”Il faudra encore plus d’argent pour la Justice, les 150 millions d’euros, c’est une première étape”
Annelies Verlinden (CD & V) aime courir, mais elle préfère les marathons aux interminables journées en tant que ministre de la Justice. D’autant plus que l’actualité est dense… Celle qui a récemment participé au marathon de Tokyo confesse qu’elle ressent davantage de fatigue dans ses fonctions régaliennes, qui ne laissent que très peu de place au sommeil…
- Publié le 26-04-2025 à 07h00
- Mis à jour le 26-04-2025 à 07h02

Estimez-vous qu’être ministre de la Justice sous l’Arizona, c’est plus éprouvant que vos fonctions à l’Intérieur sous la Vivaldi ?
Je trouve qu’il y a des défis plus fondamentaux dans la justice, avec des crises plus structurelles à gérer. Défendre l’État de droit, c’est quelque chose de plus profond. C’est aussi très délicat. Je veux être une ambassadrice de l’État de droit, et quand on voit ce qui se passe outre-Atlantique quand l’État de droit n’est plus défendu, on voit l’importance d’un tel combat.
Ce n’est pas frustrant de mener une telle mission avec si peu de moyens ?
Si on est animé par de la frustration, on ne va jamais nulle part. C’est vrai qu’il n’y a pas assez d’argent aujourd’hui. Je me suis battue lors de la négociation de l’accord de Pâques (du gouvernement fédéral) pour recevoir, dès cette année, des moyens supplémentaires. Mais je vais continuer à me battre. La criminalité est de plus en plus complexe et si nous n’investissons pas dans la sécurité intérieure et la justice, c’est l’ensemble de la société qui en paiera le prix. On ne pourra jamais totalement éradiquer toute forme de criminalité, mais nous devons nous donner les moyens de lutter. Et cela commence par un travail de prévention.
guillement « Si on est animé par de la frustration, on ne va jamais nulle part. C’est vrai qu’il n’y a pas assez d’argent aujourd’hui, et je me suis battue lors des discussions pour l’accord de Pâques (du gouvernement fédéral) pour recevoir, dès cette année, des moyens supplémentaires. Et je vais continuer à me battre. La criminalité est de plus en plus complexe et si nous n’investissons pas dans la sécurité intérieure et la justice, c’est l’ensemble de la société qui en paiera le prix. »
La prévention, cela concerne d’autres niveaux de pouvoir. Vous leur renvoyez la responsabilité ?
Je ne dis pas cela pour renvoyer la patate chaude à quelqu’un d’autre, mais pour rappeler que c’est ensemble qu’on arrivera à un résultat. Pour plus de justice, il ne faut pas négliger la lutte contre la pauvreté, ni la lutte pour l’accès au logement ou celle contre les addictions, tout cela fait partie des combats connexes à mener. Faire davantage de prévention et agir là où il y a une base plus propice à un basculement vers la criminalité – et je dis cela sans faire de généralités –, c’est agir dans l’intérêt de la justice. Par exemple, en faisant plus attention à la situation des jeunes en décrochage scolaire et qui sont attirés par les réseaux criminels en pensant qu’il y a beaucoup d’argent à gagner. Ce n’est pas un défi qui ne concerne que la ministre de la Justice. Je ne suis pas seule sur mon îlot, la justice concerne tout le monde.
Vous êtes dans un gouvernement plutôt confortable pour cela, puisque dans l’accord Arizona, il était clairement indiqué que les budgets justice et sécurité étaient quasiment intouchables ; et ils ont même augmenté. Vous ressentez toujours ce confort, après l’accord de Pâques ?
Oui, d’autant que nous avons un Premier ministre qui est très attentif aux dossiers sécuritaires. Nous sommes tous conscients, qu’à côté des guerres, la sécurité intérieure ne doit pas être négligée.
