Belgique

”J’avais l’impression qu’on en voulait à mon argent”: au PTB, les militants sont tenus de verser chaque mois une partie de leur salaire

Ce n’est cependant que la face visible d’une réalité bien plus large et nettement moins martelée. À l’instar des élus, de nombreux militants versent chaque mois au parti une partie substantielle de leurs revenus.

Un chiffre permet de cerner l’ampleur du phénomène. En 2021, le PTB a récolté 2,1 millions d’euros en cotisations de ses membres et militants, selon les comptes du parti de gauche radicale publiés par la Chambre. Ce chiffre n’englobe pas le montant des rétrocessions des élus.

Moins de militants, plus de cotisations

La même année, le MR et le PS n’ont récolté respectivement que 417 000 et 395 000 euros. Ces deux partis comptent pourtant un nombre de militants plus important que le PTB. Le MR en déclare 30 000, pour 24 000 au PTB, tandis qu’il est a priori plus élevé au PS (qui n’a pas communiqué ses chiffres).

« Fonctionnement sectaire », « pression financière » et sur les héritages: d’anciens membres du PTB témoignent

Un membre ou militant du Parti du travail de Belgique contribue donc en moyenne bien davantage que ceux de tous les autres partis.

Le PTB connaît depuis 2014 des succès électoraux spectaculaires (12 députés à la Chambre depuis 2019). Cela a entraîné une hausse importante de sa dotation publique (5,8 millions d’euros par an). Mais cela ne doit pas faire oublier que, depuis sa création, dans le giron du mouvement étudiant flamand Alle macht aan de arbeiders (AMADA) et pendant 50 ans, le PTB a dû principalement compter sur les moyens financiers de ses membres. Le parti le revendique, cela constitue son ADN. Mais la façon dont le parti d’inspiration maoïste fait contribuer ses membres ne fait par contre pas l’objet d’une forte communication. C’est un euphémisme. Le fonctionnement interne du PTB, unique en son genre, n’est que très peu connu.

J’avais l’impression qu’on en voulait à mon argent au sein du PTB, se souvient Philippe Defrise, ancien président du PTB à Châtelet, débauché par le PS en 2018. Ils étaient intrusifs. On vous fait comprendre que si vous voulez avoir un avenir dans le parti, il faut passer par là et contribuer financièrement. Personnellement, plus j’ai avancé dans le parti, plus je me suis dit : c’est le fonctionnement d’une secte.”

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“Le PTB a un côté plus sectaire que d’autres partis. Il a une dimension très communautaire : on édifie une petite contre-société PTB. Ils vivent très forts dans l’entre-soi »

Le terme de “secte”, ou “sectaire”, est revenu dans le vocable de plusieurs anciens membres. “Le PTB a un côté plus sectaire que d’autres partis, analyse Pascal Delwit, politologue à l’ULB et auteur de “PTB, nouvelle gauche et veilles recettes. Il a une dimension très communautaire : on édifie une petite contre-société PTB, reproduisant la logique de piliers : le Comac (NdlR, mouvement étudiant), Marianne (NdlR, mouvement de femmes), Intal (NdlR, organisme international), les maisons médicales, les Pionniers (NdlR, mouvement de jeunes), les moments festifs comme la Manifiesta… Ils vivent très forts dans l’entre-soi, plus que dans d’autres partis, en particulier les cadres, les dirigeants et les militants, même si ce n’est pas total. Il y a aussi une facette liée à la reproduction des thèses du parti. Il est possible de débattre en interne, mais à l’externe, on porte exclusivement la parole du PTB.”

Le PTB n’interdit plus à ses militants d’être propriétaires ou de toucher un héritage

”Il y a, pour chaque militant, une obligation de donner une partie de son salaire”

”Il y a, pour chaque militant, une obligation de donner une partie de son salaire, mais le montant est variable”, précise Karl Boulanger, ancien militant et ex-président de la section du PTB à Jambes, qui a lui aussi rejoint le PS. “Le parti décrète un salaire mensuel avec lequel on peut vivre normalement (NdlR : le montant de référence). Tout ce qui est supérieur à ce montant doit en théorie, quand on est militant, être rétrocédé au parti. Mais en pratique, le militant à une marge de manœuvre”, reprend Karl Boulanger.

La Libre a ainsi pu mettre la main sur “une fiche d’engagement du militant”, daté de 2016. Par ce document, le militant s’engage à payer une cotisation mensuelle au PTB. Il doit notamment indiquer le montant de ses revenus mensuels, ce qui permet de calculer un “montant de référence”, sorte de seuil au-delà duquel il faut contribuer.

