IKEA : de l’innovation au défi social, l’épopée suédoise interrogée
IKEA, créée en 1943 dans la province suédoise du Småland par Ingvar Kamprad, compte actuellement plus de 450 magasins et près de 225.000 salariés. En 2023-2024, le chiffre d’affaires du groupe a chuté de plus de 5%, en raison d’un contexte économique mondial et d’une demande de mobilier en baisse.
Créée en 1943 dans la province suédoise du Småland par Ingvar Kamprad, IKEA est aujourd’hui l’un des plus grands détaillants de meubles au monde. Kamprad, à l’âge de 17 ans, commence par vendre des stylos, des portefeuilles et d’autres petits objets avant de se consacrer, à partir de 1947, à la vente de mobilier conçu par des artisans locaux. En court-circuitant les intermédiaires, il offre des produits à des prix compétitifs, s’inspirant de la vie frugale de sa région natale. Cette recherche de l’économie et du pragmatisme est au cœur de l’ADN de l’entreprise, résumée par la devise « fonctionnalité, forme et facilité » (« FFF »).
L’idée centrale d’IKEA, qui va révolutionner le secteur, apparaît dès 1956 : les meubles sont livrés en paquets plats et montés par les clients eux-mêmes. Ce concept, toujours d’actualité, permet de réduire les coûts logistiques tout en offrant un large éventail de meubles design à des prix accessibles. L’ouverture du premier magasin en 1958 à Älmhult (sud de la Suède) marque le début de l’expansion internationale de l’enseigne, qui compte actuellement plus de 450 magasins et près de 225 000 employés.
En 2023-2024, le chiffre d’affaires du groupe a chuté de plus de 5 %, malgré une hausse de la fréquentation tant en magasin qu’en ligne. Ce déclin s’explique par le contexte économique mondial et une demande de mobilier en baisse, contraignant IKEA à investir pour faire baisser ses tarifs, ce qui a réduit ses marges.
Le modèle est également critiqué pour sa faible capacité de personnalisation et parfois pour une qualité perçue comme inférieure, conséquence directe de la logique de réduction des coûts. Certains clients font état d’un manque de diversité dans l’offre et d’une hausse des retours de produits.
Cette quête de prix bas expose IKEA à la concurrence de marques axées sur la personnalisation et la qualité supérieure, tout en rendant le groupe sensible aux fluctuations des prix des matières premières et à l’instabilité économique mondiale.
La gestion des ressources humaines est régulièrement analysée et critiquée chez IKEA. Les problématiques relevées incluent un manque de formation adaptée pour les employés, notamment dans les nouveaux magasins, ce qui se traduit par une diminution de la satisfaction client et une augmentation du turnover. Les programmes de formation ne sont pas toujours accessibles à tous, et ne tiennent pas toujours compte de la diversité des situations locales, limitant ainsi l’efficacité et l’intégration des nouvelles recrues.
La rapidité des recrutements, liée à l’expansion du groupe, a parfois conduit à l’embauche de profils inadaptés et à des difficultés d’intégration au sein des équipes. L’exigence de performance et de rentabilité entraîne pour certains salariés une charge de travail considérée comme importante. Ces difficultés se sont accentuées lors de restructurations : 7 500 postes ont été supprimés dans les services centraux ces dernières années, pour rationaliser les coûts et adapter le modèle aux nouvelles réalités économiques.
Dans les années 2000, IKEA a été confrontée à plusieurs polémiques concernant le recrutement et la gestion de la diversité, notamment en France. Une des affaires les plus significatives remonte à 1999, lorsque la direction départementale du travail a ouvert une enquête pour suspicion de discrimination raciale à l’embauche dans un magasin près de Lyon. Un e-mail interne demandait explicitement d’éviter de recruter « des personnes de couleur » pour la distribution de catalogues, au motif que « c’est malheureux à dire, on leur ouvre moins facilement la porte et il s’agit d’avancer vite ». Les syndicats CGT et CFDT ont porté plainte, accusant l’entreprise d’exclure systématiquement les personnes racisées des postes en contact direct avec la clientèle, révélant une politique discriminatoire plus large à l’époque. IKEA France avait alors reconnu l’existence de ce document, en dénonçant son caractère inadmissible, et a lancé une enquête interne promettant des sanctions contre son auteur.
Tout au long des années 2000, IKEA a affirmé renforcer ses engagements en faveur de la diversité dans sa communication institutionnelle, notamment en mettant en avant des politiques de recrutement inclusives et en signant des chartes promouvant l’égalité des chances. Cependant, ces engagements ont parfois été critiqués comme réactifs, intervenant souvent après des crises médiatiques ou des accusations de syndicats.
De plus, des rapports d’ONG ou d’agences d’égalité ont continué, dans la décennie suivante, à documenter que le secteur de la grande distribution restait exposé à des risques persistants de discriminations, malgré l’affichage de politiques inclusives chez certains employeurs comme IKEA.
Récemment, plusieurs mouvements de grève ont touché la Belgique (Mons, Anderlecht, Zaventem, Wilrijk) et la France à l’appel d’intersyndicales (CFDT, CGT, FO). Les syndicats ont dénoncé l’absence d’augmentation salariale collective lors des négociations annuelles obligatoires de 2025, considérant que les augmentations individuelles étaient insuffisantes et réservées à un faible pourcentage d’employés.
En Belgique, la principale revendication concerne la surcharge de travail et le manque d’effectifs, qui dégradent quotidiennement les conditions de travail. Les équipes réclament surtout du renfort et une meilleure considération de la direction.
Face à ces défis, IKEA investit dans la digitalisation, développe l’économie circulaire (ventes de meubles d’occasion, réparabilité) et adapte ses pratiques managériales pour maintenir son attractivité sociale. La marque poursuit son objectif initial : « améliorer la vie quotidienne du plus grand nombre », tout en cherchant à équilibrer rentabilité et engagement social.
Les grévistes estiment pour leur part que le dialogue social est « en ruine », face à une direction jugée peu réactive, qui propose des mesures considérées comme « inacceptables ».
Certaines négociations tournent à l’impasse, entraînant la poursuite de mouvements sociaux, d’opérations de sensibilisation, et des fermetures temporaires de magasins dans plusieurs régions.

