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Israël reconnaît le Somaliland : lutter contre les Houthis ou déporter des Palestiniens ?

Israël reconnaît le Somaliland depuis vendredi, cette république autoproclamée de la Corne de l’Afrique séparée de la Somalie en 1991. Cette reconnaissance a soulevé des protestations de la part de la Somalie, qui refuse la sécession du Somaliland, le président somalien la qualifiant de « plus grande des violations contre la souveraineté de la Somalie ».


C’est une première majeure : Israël a reconnu depuis vendredi le Somaliland, cette république autoproclamée de la Corne de l’Afrique, qui s’est séparée de la Somalie en 1991 à la faveur de la guerre civile.

D’une superficie comparable à celle de la Tunisie (176.000 km²), le Somaliland fonctionne comme un État de facto depuis plus de trente ans. Il dispose de ses propres institutions, d’une monnaie, de forces armées et de police. En raison de son absence de reconnaissance internationale, il est exclu des grandes institutions financières comme le FMI ou la Banque mondiale, ce qui entrave son développement.

De plus, le Somaliland est situé à un emplacement stratégique : à la croisée de la mer Rouge et du Golfe d’Aden, sur le détroit de Bab-el-Mandeb, l’une des routes commerciales les plus fréquentées au monde, reliant l’océan Indien au canal de Suez.

Le territoire est également proche du Yémen, où les rebelles Houthis représentent un défi significatif pour Israël, qui est suspecté de vouloir y déporter une partie de la population palestinienne.

### Vives réactions internationales

Cette reconnaissance a provoqué une tempête de protests en Somalie, qui refuse la sécession du Somaliland. Hassan Sheikh Mohamud, le président somalien, a qualifié cette reconnaissance de « plus grande des violations contre la souveraineté de la Somalie ».

De leur côté, les Chebab, un groupe islamiste armé lié à Al-Qaïda, rejettent également « l’ambition des Israéliens de revendiquer ou d’utiliser des parties de nos territoires. […] Nous ne l’accepterons pas et nous la combattrons, si Dieu le veut ». Ils estiment que « c’est une humiliation du plus haut degré aujourd’hui de voir certains Somaliens célébrer une reconnaissance par le Premier ministre israélien », affirmant qu’Israël est « le plus grand ennemi de la société islamique ».

L’Autorité palestinienne a exprimé son rejet, affirmant qu’Israël aurait déjà évoqué le Somaliland comme destination potentielle pour l’expulsion de Palestiniens, notamment depuis Gaza. Cette accusation a été reprise par plusieurs capitales arabes.

Le Conseil de coopération du Golfe, qui regroupe l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Koweït, Oman et le Qatar, dénonce « une grave violation des principes du droit international et une atteinte flagrante à la souveraineté et à l’intégrité territoriale » de la Somalie.

Djibouti, l’Égypte et la Turquie condamnent également cette reconnaissance, tout comme la Ligue arabe, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union africaine, qui estiment que cela met en péril le respect des frontières, « avec le risque de créer un dangereux précédent aux conséquences considérables pour la paix et la stabilité sur l’ensemble du continent ». Le Conseil de sécurité des Nations unies est convoqué ce lundi à ce sujet.

L’Union européenne appelle au respect de la souveraineté de la Somalie.

Enfin, les États-Unis, qui courtisent le Somaliland, n’envisagent pas d’imiter Israël pour le moment, assure Donald Trump au New York Post. L’allié américain ne suit donc pas Israël cette fois-ci, tout en laissant planer le doute : « Nous allons étudier ça », avant d’ajouter : « Est-ce qu’il y a vraiment des gens qui savent ce qu’est le Somaliland ? »

Les États-Unis possèdent une base militaire stratégique à Djibouti dans la région, le Camp Lemonnier, et entendent s’y maintenir.

### Une manœuvre stratégique pour Israël

Pour Israël, cette initiative s’inscrit « dans l’esprit » des accords d’Abraham, qui ont permis de normaliser les relations d’Israël avec plusieurs pays arabes, dont Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Maroc.

Cette reconnaissance a également un but géostratégique : il s’agit de placer ses pions entre la mer Rouge et le golfe d’Aden dans sa lutte contre les rebelles Houthis, rappelle Didier Leroy, chercheur à l’Institut royal supérieur de défense (IRSD) : « Les Houthis se sont vraiment révélés être un ennemi de taille, mieux équipé, mieux préparé, plus résilient que prévu. C’est une menace durable. »

Israël profite donc de cette opportunité pour obtenir un tremplin stratégique face au Yémen, lui permettant d’intervenir contre les Houthis à tout moment. « Cela profite à Israël, mais aussi à l’Égypte, aux pays européens, à l’Amérique du Nord, notamment les États-Unis. Il y a un alignement des astres qui va plaire à beaucoup de monde à ce niveau », juge Didier Leroy.