Fiche financière d'engagement du militant PTB.
Fiche financière d’engagement du militant PTB. ©D.R.

Ce montant était alors fixé à 1 530 euros nets par mois pour un isolé, mais seulement 1 140 euros pour un cohabitant (1 240 pour un cohabitant avec voiture). Le fait d’avoir un jeune enfant à charge permet de conserver 110 euros de plus, 145 euros s’il a 6 ans et jusqu’à 485 euros pour un étudiant en kot.

L’inflation est, depuis, passée par là. Le parti a par ailleurs grandi, s’ouvrant à un plus grand nombre de membres et d’élus, et le montant a été assoupli.

”Le montant de référence s’élève aujourd’hui à entre 2 200 et 2 400 euros nets”

”Le montant de référence s’élève aujourd’hui à entre 2200 et 2400 euros nets”, précise Germain Mugemangango.

Soyons précis : un militant, au PTB, n’est pas un simple membre ou sympathisant. Le statut correspond déjà à un niveau élevé d’implication en interne.

Au pied de la pyramide se trouvent les membres consultatifs. Ils paient 20 euros par an.

Les membres un peu plus motivés peuvent se voir élevés au grade de membre de groupe, à condition de verser 5 euros par mois.

Enfin, un membre très impliqué peut devenir militant. Cela implique de se rendre à des formations durant plusieurs samedis, à Waterloo, dans une sorte d’université marxiste où sont enseignés les fondements de la doctrine. L’aspirant peut y suivre des modules sur l’impérialisme, la stratégie du changement, le socialisme 2.0 ou la conception du parti, avec des cours d’économies dispensés notamment par Gérard Mugemangango, le frère de Germain.

Une fois cette formation accomplie, le camarade doit s’engager par écrit et sur le plan financier.

Le militant peut ainsi s’engager, en cochant une case, à remettre au parti 100 % du solde entre ses revenus et son montant de référence, ou indiquer dans une case un pourcentage moindre. De son choix ?

Un document interne au parti que la Libre a pu consulter limitait la marge de manœuvre en indiquant que “des militants peuvent choisir de payer moins que les 100 % de cette différence” mais que “pour éviter une trop grande inégalité, le minimum est de 50 %. (voir point 4)”

Règlement interne du PTB
Règlement interne du PTB ©Règlement interne du PTB

Pour une personne isolée, sans voiture, qui dispose d’un revenu de 2 530 euros nets par mois, la cotisation s’élevait donc à 1 000 euros par mois. Mais une rétrocession limitée à 500 euros pouvait en théorie être tolérée.

Selon Germain Mugemangango, la règle qui contraint à reverser au PTB tout ce qui excède le seuil de référence “ne concerne que les cadres, membres du Conseil national”.

Dans plusieurs témoignages collectés par La Libre, de même que dans le document interne datant de 2016, il apparaît pourtant que la règle vaut potentiellement pour chaque militant.

”Notre système dépend du niveau d’engagement”

Ce document n’est plus d’actualité. Notre système dépend du niveau d’engagement”, conteste Germain Mugemangango qui assure que ces règles ne sont “pas contraignantes pour les candidats militants”. “Un militant, c’est-à-dire un membre qui assume une responsabilité dans le PTB, comme la direction d’une section communale par exemple, s’engage un peu plus financièrement. Avec une cotisation qui varie donc de 5 euros à 30 ou 50 euros par mois. Dans les partis traditionnels, plus on monte dans les structures de direction, plus on gagne d’argent. Dans notre parti, ce n’est pas le cas, précise le chef de groupe au Parlement wallon. Les personnes qui animent les structures dirigeantes du parti vivent avec un salaire moyen de travailleur. C’est important pour qu’ils et elles gardent les pieds sur terre et le cœur à gauche.”

”Le parti a besoin d’argent et est très assertif”

Toujours est-il que, avant les élections de 2019, le parti estimait, dans un document interne, que “conclure chaque cycle d’engagement positif avec une discussion et une fiche d’engagement complétée devrait être une évidence”, insistant sur l’importance de formaliser “clairement leur engagement financier”.

Document interne PTB
Document interne PTB ©D.R.

“Sur le plan financier, il y a un aspect idéologique : le militant doit vivre comme le peuple, très modestement ce qui est très maoïste. Il y a aussi la seconde idée : le parti a besoin d’argent, conclut Pascal Delwit. Le PTB a un côté très assertif pour collecter de l’argent auprès de ses membres.