Il y a quand même eu une « bagarre » entre la N-VA et le CD & V durant les négociations pour l’accord de Pâques. La N-VA recevait des milliards pour la défense, qui fait partie de ses portefeuilles ministériels, et, par conséquent, le CD &-V a réclamé plus de moyens pour la justice…
Une « bagarre », ce n’est pas le terme adéquat. Moi, je me bats pour la justice, dans son ensemble. On parle beaucoup de surpopulation carcérale, mais les défis sont nombreux. Il faut renforcer chaque maillon de la machine judiciaire. Et pour cela, oui ; je suis contente d’avoir pu convaincre mes collègues au fédéral en obtenant 150 millions pour 2025.
Cette enveloppe sera-t-elle suffisante pour répondre aux nombreuses demandes du monde judiciaire ? La colère de la magistrature est immense…
Je veux être une ministre de la justice crédible et réaliste. Et donc, je peux vous dire que non, ça n’est pas assez. Il faudra encore plus d’argent pour la Justice. Les 150 millions d’euros, c’est donc une première étape importante. Par ailleurs, je veux préciser que ce montant ne sera pas investi uniquement dans l’infrastructure carcérale, puisque nous allons aussi renforcer l’ordre judiciaire au niveau de la magistrature mais aussi des greffiers et des juristes de parquet.
Avez-vous des chiffres ou des informations sur la façon dont ce budget sera réparti ?
Je ne sais pas encore dire comment cela sera réparti car il y a des besoins à plusieurs niveaux. Je souhaite par exemple renforcer le département du SPF Justice qui gère le renvoi des détenus en séjour illégal dans leur pays d’origine. Pour cela, il faut aussi travailler avec l’Asile et la Migration et avec les Affaires Étrangères. Je souhaite également travailler sur le numérique pour permettre au personnel judiciaire d’améliorer les conditions de travail. Je souhaite aussi investir dans des chiens renifleurs pour détecter les stupéfiants. Je le répète : les besoins sont nombreux.
Avec tous ces défis, ne faut-il pas aller chercher des ressources financières supplémentaires ailleurs, au niveau fiscal par exemple ?
C’est déjà ce que nous faisons à travers la réforme des pensions. C’est une réforme qui n’est pas facile à accepter pour tout le monde, mais elle est nécessaire si on veut un peu de prospérité pour les générations futures. Pour cela, les « épaules les plus larges » doivent aussi contribuer.
Jan Jambon, le ministre des Finances, a fait une proposition pour la future taxe sur les plus-values. Il propose d’exonérer les profits réalisés sur des actifs qui ont été conservés pendant 10 ans au moins.
Nous avons un accord de gouvernement qui évoque cette taxe. À nous de l’implémenter à présent. Il faut trouver un juste équilibre et, là aussi, être réaliste dans la façon d’agir. Mais je ne vais pas rentrer dans les détails car les discussions ne sont pas encore terminées.
guillement « Je suis favorable à l’idée d’un retour sur investissements, qui permettrait de profiter du travail mené par la justice et par les enquêteurs. Mais il ne faut pas que cela se fasse au détriment d’une solidarité globale. L’argent confisqué aujourd’hui va dans les caisses de l’État et profite à tous les départements, pas uniquement à la justice, et je crois que cela doit continuer à être le cas. »
L’idée d’un fonds justice alimenté par les confiscations dans les milieux criminels a déjà été évoquée. Vous en pensez quoi ?
Je suis favorable à l’idée d’un retour sur investissements, qui permettrait de profiter du travail mené par la justice et par les enquêteurs. Mais il ne faut pas que cela se fasse au détriment d’une solidarité globale. L’argent confisqué aujourd’hui va dans les caisses de l’État et profite à tous les départements, pas uniquement à la justice, et je crois que cela doit continuer à être le cas. Il ne faut pas non plus que cette façon d’opérer au sein du monde judiciaire se fasse au détriment des formes de criminalité qui ne rapportent pas d’argent et donc qu’on se retrouve à enquêter uniquement sur les affaires qui rapportent, en négligeant tout le reste.