en tout cas le religieux, et l’autorité, l’État. Estimez-vous que cette séparation devrait disparaître ?
« Je suis pour la séparation de l’État et de l’Église. Je l’ai toujours répété. Sauf qu’à un moment donné, on voit bien que l’État se mêle de tout. Il se mêle de ce que tu peux manger, de comment tu dois t’habiller, si tu as le droit de faire la circoncision. Effectivement, il y a une liberté de culte. Simplement, laissons les gens travailler. Mais c’est l’État qui s’immisce. Pour nous, l’État doit mettre des garde-fous pour justement permettre aux gens de croire ou de ne pas croire. Et d’être clair à ce niveau-là. En tant que parti inclusif, nous défendons le droit de croire ou de ne pas croire. »
L’idée derrière la séparation est que la religion reste cantonnée à la sphère privée et qu’elle ne dirige pas la décision publique.
« Mais elle ne doit pas diriger le public. »
On a beaucoup parlé du rapport sur les Frères musulmans ces dernières semaines. Êtes-vous Frère musulman ?
« Je suis musulman, j’ai des frères, mais je ne suis pas Frère musulman. Je ne sais même pas ce que c’est exactement. Je suis un citoyen bruxellois, un citoyen belge qui travaille sur les thèmes que les Belges et les Bruxellois veulent. Je suis un parti inclusif qui travaille pour toutes les communautés. Ce que je veux, c’est le bien-être des Bruxellois. »
Comment qualifiez-vous ce qui se passe à Gaza ? Le veto des États-Unis sur un cessez-le-feu ?
« C’est indescriptible. J’ai été 8 fois sur place dans le cadre de missions humanitaires. C’est très grave ce qui se passe là-bas. Le monde entier demande la paix et il y a un pays qui dit non et met son veto. Il faut qu’on trouve une solution, on ne peut pas continuer comme ça. Quand un gouvernement commet des injustices, il faut le condamner. »
Comment éviter d’importer le conflit en Belgique ?
« Avant toute chose, je précise que je condamne toutes les formes d’antisémitisme. Pour que ça change, il faut que nos gouvernements bougent. Si les instances internationales prenaient leurs responsabilités, il n’y aurait pas des gens pleins de frustration dans les rues. »
En novembre 2023, dans une interview accordée à la chaîne Zinneke TV, vous aviez indiqué que la communauté juive s’est créé un État sur un territoire qui ne lui appartient pas. Et que les Allemands n’auraient qu’à leur donner une partie de l’Allemagne. Reconnaissez-vous le droit à Israël d’exister ?
« Tout à fait. J’y suis allé plusieurs fois. Il n’y a pas de souci. Mais il faut un État palestinien indépendant. Le jour où on reconnaîtra l’État de Palestine, les choses vont avancer. L’Espagne a avancé, l’Irlande aussi. »
Le Hamas peut-il diriger un État palestinien ?
« Le Hamas, ce n’est qu’une partie des forces en présence. Il y a le Fatah et le Hamas. Aujourd’hui, l’intermédiaire doit être le Fatah. Pour moi, il doit y avoir deux États. »
Considérez-vous le Hamas comme un groupe terroriste ?
« Le Hamas a été élu démocratiquement. Pour moi, ce sont des résistants face à des attaques que les Palestiniens subissent depuis 75 ans. Les Nations Unies sont claires : à partir du moment où on est colonisé, qu’on crée l’apartheid, ces gens ont le droit de se défendre. »