### Offres d’amitié et développement

En retour, Israël propose son amitié et principalement ses ressources considérables, tant financières que technologiques. Le port somalilandais de Berbera pourrait ainsi surpasser Djibouti, qui est encombré par des bases américaines, françaises, chinoises, etc.

Le développement énergétique et agricole du pays est également en jeu, car, comme le rappelle Didier Leroy, « Israël est à la pointe des technologies de dessalement de l’eau de mer. Tous les États de la région, qu’il s’agisse de la péninsule arabique ou de la Corne de l’Afrique, souffrent d’un stress hydrique important. Israël est évidemment un acteur qu’il est bon d’avoir de son côté. »

### La question sensible d’un déplacement des Palestiniens

Depuis l’annonce par Donald Trump d’un plan flou visant à épurer Gaza de ses habitants, le Somaliland est souvent cité comme terre d’accueil potentielle.

Le Jerusalem Post rapportait déjà en janvier que l’administration Trump envisageait le Somaliland, en plus du Maroc et du Puntland (une région autonome de Somalie). Quelques semaines plus tard, l’agence AP cite le Somaliland aux côtés de la Somalie et du Soudan, et le Financial Times attribue ce plan de relocalisation des Gazaouis à un bureau de consultants, le Boston Consulting Group (BCG).

Vingt et un pays, principalement arabes, mettent en garde les habitants face aux « graves conséquences » de la décision d’Israël pour « la paix et la sécurité dans la Corne de l’Afrique » ainsi que dans la région de la mer Rouge, et condamnent « les tentatives visant à expulser de force le peuple palestinien de ses terres », après que des informations ont fait état d’un lien entre cette reconnaissance et des tentatives israéliennes de déplacer la population de Gaza.

### Des pays qui n’ont pas trop le choix

La question du déplacement de populations palestiniennes dans des pays de la Corne de l’Afrique est préoccupante, notamment pour des pays comme le Soudan, la Somalie ou le Somaliland, selon Didier Leroy de l’IRSD. Ce sont des pays « qui n’ont, en gros, pas trop le choix dans le rapport de force des négociations » et « où la position de faiblesse des hommes forts en place pourrait ouvrir la porte à ce scénario d’immigration palestinienne plus ou moins forcée. »

Est-ce un scénario réaliste ? Didier Leroy souligne les incertitudes et les risques : « Ça reste un ‘long shot’ (ce n’est pas gagné) pour Israël, car cela va de nouveau générer de l’indignation sur la scène internationale, relancer des manifestations, prolonger l’isolement diplomatique d’Israël. En même temps, Israël sait s’accommoder de toutes ces formes de pression. Cela pourrait quand même être faisable dans certaines proportions. »

### Une reconnaissance liée aux enjeux stratégiques

Face aux accusations de projet de déportation des Palestiniens, un représentant du Somaliland affirme sur la chaîne israélienne Channel 12 que cette reconnaissance n’est pas liée au conflit à Gaza.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou présente ce mouvement diplomatique comme la continuité des accords d’Abraham initiés par Donald Trump, renforçant les liens entre Israël et des pays arabes comme le Maroc, l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis.

Selon Didier Leroy, « cela annonce la consolidation du lien entre Israël et les Émirats, déjà gestionnaires du port de Berbera. […] Le Yémen est un territoire où les Saoudiens et les Émiratis sont à couteaux tirés. […] C’est bien au départ de ce Somaliland que les Émirats peuvent aussi continuer à faire avancer leur agenda au Yémen. »

Cette stratégie se manifeste aussi par le déploiement de bases militaires et d’infrastructures, notamment sur l’île de Socotra, située entre la Corne de l’Afrique et le Yémen. Dans ce contexte, Israël et les Émirats semblent alignés sur leurs intérêts stratégiques dans la région, renforçant ainsi leur coopération.

En reconnaissant le Somaliland, Israël réalise un coup diplomatique à forte portée géostratégique, consolidant ses alliances régionales et sa capacité d’action dans la mer Rouge, mais au prix de vives tensions internationales et de risques durables pour la stabilité de la Corne de l’Afrique.